Le livre « Un nouveau monde en marche » est édité en juin 2012. Cet ouvrage à plusieurs voix présente les défis du troisième millénaire : l’écologie, la lutte contre le mal-développement, la nécessité de la non-violence, la transformation personnelle pour mieux transformer la société. Un livre qui pousse à la méditation et à l’action. Voici quelques extraits :
1/6) l’enseignement des peuples premiers
(p. 181) Interrogeant un chef guarani sur le sens du « développement », Adolfo Perez Esquibel reçut cette réponse : « Il n’existe pas chez nous de traduction de ce mot. Cependant il existe le mot « équilibre », équilibre avec la Terre-mère, avec le cosmos, avec soi-même, avec les autres. Lorsque cet équilibre est rompu, alors commence la Violence ! »
(p. à 302 à 310) Je m’appelle Haru, du peuple Kuntanawa, dans la forêt amazonienne. J’apporte un message que les autres êtres vivants ne réussissent pas à transmettre. Je le fais en tant que messager de la forêt, en tant que personne qui a une connaissance à apporter que le monde occidental ne possède pas. Mon message est : Qu’est-ce que vous voulez pour vos enfants ? Quel héritage voulez-vous transmettre aux générations suivantes ? Pensez comment ce que vous allez produire va affecter l’environnement. Toujours penser comment vous allez réutiliser le produit après, comment vous allez vous en débarrasser, quoi en faire, et comment vous allez gérer l’impact sur l’environnement dans lequel vous vivez. J’aimerais dire au monde de faire très attention, notamment à ceux qui construisent leurs actions de manière irresponsable, sans penser au futur. Je vois que le monde occidental n’est pas prêt à comparaître devant les tribunaux de la Nature. Nous voyons clairement que la Terre ne supporte plus toute cette destruction, que cette idée de développement a apporté une grande perte de biodiversité et de ressources naturelles. L’Esprit est lié à la Terre, mais quand on crée d’autres mécanismes qui interfèrent, on perd cet Esprit. Tout ce qui se passe en Europe influence l’Amazonie, influe également l’Asie et tous les autres endroits de la planète. Les choses sont liées. Pour avoir la paix, vous avez besoin de comprendre ce que les autres représentent dans le cycle de la Vie. Comment vous pouvez vous harmoniser avec différentes formes de vie.
Comment les Occidentaux peuvent-ils aider l’Amazonie ? En nous aidant à préserver les traditions des peuples premiers, en œuvrant pour la protection de la forêt et de la biodiversité comme un tout. La paix est à l’intérieur de nous. Nous sommes attentifs aux cycles de la nature, tant de choses arrivent naturellement. Nous n’avons rien modifié de la nature. Nous devons avoir le même respect pour une plante, pour un petit brin d’herbe, que pour notre propre vie. En agissant ainsi, je suis certain que le monde va changer.
(p. 301) Claire Carré, qui développe en France la pratique du Travail qui Relie, retrouve d’une certaine manière cet enseignement : « Dire que nous sommes la Terre me frappe par l’immensité de son implication. J’ai plus que jamais le sentiment que nous sommes la Terre qui fait une expérience temporelle d’elle-même, à travers l’humanité. »
2/6) l’écologisme est un humanisme (Philippe Desbrosses)
Je crois que la distinction entre « écologiste » et « humaniste » est anormale. Pour moi, un écologiste ne peut qu’être humaniste et un humaniste ne peut qu’être écologiste. Je m’explique : un écosystème est un ensemble indissociable comprenant tous les êtres vivants. A moins de considérer l’homme comme un être extérieur et indépendant de son milieu de vie, on ne peut pas comprendre cette différence. L’homme n’existe que grâce à son environnement et à tous les êtres qui le composent.
S’il n’a pas une profonde empathie pour tout ce qui vit, et en priorité pour ses semblables, il ne mérite pas le qualificatif d’humaniste. Les deux attitudes sont inséparables.
