Dans Ecologie, la fin (2012), Christian Gerondeau redéploie son « paradoxe » déjà énoncé dans CO2 : un mythe planétaire (2009) : vouloir la réduction des émissions de gaz à effet de serre est idiot car l’homme utilisera inexorablement toutes les énergies fossiles, les besoins des pays émergents faisant loi. Il est vrai que Gerondeau est contradictoire, croyant au progrès techno-scientifique d’un part, mais fataliste d’autre part puisqu’il n’y aurait rien à faire contre nos émissions de gaz à effet de serre. Le problème, c’est qu’un tel discours incite bien à ne rien faire contre le réchauffement climatique.
Christian Gerondeau appartient à la secte climato-sceptique qui pratique la religion du progrès et de ses illusions. Il n’a aucun sens des limites de la planète, aucune conscience de l’épuisement des ressources du sol et du sous-sol. Il croit que son dernier livre marquera la fin de l’écologie alors que l’écologisme sera la grande nécessité du XXIe siècle. Comme les autres écolosceptiques, il attaque dans « Ecologie, la fin » aussi bien Rachel Carson que le Club de Rome, les malthusiens, les éoliennes et surtout le GIEC. Gerondeau est un marchand de doute au service du capitalisme libéral, pro-nucléaire bien entendu et baignant dans un positivisme sans faille contre ceux qui ont une « vision négative » de l’avenir de la planète. En fait il veut nous mener au désastre puisque son discours peut se résumer ainsi : « Dormez, braves gens, dorme, il n’y a rien à faire contre le réchauffement climatique, nous avons beaucoup de gaz de schiste et de sables bitumineux, c’est l’abondance pour un siècle ». Gerondeau n’est pas capable de se projeter plus loin dans le temps, après lui le déluge !
Soyons clairs, non seulement ses livres ne sont pas crédibles, mais ses propos sont dangereux. Une ministre française de l’Environnement s’adressait ainsi à Christian Gerondeau après une émission télévisée : « Vous n’êtes pas dans le rôle du méchant, vous êtes le méchant. » Une autre ministre, de l’autre bord politique, a demandé à Gerondeau au cours d’une émission radiophonique s’il aimait ses petits-enfants pour oser affirmer que nous ne pouvions rien à l’accroissement des émissions planétaires de CO2. Mais Gerondeau nous apparaît imperméable à toute remise en cause. Il est vrai que son âge (il est né le 23 mars 1938) et ses diplômes (Polytechnique et Pont et Chaussées) ne le préparent pas à un questionnement sur les limites de la société thermo-industrielle. Il a été même président de la Fédération française des automobiles clubs, donc intoxiqué par la voiture et la nécessité du pétrole. Voici quelques critiques que nous formulons contre son dernier livre.
1/5) Gerondeau, un membre de la secte climatosceptique
A propos des analyses du GIEC, nous avons échangé par mail avec Stéphane Foucart, journaliste scientifique au MONDE, sur les assertions de Christian Gerondeau. Voici le résultat :
- Notre questionnement : « Nous voudrions avoir votre avis sur le dernier livre de Christian Gerondeau, « Ecologie, la fin » (édition Toucan, mai 2012). Par exemple est-il vrai que « les ONG écologistes interviennent de droit dans le choix des experts du GIEC (p. 39). » Cette assertion revient en boucle dans le livre : « Les ONG écologistes (Greenpeace, WWF, les Amis de la Terre, etc.) interviennent de droit dans le choix des experts du GIEC et n’hésitent pas à faire nommer leurs propres membres dès qu’il s’agit d’élaborer les conclusions des rapports du GIEC. (p. 39) » ; « Les responsables du GIEC sont en réalité depuis l’origine associées aux ONG écologistes telles que dont ils partagent les convictions (p.53). » ; « Chacun peut vérifier en se rendant sur l’Internet que le choix des experts des rapports du GIEC est effectué conjointement par les gouvernements et les ONG écologistes telles que Greenpeace qui disposent de facto d’un droit de veto. (p. 63) » ; « Sur la première page qui ouvre le site Internet du GIEC (IPCC), figure un schéma qui montre que les grandes ONG écologistes (Greenpeace, WWF, les Amis de la Terre, etc.) participent au choix des "experts indépendants" qui préparent les rapports. (p.187) »
Stéphane Foucart : « Ces faits sont imaginaires, le livre de M. Gérondeau en est farci. Les ONG écologistes n'interviennent pas de droit dans le choix des experts du GIEC, c'est une grossière contre-vérité que propagent des think tanks ultra-conservateurs américains et que M. Gérondeau relaie avec servilité. La seule implication des ONG dans le processus du GIEC est que leurs experts peuvent adresser des commentaires aux auteurs des différents chapitres des rapports, mais les experts d'entreprises ou de gouvernements le font également, dans le cadre d'un processus de peer review étendu.
