Aurez-vous accès à l’eau potable si rien ne sort de votre robinet et si les supermarchés sont vides ? Comment défendrez-vous votre famille de votre voisin affamé ? Piero San Giorgo, un suisse né en 1971, se pose ce genre de question et y répond à la manière survivaliste : la survie se jouera presque certainement à l’écart du monde actuel, dans des refuges qu’il faudra savoir aménager et défendre. Car il prévoit un effondrement de la civilisation, effondrement dont il s’applique dans une première partie à montrer les déterminants.
Piero San Giorgo est dans la lignée de James Howard Kunstler, qu’il cite : « D’abord l’essence devint rare et chère, et maintenant il n’y en a plus. L’âge de l’automobile est terminé. L’électricité aussi. Aucun ordinateur ne fonctionne. Les grandes entreprises n’existent plus. L’argent papier ne vaut plus rien. Des villes ont été détruites. Il n’y a plus de gouvernement… » Voici quelques extraits de cette œuvre dont on saura un jour si elle était prémonitoire ou s’il ne s’agissait que d’affabulations.
1/6) Les déterminants de l’effondrement (jusqu’à la page 149)
- le problème des exponentielles, par exemple dans le cas de l’évolution démographique ;
- la fin du pétrole ;
- la fin de toutes les ressources ( le pic de tout) ;
- l’effondrement écologique ;
- la fin du système financier et l’endettement ;
- la culture de la consommation, la perte du sens de la responsabilité, la perte du lien social ;
- les imprévisibles, par exemple une épidémie ;
- la complexité des chaînes logistiques et alimentaires.
Par conséquent, dans les décennies à venir, nous allons expérimenter l’enfer.
2/6) Un mécanisme socioéconomique qui s’enraye
En temps normal, l’Occidental moyen rentre chez lui, son frigo est plein de nourriture, l’électricité fonctionne, les toilettes aussi, le chauffage, le téléphone, sa connexion Internet… Le salaire est arrivé directement sur son compte et les paiements sont effectués automatiques. Nous avons construit une machine économique efficace et complexe qui s’étend de plus en plus dans le monde. Si la machine s’arrête, les commandes ne passent plus, les camions ne livrent plus, les magasins se vident, les stations d’essence ferment, les policiers et les pompiers n’interviennent plus. Si les lignes électriques se cassent, qui les répare ? S’il n’y a plus d’essence, comment ramasse-t-on les récoltes et les transporte-t-on dans les supermarchés ? La famille typique a en moyenne une semaine de nourriture en stock chez elle. Et après, l’Etat sera-t-il capable de ravitailler tout le monde ? La recherche de nourriture restera-t-elle pacifique ? A quel moment l’occidental moyen deviendra-t-il désespéré et commencera-t-il le pillage, pillage des magasins, pillage de ses voisins, pillage des villes, puis pillage des campagnes ?
Si vous lisez ce livre, vous appartenez a priori à un groupe social d’un certain niveau matériel, ce qui fera de vous, de votre famille, de votre maison ou appartement des cibles pour ces gens-là. Ce sera ceux qui ont rien contre ceux qui ont peu. Une telle crise sociale provoquera un rapide effondrement des réseaux publics d’électricité. Qui ira, dans ces conditions, faire fonctionner les centrales électriques, réparer les lignes coupées, etc. ? La plupart des villes et des communes manqueront d’eau potable car les pompes s’arrêteront. Très vite, les communications ne fonctionneront plus car les centres téléphoniques ne pourront tenir qu’une à deux semaines sur leurs générateurs. Plus d’Internet, plus d’alarmes. La plupart des chauffages ne fonctionneront plus car le gaz naturel nécessite d’être pressurisé. Qui va faire fonctionner les centrales nucléaires ?