NDLR : Bernard Boisson rejoint ce point de vue : « Cela me semble d’un simplisme non respectueux de croire que, parce qu’elle s’oppose à un certain anthropocentrisme, l’écologie profonde soit contre l’humanisme. Il m’apparaît évident que l’écologie profonde oblige l’humanisme à se recentrer, à se réapprofondir, à engendrer un humanisme profond. Une société qui réduit sa domination sur la Terre n’aura pas moins réduit sa domination de l’homme sur l’homme en son sein, car cela procède d’un principe commun de bienveillance qui, respectant le plus vulnérable, respectera ce qui l’est moins. » (p.290)
3/6) entre écologisme profond et humanisme profond (Bernard Boisson)
L’écologie profonde oblige l’humanisme à se recentrer, à se réapprofondir, à engendrer un humanisme profond. Il est évident que la recherche de la supériorité sur l’autre, que ce soit sur une autre personne, un autre peuple, une autre entreprise, une autre espèce ou la nature a toujours été le père de tous les déséquilibres planétaires, tout comme la recherche d’un état de complétude peut être la mère de tous les équilibres. L’écologie profonde repose sur un fond expérientiel. Nous nous libérons de l’esprit technocrate, nous quittons la suprématie des facultés rationnelles, logiques, discursives qui étouffent l’éveil sensitif. Contempler, c’est se donner le droit d’être inutile à qui que ce soit, à quoi que ce soit. Nous pouvons alors entrer dans une respiration entre le vital de l’humain et le Vivant de la Terre. Pour retourner vers la nature, le vivant, le vital, il importe de savoir quitter l’expression pour revenir vers l’impression.
La préservation de l’Ailleurs sauvage de la Terre est nécessaire pour que les dispositions contemplatives des êtres humains ne se dévitalisent pas, et que les êtres humains comprennent la nécessité de rendre à cette nature son droit d’exister en elle-même et pour elle-même, indépendamment de l’humanité, pour perdurer dans ses équilibres. C’est en ce sens que je vois l’union accomplie d’une écologie profonde et d’un humanisme profond. La raréfaction du pétrole et le réchauffement climatique venant à restreindre nos mouvements, nous ne pourrons plus chercher de plus en plus loin la nature que nous avons fortement altérée à nos abords, d’où l’importance de développer une gradation du sauvage dans nos environnements exploités. Mais comment cela peut-il être reçu par quelqu’un qui n’est pas passé par cette expérience de dissolution du sentiment de séparation entre le dehors et le dedans ?
NB : Bernard Boisson est l’auteur de Nature primordiale, des forêts sauvages au secours de l’homme
4/6) vers une agriculture durable (Marc Dufumier)
Pas un rayon de soleil ne doit plus tomber directement à terre ; tous doivent être interceptés par des feuilles de plantes. Pas un filet d’eau ne doit ruisseler à la surface des terrains ; toute l’eau doit être retenue par l’humus et s’infiltrer dans les sols. Contrairement à des idées préconçues, l’agriculture biologique n’est pas extensive. C’est une agriculture qui fait un usage intensif de l’énergie solaire pour la convertir en énergie alimentaire par le biais de la photosynthèse. L’agriculture biologique vise à séquestrer intensément le carbone pour fabriquer les hydrates de carbone (glucides, produits amylacés, lipides, etc.) dont nous avons besoin et pour enrichir les sols en humus. Grâce aux légumineuses, cette forme d’agriculture fait aussi un usage intensif de l’azote de l’air pour la fabrication des protéines et la fertilisation des sols. L’agriculture biologique sait aussi recycler dans les couches arables les éléments minéraux libérés par l’altération des roches mères en sous-sol. Savante, mais artisanale, elle exige davantage de travail à l’hectare ; c’est donc une forme d’agriculture intensive en emplois.
Par contre l’agriculture industrielle ne fournit que très peu de travail à l’unité de surface. Il serait illusoire de penser que cette agriculture serait une agriculture à bas coûts. Les nations en concurrence sur le marché mondial seraient bien inspirées d’intégrer toutes les externalités négatives : stations d’épuration des eaux, algues vertes du littoral breton, recrudescence des cancers, etc. Les systèmes de production exagérément spécialisés ne sont pas durables. L’urgence est de mettre un plafond à la taille des unités de production agricole, comme à l’époque des lois anti-cumuls. La seule issue pour nourrir correctement l’humanité entière est de faire en sorte que prédominent des unités de production agricole familiales.
5/6) autogouvernance (swaraj) et autosuffisance (swadeshi) selon Gandhi
Gandhi pensait que le développement des villes ne saurait permettre la vie autonome et non-violente du peuple indien : seule la consolidation de l’autonomisation économique et politique des villages pouvait contribuer à l’édification d’une société non-violente. La plus haute importance est donnée à l’agriculture. Le swadeshi (autosuffisance) est un mode de production décentralisé, domestique, artisanal, respectueux de la vie, notamment animale, et de l’environnement. Le commerce entre les villages, entre les villages et les villes, à plus forte raison entre les nations, devrait rester minimal. Le swadeshi évite ainsi les transports inutiles, gaspilleurs et destructeurs de l’environnement.