- Notre questionnement : Est-il vrai qu’il y a « stagnation de la température terrestre depuis une dizaine d’années » (p.147), assertion formulée ainsi par Gerondeau p.120 : « Depuis le précédent rapport du GIEC, la température de la Terre s’est engagée dans une nouvelle phase d’évolution : elle s’était stabilisée et avait même plutôt tendance à décroître. »
Stéphane Foucart : Quant à l'affirmation selon laquelle la Terre est entrée dans une phase de refroidissement depuis 2007, c'est une plaisanterie. Les fluctuations inter-annuelle des températures peuvent par phase donner des signes de tassement mais la seule manière d'apprécier les tendances est d'observer les courbes établies avec une moyenne glissante comme c'est le cas ici, avec les quatre principaux jeux de données (CRU, NCDC, GISS, BEST) http://tinyurl.com/bpljcm8
2/5) Gerondeau, adepte de la croissance sans limites
Contre le rapport de 1972, Limits to Growth, Christian Gerondeau s’esclaffe : « Les auteurs ont commis une erreur classique : ils ont simplement prolongé les tendances du passé. Ils n’avaient pas tenu compte de la capacité d’adaptation des hommes et des potentialités du progrès. De nouvelles ressources énergétiques furent découvertes, la démographie mondiale s’effondra, les rendements agricoles firent des progrès insoupçonnés et le développement technique atteignit une ampleur que personne n’avait imaginée. »*
Un des auteurs du rapport de 1972, Dennis Meadows, lui répond indirectement lors d’un entretien récent avec le quotidien LE MONDE** : « Tout scientifique comprend qu'il y a des limites physiques à la croissance de la population, de la consommation énergétique, du PIB, etc. Pourtant, l'idée commune est, aujourd'hui encore, qu'il n'y a pas de limites. Pour les économistes, le seul outil est la croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance. Or la croissance va s'arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie en raison de facteurs externes, comme l'énergie. L'énergie a une très grande influence. La production pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n'y a pas de substitut rapide au pétrole pour les transports, pour l'aviation... La Chine a considérablement détérioré son environnement, en particulier ses ressources en eau, et les impacts négatifs du changement climatique sur ce pays seront énormes. Certains modèles climatiques suggèrent ainsi qu'à l'horizon 2030 il pourrait être à peu près impossible de cultiver quoi que ce soit dans les régions qui fournissent actuellement 65 % des récoltes chinoises...