Pauvres comme riches vont devoir quitter les villes pour se procurer de la nourriture et s’improviser fermiers. Mais avec peu de terres disponibles, avec des pénuries d’eau et le manque de compétence, ce processus risque d’être un désastre. Il faudra des décennies pour que l’improvisation cède la place à l’expérience et, entre-temps, il n’y aura pas de nourriture pour tout le monde. Ce sera une crise alimentaire énorme. La plus grande famine de tous les temps, avec des centaines de millions de morts. Les pays qui importent 90 % de leur nourriture, comme l’Egypte, vont s’effondrer avec une brutalité inouïe. La concurrence pour des ressources de plus en plus rares sera féroce. On observe très bien, dans le cas d’effondrements d’Etats ou de révolutions, des comportements violents dont les gens ne se croyaient pas capables : massacre atroces, viols, pillages, enfants-soldats.
3/6) Des capacités de résilience
Avec l’effondrement économique, les Etats seront incapables de fonctionner. Ce sera la fin du salariat. Fini aussi l’assistanat de l’Etat providence ! Les retraités, les handicapés et les malades auront intérêt à avoir une famille qui s’occupe d’eux. Sans transport automobile, les villes vont radicalement changer d’aspect ; les gratte-ciel seront laissés à l’abandon et resteront un témoignage de l’époque des énergies fossiles abondantes. On peut imaginer que des organisations continuent d’exercer une forme de gouvernement sur un territoire plus réduit. Des régions, devenues de fait autonomes, du moins celles qui ne seront pas plongées dans le chaos, sauvegarderont un relatif maintien de l’ordre.
Toute entreprise devra redevenir locale. La richesse consistera en l’accès à des ressources physiques, comme la nourriture et l’eau potable, et à des intangibles, comme les relations et les réseaux. La vraie richesse sera surtout celle du savoir-faire : savoir cultiver un potager, réparer des batteries et des panneaux solaires, etc. Les petites fermes vont s’en sortir grâce à leurs connaissances et à leur taille. Les artisans redeviendront vraiment utiles, forgerons, bottiers, menuisiers, etc.
Ceux qui possèdent la terre pourront permettre à certaines familles de s’établir en échange de leur travail. Mais ces propriétaires auront intérêt à savoir défendre leur domaine contre les pillards, ils pourront embaucher des milices. Ce sera le retour d’une sorte de système féodal. Mais une fois le pire de la crise passé, on assistera sans doute, du fait de la vie en communautés plus petites et plus proches de la nature, à un retour à la spiritualité naturelle, à un ré-enchantement du monde pour lui redonner du sens.
4/6) La BAD, base autonome durable
J’ai longuement conversé avec des survivalistes américains. Je suis arrivé à la conclusion que le seul moyen de survivre c’est de s’établir dans un endroit éloigné des zones de trouble potentiel et d’acquérir une autonomie aussi grande que possible pour tout ce qui concerne l’eau, la nourriture et l’énergie tout en s’intégrant dans une communauté locale. J’ai été autorisé par ses inventeurs à développer l’idée de BAD (base autonome durable), un programme construit sur 7 éléments fondamentaux : eau, nourriture, hygiène et santé, énergie, connaissance, défense et lien social.
C’est lorsque le puits est à sec que nous apprécions la valeur de l’eau… L’idéal est de produire soi-même sa nourriture… Nous serons confrontés à la disparition des services de soins et de santé, vous n’aurez pas intérêt à être malade… La seule énergie gratuite est celle que vous n’avez pas besoin de générer… Celui qui possède un métier est comme celui qui possède un château fort… Si vis pacem, para bellum car le plus grand danger pour l’homme reste l’homme… Le lien social est le septième et dernier élément fondamental d’une BAD.
