Robert Costanza, Gar Alperovitz, Herman E.Daly, Joshua Farley, Carol Franco, Tim Jackson, Ida Kubiszewski, Juliet Schor, Peter Victor
Editions Les petits matins, 230 pages, 14 euros, traduction française 2013
Ce livre a été publié en 2012 pour les Nations unies et en leur nom. Il est significatif de la montée en puissance chez les Anglo-saxons des « économistes écologistes ». Non seulement les différents auteurs montrent que les économistes « standards » font fausse route en se polarisant sur le PIB et la croissance économique, mais ils proposent aussi des solutions alternatives dans tous les domaines, monétaire, budgétaire, fiscal, réglementaire, etc. Il s’agit de diminuer la consommation de ressources non renouvelables et d’économiser les autres. L’objectif est clair, établir une « société de croissance du bien-être désirable ». C’est pour les auteurs la seule voie possible pour éviter l’effondrement du modèle BAU (Business as usual) qui ne respecte pas les limites de la planète. Même si cet élément est diffus tout au cours du livre, la prise en compte de la relocalisation des activités n’est pas oubliée ainsi que l’émergence des communautés de transition. Petit bémol, ce livre n’échappe pas à la survalorisation de l’action étatique « macroéconomique » et d’une gouvernance mondiale qui se révèle pourtant jusqu’à présent illusoire. Cependant, comme le contexte temporel est une vision de long terme, les propositions de ce livre pourraient effectivement entrer en vigueur. Vivement 2050 !
Ce livre au contenu complexe devrait se trouver sur la table de chevets de tous les politiques qui nous gouvernent. Il leur donne les moyens de penser la nécessaire transition écologique. Dommage qu’en France il ne se trouve pas encore d’économistes écologistes influents. Voici quelques extraits :
1/5) Définition d’une économie écologique
Nous proposons un nouveau modèle économique dont voici les grandes lignes :
1) Notre économie matérielle est intégrée dans une société elle-même assimilée à notre système écologique de soutien de la vie. Alors, pour comprendre et gérer correctement notre économie, nous devons avoir au préalable une parfaite compréhension de l’ensemble du système écologique et de ses interconnexions.
2) La croissance et le développement ne vont pas toujours de pair. Un véritable développement doit être défini en termes d’amélioration du bien-être soutenable, et non uniquement en termes d’augmentation de la consommation matérielle.
3) Un juste équilibre doit être trouvé entre actifs naturels et humains d’une part, et la fabrication d’actifs produits d’autre part. Le capital est un patrimoine qui nous vient du passé et qui contribue au bien-être des générations présentes et futures.
L’économie écologique est la seule voie qui permette à l’humanité de rester dans les limites de l’espace de fonctionnalité sécurisé de la planète. Nous devrons stabiliser le niveau de population, partager plus équitablement les ressources, le revenu et le travail. Nous devrons créer de meilleurs indicateurs du progrès, réformer les systèmes fiscaux de façon à taxer ce qui est « mal » et non les biens, et favoriser les innovations technologiques dédiées au bien-être et non plus à la croissance. Enfin nous devons nous détourner de la culture de la consommation. En résumé, nous devons entreprendre une refonte totale de notre système. Nos propositions ne sont en rien un fantasme utopique, c’est le statu quo qui relève aujourd’hui de l’utopie.
2/5) Le sens des limites contre les techno-optimistes
Les techno-optimistes et bien d’autres ignorent l’accumulation de preuves qui attestent d’une dégradation mondiale de l’environnement et de la dérive climatique. Le PIB minimise la raréfaction des ressources, ignore les dommages de la pollution et ne parvient pas à mesurer l’évolution réelle du bien-être. L’espérance de vie en hausse, en l’absence de réduction du taux de natalité, est aussi synonyme d’accélération de la croissance démographique et d’exacerbation des problèmes environnementaux. Les systèmes complexes comme le nôtre présentent souvent des changements rapides et non linéaires, d’où les conséquences incertaines du réchauffement climatique. Les preuves du recul des forêts tropicales ne cessent de s’accumuler.
Voici les neuf secteurs pour lesquels la définition de limites planétaires s’avèrent urgentes : le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, l’excès de production d’azote et de phosphate, la diminution de la couche d’ozone, l’acidification des océans, la consommation mondiale d’eau douce, la pollution de l’air et la pollution chimique. D’après Johan Rockström, l’humanité aurait déjà franchit trois de ces limites, elle serait en train de se rapprocher à grand pas de plusieurs autres.