Les politiciens sont élus pour peu de temps. Leur but est de paraître bons et efficaces pendant leur mandat; ils ne se préoccupent pas de ce qui arrivera ensuite. Supposons que je sois un magicien : la première chose que je ferais serait d'allonger l'horizon de temps des hommes politiques. Pour qu'ils ne se demandent pas quoi faire d'ici à la prochaine élection, mais qu'ils se demandent : « Si je fais cela, quelle en sera la conséquence dans trente ou quarante ans ? » Si vous allongez l'horizon temporel, il est plus probable que les gens commencent à se comporter de la bonne manière. »
* Christian Gerondeau, Ecologie, la fin (édition du toucan, 2012)
** interview par LE MONDE du 26 mai 2012, La croissance mondiale va s'arrêter
3/5) Gerondeau-Obama, cornucopiens* dopés au gaz de schiste
Pour Gerondeau, aucune crainte d’un blocage énergétique à prévoir car nous avons de « L’énergie à revendre » (titre du chapitre 7) : le progrès technique ouvre l’accès à d’importantes sources de pétrole qui éloignent de nombreuses décennies la perspective de son épuisement… La fin du charbon n’est pas envisageable avant le XXIIe siècle… Le gaz de schiste couvrira les besoins des USA pendant bien plus de 100 ans. » Notons que Gerondeau n’envisage que des sources d’énergie non conventionnelles, affreuses pour l’environnement : sables bitumineux, biocarburants ou gaz de schiste. Gerondeau comme d’habitude aligne les contre-vérités : « Sur le plan des pollutions locales, le gaz naturel est très propre car il n’émet pas d’oxydes de soufre ni de particules (p.206)... Des milliers de puits sont forés chaque année sans conséquences négatives aux Etats-Unis (p.210)… Il n’existe aucune preuve que le CO2 émis par le gaz de schiste ait une influence significative sur le climat (p. 212) »
Il est vrai que le président Obama avait aussi fin janvier 2012 célébré le gaz de schiste : « Nous avons presque 100 ans de réserves de gaz naturel et mon administration va faire tout ce qui est possible pour développer cette énergie… On n'a pas besoin de choisir entre notre environnement et notre économie. » M. Obama a glorifié la technique de fracturation hydraulique qui, dit-il, n'aurait pas vu le jour sans l'appui de fonds publics. Comme Obama n’est pas à une contradiction près, il a aussi exhorté le Congrès à mettre un terme aux subventions à l'industrie pétrolière. Comme si gaz et pétrole n’étaient pas de la même engeance !
Critiquons l’aspect climatosceptique de Gerondeau-Obama grâce aux dernières études scientifiques. L’exploitation du gaz de schiste a un bilan en gaz à effet de serre équivalent, voire supérieur à celui du charbon**. En effet la fracturation de la roche en traîne un relâchement important de méthane, un gaz dont le coefficient de réchauffement est vingt-cinq fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Cela s’accompagne en outre de la formation de nombreux autres hydrocarbures nocifs pour la santé. Critiquons la perspective temporelle de Gerondeau-Obama qui se limite à un siècle à peu près ; la première chose à faire est d'allonger l'horizon temporel des hommes politiques. Votons pour des candidats qui pensent surtout aux générations futures…
* Un cornucopien est un illusionniste qui estime que les innovations technologiques permettront à l'humanité de subvenir éternellement à ses besoins matériels. Le terme lui-même vient du latin cornu copiae signifiant corne d’abondance.
** LE MONDE du 30 mai 2012, L’exploitation du gaz de schiste serait aussi nocive pour le climat que le charbon
4/5) Gerondeau, fabriquant de doute contre Rachel Carson
Gerondeau s’attaque aussi aux fondamentaux de l’écologisme : « C’est il y a 50 ans que l’écologisme sous sa forme moderne quasi-religieuse a pris son essor. En 1962, une biologiste américaine allait publier sous le titre Printemps silencieux un livre au retentissement planétaire… Victime de cécité écologique, Rachel Carson ne voyait que le côté négatif du DDT… Rachel Carson ne prend en compte que les oiseaux et ignore les hommes, inversant ainsi ce qui constituait depuis toujours l’ordre considéré comme naturel des choses… (p.70-71) ». Gerondeau n’a pas peur de se contredire en citant un discours de Rachel Carson en 1963 : « Nous exposons des populations entières à des produits chimiques dont nous savons qu’ils sont extrêmement toxiques. Ces expositions commencent désormais dès la naissance et se poursuivront tout au long de l’existence (p.73). Mais Gerondeau privilégie les « 25 millions de personnes, essentiellement des enfants africains, morts du paludisme alors que le DDT aurait pu l’éviter (p.74). » L’anthropocentrisme de Gerondeau est limité !