Vous ne pourrez survivre longtemps seul. Vous devez constituer un réseau, vous intégrer à des communautés grâce à des relations mutuellement interdépendantes, et faire en sorte que les gens et les groupes de gens autour de vous aient le moins de raisons possibles de vous agresser et qu’ils s’associent à vous pour une défense commune. Etre capable de survivre seul, c’est bien. Mais la force est aussi dans le nombre. Imaginez un village entier, une vallée organisée pour une production optimale de ressources alimentaires et énergétiques et une mise en commun des savoir-faire (médecins, maçons, etc.), créer une meilleure défense et entreprendre des travaux pour le bien commun. Ce genre de communautés se met déjà en place, Résilience communautaire en France, Transition Towns, Post Carbon Cities et Relocalisation Projects au Canada, Belastbar Gemeinde en Allemagne…
La BAD peut être individualiste, mobile, 100 % survivaliste, par exemple avec un voilier. Mais le meilleur choix possible et la BAD rurale, où on s’enracine dans tous les sens du terme. Rappelez-vous que toute richesse est d’abord issue de la terre nourricière. La mise en place d’une BAD en ville peut avoir du sens si vous n’avez pas les moyens pour mettre en place une BAD en milieu rural. Choisissez une ville de taille moyenne, traversée d’une rivière, avec une centrale hydroélectrique toute proche. Vous avez aussi l’option d’une BAD délocalisée. Mais qui peut vous garantir qu’en tant que riche étranger, vous ne finirez pas victime de nettoyages ethniques ?
5/6) Une solution peu recommandable, l’épidémie provoquée
« Jean-Michel est un fanatique convaincu que son dieu est sa religion vaincront. C’est de son devoir de croyant de mener le combat de Dieu pour ses frères humiliés de par le monde. Dans le laboratoire du centre de recherche biologique où il est employé, Jean-Michel a travaillé dur. Il a étudié des échantillons de virus prélevé sur des volailles asiatiques. Il a trouvé une forme de ce virus qui est très agressive, mais qui a un temps d’incubation assez long. Cela peut permettre une propagation efficace, d’autant que le virus s’étend aussi bien de manière aérienne que par les fluides. Ce virus n’est pas mortel, du moins c’est ce que pense Jean-Michel. Il compte en badigeonner le contenu sur les poignées de porte des hôtels, il en déposera dans les avions. Il a fait exploser sa carte de crédit, mais ça en vaut la peine. Au cours des deux prochaines semaines de congé, il va beaucoup voyager, Paris, Londres, Miami, Francfort, Milan… Dieu est grand ! »
In Survivre à l’effondrement économique de Piero San Giorgo (p.126)
« Jean-Michel regrette ce qu’il a fait. Le virus qu’il a libéré a fait des ravages. Il n’était pas mortel pourtant, mais le chaos qui en a résulté a été gigantesque. Toutes les grandes villes ont été rapidement touchées. L’effondrement du système hospitalier puis de toute l’économie a plongé le monde dans une spirale de violence inouïe. Jean-Michel attend l’inévitable dans la chambre où il s’est réfugié. Des immeubles sont incendiés par les pillards, il a peur. »
In Survivre à l’effondrement économique de Piero San Giorgo (p.183)
« En juin 2001, le gouvernement des Etats-Unis a mis en œuvre un exercice de simulation d’épidémie : l’opération Dark Winter. Il s’agissait de tester la résilience du système hospitalier en cas d’épidémie. Les résultats ont montré que tout le système allait très vite s’effondrer. Dans la simulation, le virus en question n’a pas pu être contenu et, en quatre jours seulement, il s’était propagé au-delà des frontières, et allait provoquer le même chaos à travers le monde. Si un tel virus était lâché dans la nature par un Etat ennemi ou par une organisation terroriste, les effets seraient dévastateurs. Les élites d’un Etat totalitaire, craignant de perdre son statut ou simplement voulant réduire une population trop consommatrice de ressources, pourraient utiliser un virus contre sa propre population. Ce n’est pas un scénario à exclure. Les donneurs d’ordre pourraient choir de faire vacciner ceux qui seraient désignés pour survivre. Après tout, si des dictateurs comme Hitler, Staline, Mao ou Pol-Pot ont pu donner l’ordre d’assassiner une partie de leur population, qui nous assure qu’il en serait différemment aujourd’hui ? »
In Survivre à l’effondrement économique de Piero San Giorgo (p.125)
NDLR : Le texte de Piero San Giorgo reprend en 2011 l’idée du livre de James Howard Kunstler en 2005, La fin du pétrole (le vrai défi du XXIe siècle) édité par Plon: « Des régimes submergés par les pressions démographiques risquent d’être tentés d’utiliser des virus « fabriqués « contre les populations, après avoir vacciné une élite présélectionnée. L’idée peut paraître insensée, mais pas plus que le massacre des koulaks par Staline, les carnages de Pol Pot au Cambodge, le génocide des Tutsi au Rwanda, la famine orchestrée des Nord-coréens sous Kim Jong Il. La machinerie de la Shoah a recouru à la technologie industrielle la plus avancée de l’époque, et a été réalisée par le pays le plus instruit de l’Europe. Si nombre d’« humanistes » ont milité pour la limitation de la croissance démographique, la plupart auraient probablement préféré un contrôle des naissances généralisé à une semblable extermination. »
6/6) Quelques citations
- Je ne veux pas vous faire peur, mais je crois que la convergence des immenses problèmes auxquels l’humanité fait face et d’une culture et d’un leadership défaillants rend la catastrophe inévitable.
