Ce livre est centré sur la critique de l’économie verte plus que sur le fait que la nature n’est pas une sous-partie de l’économie monétaire. Dommage, il y a tromperie sur le contenu. Voici quelques extraits spécifiques à la financiarisation de la nature :
Nous sommes parties prenantes des mouvements qui s’opposent à la transformation de la nature en biens économiques et en produits financiers. Comme si la vie pouvait être un produit de synthèse, détaché de la nature. Nous luttons pour la récupération des communs. La domination de la nature, son appropriation, la guerre qui lui est livrée accompagnent la domination de l’homme sur l’homme : propriété agraire et expropriation des paysans, liquidation de l’artisanat, soumission du travail industriel aux exigences du profit et au rythme des machines, droits de propriété sur le vivant, captation de la reproduction de la vie, marchandisation de l’alimentation, extraction frénétique des ressources du sous-sol et dévastation des territoires, des peuples et de leurs cultures, destruction de la diversité sous toutes ses formes.
L’illusion d’une déconnexion de l’activité économique de sa base matérielle a accompagné l’ouverture de nouveaux champs d’expansion du capitalisme. La destruction de la nature ne serait pas atténuée si un prix du marché lui était attribué, comme le réclame les partisans de l’économie verte. Ce n’est pas à l’absence de prix du marché qu’il faut remédier, mais au contraire donner tout son poids au fait que la nature comme la vie sont tellement essentielles qu’elles n’ont pas de prix.
Les années 1980 inaugurent un deuxième mouvement d’enclosure. Le processus d’accaparement des communs avait démarré en Angleterre au XIIIe siècle pour s’accélérer à partir du XVIe : transformation la propriété commune de la terre en propriété privée, clôturée, et l’activité agricole en capitalisme agraire. On croit de nouveau à la fin du XXe siècle à la « tragédie des communs », comme le proclamait Garett Hardin en 1968 dans la revue Science : comme la densité démographique a augmenté, l’idée de libre accès doit être abandonnée car elle a pour conséquence la surexploitation des biens communs et ne peut conduire qu’à la tragédie de leur disparition. Ce courant s’affirme politiquement au début des années 1980 avec la dérégulation reaganienne. Dans le cadre des négociations de l’Uruguay Round, qui débute en 1986, on aboutit à la légalisation des communs. En 1994 on inaugure l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et l’ADPIC (Accord sur les droits de propriété industrielle et commerciale).
Lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992, on se trouve aussi imprégné de l’idée selon laquelle seuls des biens privés peuvent être correctement entretenus. La sacralisation du marché et de la propriété privée allait de pair avec la dévalorisation du domaine public et des communs. L’article 16.5 de la CDB (Convention sur la diversité biologique) adoptée à Rio assure la brevétisation généralisée du vivant. Il s’agit d’une méthode réductionniste, réduisant un tout organique à des parties fragmentées, séparables et substituables, préalable à la marchandisation. Notons que la CDB n’a pas permis de ralentir la sixième extinction des espèces actuellement en cours. Pourtant la banque mondiale, la PNUE, l’OCDE persévèrent dans l’erreur avec la Plate-forme de connaissance sur la croissance verte (janvier 2012 à Mexico) : on veut encore inclure la nature dans le cycle de l’économie. Tout au contraire l’économie est incluse dans un ensemble plus vaste, la biosphère, qui la dépasse et la contraint (René Passet).
Répondre véritablement au défi de la crise de la biodiversité implique de poser des limites à l’expansion de la sphère économique et marchande. Les résistances les plus significatives sont celles qui s’opposent à l’extraction des ressources naturelles, à la culture des agrocarburants, aux OGM, au piratage de la biodiversité, à la transformation des forêts en pourvoyeurs des crédits de carbone, à la réduction de l’eau à une ressource économique, à l’urbanisation délirante et à l’accaparement des terres. Ces mouvements expriment clairement leur refus de l’économie verte. Multidimensionnelle, la crise systémique que nous traversons appelle un changement de paradigme civilisationnel. La perspective portée par les organisations indigènes est d’introduire les notions d’interdépendance entre l’humanité et les écosystèmes, de reconnaître l’existence de cycles naturels qui ne peuvent être rompus. L’anthropocentrisme des philosophies modernes est donc questionné en son cœur. En effet, la nature n’est pas valorisée en fonction de son utilité pour les êtres humains mais par ses qualités intrinsèques. Dans la constitution équatorienne, la nature « a droit à ce que soient pleinement respecté son existence, ainsi que le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs ».
Il s’agit entre autres de remettre en cause et déconstruire l’imaginaire extractiviste. Il s’agit plus globalement de se réapproprier les communs. L’existence de ressources communes, de communs, contrairement à ce que disait Hardin, ne signifie en rien le libre accès et la gabegie. Comme l’a montré Elinor Ostrom, les ressources en commun sont gérées par des communautés aux tailles variables, qui fixent des règles écrites ou coutumières pour leur utilisation, afin d’en permettre l’accès aux membres de la communauté et d’en assurer le renouvellement.
(éditions les liens qui libèrent)