Gandhi, sur l’autogouvernance (swaraj) : « Tendez toujours à produire sur place et évitez toute circulation inutile des produits, car c’est là gaspillage et ce sont les courtiers, les spéculateurs et les étrangers qui ont prise sur les produits dont la vie du peuple dépend. Vous soutiendrez ou rétablirez les anciennes industries villageoises, vous en créerez de nouvelles. Développez partout la filature du coton qui réduira notre chômage, l’outillage coûte peu et le coton est abondant. Préparez l’indépendance nationale par l’indépendance économique. Et je vous rappelle que l’unique intérêt de l’économie, c’est le développement de la personne humaine, sa paix intérieure, l’élévation de son âme. »
Le swaraj repose sur la satisfaction des besoins et non sur l’abondance créée par la production de masse. Gandhi n’était pas opposé à toute technologie, il était admiratif devant la bicyclette et la machine à coudre Singer. Mais il voulait que la machine soit subordonnée au travailleur. Il préconisait des petites machines qui puissent être utilisées par le plus grand nombre plutôt que de grosses machines qui assurent une production de masse. Il faut, disait-il, « favoriser non la production de masse, mais la production par les masses », c’est-à-dire donner du travail à tous au sein de petites entreprises agricoles, artisanales ou industrielles, en limitant et en contrôlant le machinisme.
La cupidité provient du désir d’obtenir l’abondance, le swaraj vise à limiter les besoins humains pour satisfaire d’abord les besoins essentiels. Un axe important de la pensée économique de Gandhi est l’autolimitation des désirs : « Vivons simplement pour que les autres puissent simplement vivre. »
6/6) l’art de la méditation
Matthieu Ricard : la méditation, ou plus précisément l’entraînement de l’esprit, est une pratique qui permet de cultiver et de développer certaines qualités humaines fondamentales, de la même façon que d’autres formes d’entraînement nous apprennent à lire ou à jouer d’un instrument de musique.
Marc de Smedt : Douze ans passés auprès d’un maître zen m’ont appris qu’il fallait faire sans cesse la paix en soi, ramener le calme dans nos agitations mentales. Taïsen Deshimaru disait que durant la méditation, notre grand ego, celui qui cherche la sérénité et la vérité, regarde s’agiter devant lui le petit ego, mesquin, préoccupé, pressé, futile, violent… perturbé dans tous les sens du terme. La meilleure chose pour cela était de pratiquer l’acte de méditer, celui du zazen (za, assis ; zen, méditation) : le dos droit, retrouver une conscience de la respiration basée sur l’expiration profonde en regardant défiler ses pensées. Mais il y a d’autres formes de méditation, y compris en mouvement : yoga, taï-chi, chi-gong.
Plus le rythme de nos activités s’accélère, plus il faut savoir les contrebalancer en trouvant en soi la zone de calme qui va lutter contre la frénésie ambiante et l’équilibrer. Plus le monde est bruyant, plus il faut savoir retrouver du silence, en soi et dans la nature. J’aime bien cette phrase de saint Bernard qui dit en substance que les arbres, les oiseaux et les rochers nous apprennent plus que tout le savoir livresque. L’écologie intérieure est aussi importante que l’écologie extérieure : elles sont indissociablement unies.
Christophe André : La méditation de pleine conscience représente une world therapy : racines orientales et codifications occidentales. La pleine conscience, c’est la qualité de conscience qui émerge quand on tourne intentionnellement son esprit vers le moment présent. C’est l’acceptation sans filtre, sans jugement, sans attente de ce que nous vivons. Derrière cette apparence très simple, c’est un outil très puissant pour notre bien-être. Si la méditation connaît un tel succès aujourd’hui, c’est parce qu’elle répond à un besoin fondamental, celui d’introspection, de calme, de lenteur, de continuité, alors que nos conditions de vie tendent à nous priver de tout cela : toujours plus de sollicitations, d’interruptions, d’agitation.
La méditation ne conduit pas au retrait ou à l’indifférence, mais à une forme de conscience et de présence attentive et tranquille. Notre esprit est encombré de tant de choses. Elles sont autant d’obstacle à notre lien au monde. Lorsqu’on se tourne vers l’instant présent, que l’on s’arrête pour respirer, pour ressentir, même si tout est douloureux autour de nous, on peut se sentir comme dans un refuge. Le reste peut attendre. Méditer ne dispense pas d’agir, mais permet de mieux le faire, avec plus de justesse. Rien de stable et de bon ne se construit sur la violence, rien.