Sous-titré « Comment les citoyens changent le monde », le livre de Bénédicte Manier contredit implicitement la tendance des « révolutionnaires » à attendre tout de l’intervention de l’Etat (ou de la prise du pouvoir d’Etat). On se rapproche plutôt de la stratégie du colibri, popularisée par Pierre Rabhi : « Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés et atterrés observaient, impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Au bout d’un moment, le tatou, agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec ces quelques gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? » « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part. »
Avec ce livre, nous voyageons beaucoup, tout autour de notre planète. Bénédicte Manier est une journaliste qui a effectué plusieurs centaines de reportages de terrain aussi bien en France qu’au Laos, au Cambodge, au Burkina Faso, au Brésil, etc. On arpente aussi bien les forêts nourricières que les villages urbains, on y pratique la stratégie du commons et le it’s your city, dig it ! L’autogouvernance citoyenne est omniprésente. Prenons un exemple précis, le tourisme. Le slow travel consiste à voyager autrement, non en consommateurs de voyages, mais en explorateurs d’autres cultures, en prenant son temps et en rencontrant des habitants à chaque étape (p.65)… Le tourisme a ses usages collaboratifs, avec lesquels le voyage s’éloigne de la consommation de masse pour devenir l’occasion de vraies rencontres. C’est notamment le cas du troc de maisons entre particuliers de différents pays, mais aussi de la pratique du couchsurfing. Ses pratiquants s’hébergent gratuitement – toute transaction monétaire étant sanctionnée d’une exclusion du réseau - et les rencontres entre couchsurfers débouchent sur des liens d’amitiés durables (p.82). Ses expériences multiples sont autant d’idées partielles pour changer de comportement global.
Il se dégage en effet de ces multitudes d’expérience locales le sentiment que nous sommes en train de vivre un bouleversement mondial de nos manières de vivre. Le titre du livre est parlant, la « révolution tranquille » est en marche. Cette capacité d’innovation de la société civile reste toutefois encore largement ignorée en tant que phénomène global. Il n’en reste pas moins que ce foisonnement est révélateur des maux que les citoyens doivent affronter : crises financières, mal de vivre urbain, agriculture polluante, pertes d’emploi… Il forme des centaines de milliers de déclarations d’indépendance. Il s’agit de tourner le dos au néo-libéralisme triomphant des années quatre-vingt en recherchant des réponses locales à la crise.
Ce livre témoigne sans aucun doute d’un nouveau cycle de postmondialisation, mêlant les aspects positifs du village global (l’interconnexion) à une multiplication de transformations locales. Les prémices du futur ?
éditions Les Liens qui Libèrent, 2012, 326 pages, 22,90 euros