réédition en 2012 aux éditions de Beaugies d’un livre édité pour la première fois en 1985
Ce livre a donc plus de trente ans, il date du XXe siècle, il n’a pas vieilli. Car l’imagerie publicitaire n’a pas changé, l’idéologie qu’elle diffuse n’a pas bougé d’un pouce, malheureusement. « Le plaisir, c’est de changer de plaisir » ; ce n’est pas le moindre paradoxe de l’idéologie du changement véhiculé par la publicité de se répéter telle qu’elle !
Comment faire connaître le combat anti-publicitaire ? La vision médiatique est tellement imprégnée d’idéologie consommatrice qu’elle risque de dénaturer la révolte anti-publicitaire. C’est la décroissance, qui a déjà commencé, qui nous imposera de choisir entre la frugalité et la barbarie. Voici quelques extraits de ce livre :
1/4) Les méthodes de la publicité
« La masse des gens est aliénée : ce fait demeure, ce fait s’aggrave. Il ne s’agit pas de se pencher sur elle pour se sentir au-dessus : nous sommes la masse. Nous sommes les citoyens-faits-masse dont les flashes publicitaires rythment désormais le film de la vie et en normalisent le sens. Les grands moyens de communication ne se considèrent plus que comme les « supports » de la publicité. Tout travaille à plonger le citoyen dans l’état hypnotique, faussement euphorique et discipliné, où il n’a plus qu’à suivre les sirènes de la consommation. Il ne sera pas dit que nous nous laissions faire. Contre la normalisation publicitaire, la première défense est d’examiner concrètement ses manipulations et ses perverses subtilités. Réduire, frustrer, érotiser, aliéner, récupérer, conditionner, infantiliser, telles sont les grandes manœuvres du dressage publicitaire.
Aliéner : le spectacle publicitaire consiste à faire perdre sa personnalité au consommateur qui ne se voit plus lui-même si ce n’est à travers le regard d’autrui.
Conditionner : l’imprégnation publicitaire modèle l’inconscient.
Erotiser : l’érotisation des produits est systématique, la possession imaginée (l’objet du désir) se transfère sur le désir de l’objet.
Frustrer : il faut frustrer continûment pour relancer les désirs d’achat. Le réel s’efface au profit de la mythologie publicitaire.
Infantiliser : l’enfant aime la publicité comme le sucre, sans se soucier des caries culturelles, l’adulte se consomme lui-même au lieu de se transformer.
Réduire : les aspirations de la personne se voient réduites et enfermées dans les choses, le relationnel s’y réduit au fonctionnel.
Récupérer : la publicité récupère aussi tout ce qui lui est contraire, plagie les mythes révolutionnaires, sort paraît-il les politiques de l’âge de pierre.
2/4) Idéologie et publicité
Le règne du plaisir : « Offrir du plaisir, le plaisir d’offrir », « On n’arrête pas le plaisir », « Exigez tout tout de suite », « c’est si bon que c’est presque un péché », tels sont les slogans publicitaires. Or le règne du plaisir est le règne de l’instant, l’homme moderne n’a plus ni mémoire ni avenir. L’être humain se voit entraîné à ne vivre qu’à la surface de lui-même, dans sa « peau de plaisir ». C’est véritablement d’une philosophie de drogués que l’hédonisme publicitaire imprègne notre monde.
L’idéologie du spectacle : les publicités pour acheter un téléviseur donnent l’idée la plus nette de la dérision de puissance prêtée à l’individu, qui croit régner par le biais de ce fameux écran, qui précisément, fait écran à son pouvoir. Le téléspectateur à qui l’on offre la possession du monde, rêve infantile s’il en est, en oublie à quel point il est prisonnier des images. Ce n’est pas le moindre paradoxe que, dans l’esprit du public, la couleur semble donner davantage le réel alors qu’en fait elle ne fait que spectaculariser le monde.
La « démocratie » publicitaire : la relative standardisation des produits aurait pour mérite d’atténuer les ségrégations sociales : « Nous sommes tous pour Danette », n’est-ce pas ? « Coca-Cola c’est fait pour ça » unit toutes les classes dans le « ça » d’une boisson sucrée qui alimente la marche en avant du troupeau humain. En fait la stratification de l’univers publicitaire ne fait que refléter les hiérarchies préexistantes de la société réelle. On pousse le consommateur tantôt à se « reconnaître », tantôt à « s’élever », tantôt les deux à la fois. Or le désir l’élévation a pour effet de renforcer l’idée de hiérarchie, et c’est ce qui compte idéologiquement. La hiérarchite se généralise. Tout le monde a envie de grimper dans l’échelle sociale mais la classe supérieure est poussée à recréer de la distance par le renouvellement des modes et la poursuite infinie d’être à la pointe du « progrès ». Au lieu d’établir la démocratie dans la différence, on ne fait que renforcer son contraire, la hiérarchie dans la conformité. Avec l’avènement du marketing politique, l’idéologie publicitaire hâte la fin de la démocratie.