En fait Gerondeau reproduit la vulgate anglo-saxonne des marchands de doute. Rappelons que l’industrie des pesticides a tenté de présenter Rachel comme une femelle hystérique alors que son travail fut validé par le Conseil scientifique du président américain. Puis c’est l’EPA qui conclut en 1972 que les preuves scientifiques étaient suffisantes pour justifier l’interdiction du DDT en Amérique. Mais depuis lors jusqu’à aujourd’hui, Internet est inondé d’assertions selon lesquelles Carson fut une meurtrière de masse, pire qu’Hitler… parce que la malaria, avec l’interdiction du DDT, aurait tué des millions d’africains.
Comme les sources documentaires de Gerondeau sont quasi-exclusivement Internet, il n’est pas étonnant que son livre reprenne de telles positions. Mais aucun passage de son livre ne prouve qu’il ait lu la moindre ligne de Silent Spring. Nous conseillons à Christian Gerondeau de lire le chapitre 7 du livre de Naomi Oreskes et Erik Conway, « Les marchands de doute » (la négation frappe à nouveau : l’attaque révisionniste contre Rachel Carson). Par exemple, p. 388 : « Le DDT a imposé d’énormes coûts externes à travers la destruction des écosystèmes ; les pluies acides, le trou d’ozone et le réchauffement climatique ont fait de même. Tel est le fil commun qui relie ces divers enjeux : tous sont des échecs du marché. » Gerondeau est un défenseur aveugle du système libéral actuel.
5/5) Psychanalyse des écolosceptiques genre Gerondeau
La tendance à persévérer dans son idée a été explicitée dès 1947 par le psychologue américain Kurt Lewin, le théoricien de la dynamique de groupe. C’est l’effet de gel : la décision de se comporter de telle ou telle manière étant prise, elle va en quelque sorte geler l'univers des options possibles et conduire quelqu’un à rester sur son opinion première. Une personne comme Gerondeau, connu pour ses positions iconoclastes, croit que son premier choix d’écolo-sceptique est le bon. Il s’est engagé sur cette voie vis-à-vis de lui-même et face aux autres. Malgré les erreurs faites et les démentis provoqués, il persévère pour ne pas perdre la face. Puis il n’ose plus se dédire. Ensuite il rationalise ses errements. Enfin il se justifie en accusant les autres de ses propres délires : « Quant à nous, Français, tant que nous continuerons à céder aux objurgations de la secte verte qui nous conduisent à la ruine écologiste, il sera inutile d’espérer redresser notre pays (p.8)… Quant à notre pays, il n’en sortira pas tant qu’il n’aura pas renié la religion verte (p.297, dernier mots du livre). » Gerondeau, un religieux croissanciste qui traite les autres de religieux.
Pour renforcer ses errements, Christian Gerondeau s’appuie sur ceux qui pensent comme lui, la secte écolo-sceptique. Il ne fait que répéter en boucle ce que Bjorn Lomborg écrivait déjà en 2002 dans The Skeptical Environmentalist : Rachel Carson se trompe avec le DDT… le réchauffement climatique n’est pas un problème grave… il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour le futur. Lorsque vous expliquez aux écolo-sceptique que la société thermo-industrielle provoque des effets majeurs sur la planète, que disent-ils ? « Revenez dans cent ans, pour le moment tout baigne. » Mais il sera alors trop tard pour agir. Plus nous attendons, plus les problèmes s’aggravent, augmentant ainsi le risque que les gouvernements aient à prendre les mesures draconiennes que les conservateurs craignent par-dessus tout : pour contrôler les ressources, les gouvernements devront contrôler les gens. Les marchands de doute obtiendront l’effet même qu’ils redoutaient. Gerondeau et consorts apparaîtront alors pour ce qu’ils sont vraiment, des créateurs de catastrophe.