- Ce que l’on conçoit comme une complexité technologique est en réalité une simplification des flux. Une seule espèce cultivée en monoculture est certes efficace mais va épuiser le sol de ses éléments nutritifs, faciliter l’érosion et finalement détruire rapidement ce sol, et pour longtemps. L’efficience est la route la plus rapide vers l’enfer.
- Nous consommons les ressources de la planète pour acheter avec de l’argent que nous n’avons pas des choses de mauvaise qualité, dont nous n’avons pas besoin, fabriquées par des ouvriers surexploités, pour impressionner des gens que nous n’aimons pas et pour finir dépressifs, insatisfaits et malheureux.
- Au lieu de chercher à faire rouler une voiture avec autre chose que du pétrole, il serait temps de réfléchir à un mode de vie sans voitures.
- Si vous avez la liberté de pouvoir choisir entre 50 types de céréales mais ne pouvez choisir de voter qu’entre deux ou trois partis politiques aux programmes semblables, en fait nous n’avez aucune liberté réelle.
- Cette ferme est tenue par une communauté d’anciens babas cool écolos et leurs enfants. Ils ont tout ce qu’il faut, de l’eau, des panneaux solaires, un très grand potager, un élevage de chèvre. Ils ont recueilli une vingtaine de personnes. Le patriarche explique que la violence ne résout rien et que l’esprit est plus fort que les armes…. La ferme fut occupée par un gang de motards. Tous les habitants furent torturés puis tués, les femmes furent violées, les stocks pillés et la ferme brûlée.
- Une arme à fort impact psychologique dissuasif est le fusil à pompe : le clic-clac caractéristique de celui-ci lorsqu’on charge une cartouche est généralement suffisant pour que les agresseurs se calment et quittent la zone.
- Ses amis milliardaires qui étaient restés à Saint Tropez se sont fait attraper par une horde de chômeurs affamés alors qu’ils essayaient de se rendre, par convoi de limousines, à l’aéroport de Nice. Il paraît que la vue de leurs corps pendus aux réverbères était terrifiante.
- Un voleur de volaille s’est fait attraper et a été immédiatement jugé par le chef coutumier du village. Il a été lapidé. On ne plaisante pas avec la nourriture. C’est trop important.
- Appréciez les vieilles technologies. Les outils d’antan qui fonctionnaient sans électricité et qui étaient inusables sont ceux dont vous avez besoin. Apprenez à faire les choses par vous-même. Soyez frugal et souvenez-vous du mode de vie de vos grands-parents. Apprenez à être en phase avec la nature et à suivre les saisons.
- La survie, ce n’est pas les choses qu’on accumule. C’est des compétences qu’on acquiert.
- Bien qu’au moins 60 % de la population mondiale ait disparu en moins de deux ans, il reste de l’espoir.
- « Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue. » (Victor Hugo)
(édition le Retour aux Sources)