3/4) Les voies de la normalisation
La magie de la marchandise sert à ce qu’on ne se pose pas de questions sur sa fabrication. Le merveilleux rassurant de la publicité cache tout le travail humain : tant que les vaches donnent des yaourts, on ne voit pas les ouvriers s’échiner sur les chaînes de l’industrie agroalimentaire.
Tout ce que vise la rhétorique publicitaire, c’est circonvenir les principes de la logique, déstructurer les catégories mentales, décerveler l’homme. Perte du principe de contradiction : la publicité communique à sens unique. Si les tribunaux défendent les marques contre les atteintes publiques des consommateurs, ils ne défendent guère le public contre les atteintes des marques. Perversion du principe d’identité (tautologies) : « La France c’est la France », « Seul Danone sait faire des Danones », « Brandt pour ne pas se tromper ». Perte du principe de réalité (métaphores) : « La femme est une île, Fidji est son parfum ». Confusion des valeurs (hyperboles) ; Dieu se retrouve dans une assiette de foie gras ! Utilisation de l’antithèse : « Minimir, miniprix, mais il fait le maximum ». La lente émergence de l’esprit critique, depuis plusieurs siècles, est en train de sombrer dans le dogmatisme visuel. L’esprit n’a plus qu’à se soumettre au pouvoir des images, qui n’est autre que le pouvoir de ceux qui les produisent.
Une fois vidée de ses capacités de discernement, on prend soin de remplir les consciences de credos élémentaires. Il y a sur-développement des automatismes cérébraux, des achats-réflexes. C’est le règne du toujours plus et, littéralement, de l’hyperconsommation. Au journal télévisé, on consomme la crise, les pauvres, les délinquants, le chômage… et puis c’est l’enchantement des spots, le rêve publicitaire, la vraie vie en somme.
4/4) Résister à la publicité
Ne pas s’opposer à la publicité, c’est accepter l’impérialisme publicitaire et sa logique profonde, qui est d’être un système de conformation des conduites et des opinions. Mais le combat est inégal entre ceux qui disposent de moyens financiers considérables pour atteindre les gens, et ceux qui n’ont que la possibilité d’une réaction personnelle qui ne sort pas du champ de leur vie privée. Le combat est aussi inégal qualitativement entre ceux dont c’est le métier d’utiliser des connaissances sociologiques, psychologiques, sémiologiques, pour manipuler les consciences ou contourner leurs défenses.
Mais à partir du moment où une discussion directe s’engage sur le terrain idéologique, les publicitaires se retrouvent en difficulté. Car dans un débat sur la moralité des choses, ils ne peuvent qu’être battus.
- La publicité fait rêver, mais ce rêve est-il souhaitable ?
- Est-il bon de faire rêver des enfants à des jouets que les parents ne pourront pas acheter ?
- Est-il bon de faire rêver des adultes à des visions de luxe inaccessible ?
- La publicité n’informe pas, elle vante ;
- La publicité n’est pas un spectacle gratuit, elle coûte fort cher aux consommateurs, etc.
En vérité le discours publiphile est devenu terroriste. La meilleure défense de la publicité consiste à empêcher ses adversaires de parler. Car toute critique de l’idéologie publicitaire menace ses défenseurs dans le sentiment même de leur normalité. L’une des objections les plus fréquentes faites à cet essai, c’est que l’auteur serait farouchement hostile au bonheur ! Tel critique, dans un important quotidien du soir, accuse les intellectuels publiphobes de vouloir « refuser aux masses le droit de rêver ». Or ce n’est pas le plaisir qui est refusé, mais la réduction de toutes les joies humaines à des plaisirs consommables ; ce n’est pas le désir qui est récusé, mais au contraire sa perpétuelle dénaturation en un émiettement d’envies immédiates ; ce n’est pas le rêve qui est mis en cause, mais sa négation profonde dans les mensonges de l’opium publicitaire. Ne faut-il pas déjà être prisonnier du « bonheur conforme » pour confondre la critique du conformisme publicitaire avec un refus du bonheur ?
Le contraire d’une société de consommation, c’est une société de contemplation, c’est-à-dire de dépossession. C’est en soi que chacun de nous doit d’abord lutter contre l’homme moderne, aliéneur-aliéné, tel qu’il est produit dans la civilisation capitaliste occidentale. Et puis le RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire) a été fondée en 1992 : il ne sera pas dit que nous nous laissons faire.
éditions de Beaugies où l'on peut se procurer ce livre : 205, rue de Fey 60640-Beaugies-sous-bois
prix fort réduit (11€ pour 272 pages, 13 euros avec le port)