3/5) Une croissance démographique invasive
Les humains font partie intégrante de la nature. Si la nature peut exister sans capital bâti, l’inverse n’est pas vrai. Il existe de ce fait une hiérarchie fondamentale entre les capitaux qui limite le degré de substituabilité entre le capital bâti et le capital naturel. En conséquence, il est impossible d’envisager le capital bâti et le capital naturel comme de parfaits substituts. Il serait plus judicieux de considérer ces capitaux comme complémentaires plutôt que comme substituables.
Notre croissance démographique se fait au détriment des autres espèces, alors même que nous commençons juste à prendre conscience de notre dépendance vitale vis-à-vis de la biodiversité. La conversion des terres détruit l’habitat des autres espèces, accélère la perte de biodiversité et, couplée à l’extraction des ressources et aux émissions de polluants, réduit les services éco-systémiques de soutien de la vie humaine. La nature est peuplée d’un nombre incalculable d’espèces dont beaucoup sont sensible, font preuve d’émotions et sont capables d’apprendre et de vivre au sein de sociétés qu’elles ont elles-mêmes organisé. Respecter tout type de vie, c’est admettre que l’ensemble de la nature a des droits. Les reconnaître est un préalable à une juste répartition des ressources.
Le capital humain est inévitablement lié aux questions démographiques. La population doit être stabilisée à un niveau compatible avec l’espace de fonctionnement sécurisé de notre planète. La planification familiale s’avère être d’un excellent rapport coût-efficacité : les Nations unies ont ainsi montré que chaque dollar investi dans la planification des naissances permet à terme d’économiser de deux à six dollars sur d’autres objectifs de développement. On estime qu’un tiers des naissances dans le monde est le fruit de grossesses non désirées. Plus de 200 millions de femmes vivant dans les pays en développement préféreraient retarder leur grossesse suivante, voire ne pas avoir d’autres enfants. Malheureusement, de nombreux obstacles empêchent ces femmes d’assurer leurs choix : absence d’accès aux contraceptifs, valeurs culturelles ou opposition des membres de la famille. La stabilisation voire la réduction de la population mondiale pourrait nous permettre d’atteindre nos objectifs.
4/5) Contre la voiture… et la publicité
Chacun sait qu’il est injuste d’imposer des coûts à la société aux seules fins d’obtenir un gain privé. Ce changement d’angle nous permet de nous sevrer de notre dépendance aux véhicules polluants, souvent occupés par une seule personne. En 2050, nous n’avons plus besoin de voitures, mais de transports. L’homme s’est affranchi des hydrocarbures. Les ressources renouvelables couvrent désormais quasiment tous les besoins en énergie du globe. Quelques personnes, il est vrai, détiennent toujours des véhicules privés, mais ceux-ci sont très chers et leurs propriétaires assurent une large proportion des coûts liés à l’entretien des routes. La construction de nouvelles infrastructures routières s’avère inutile. Il est rare de voir un véhicule occupé par une seule personne. Il n’y a plus d’embouteillages. Quand l’individu s’est séparé de sa voiture, les répercussions ont été multiples. Se rendre au travail, faire ses courses, rejoindre les espaces communautaires ou un espace naturel à pied ont permis à chacun de se rencontrer.
La disparition d’un environnement hyper-compétitif a permis de faire considérablement régresser l’industrie publicitaire. Ainsi l’argent dépensé pour convaincre les consommateurs d’acheter une marque plutôt qu’une autre peut maintenir servir à améliorer la qualité des produits (ou peut ne pas être utilisé du tout). Nous pouvons envisager une politique réglementaire pour réduire notre niveau de consommation. Une réglementation sur la publicité pourrait conduire à modifier les préférences individuelles ou sociétales. La publicité pour les biens positionnels pousse les citoyens à accroître leurs revenus afin qu’ils puissent assouvir des désirs créés de toutes pièces. Il peut également être envisagé d’interdire la publicité à destination des enfants dan les lieux publics, dans certaines zones géographiques ou à certaines périodes de l’année, d’instaurer une taxe publicitaire. Un tel impôt est pleinement justifié : en effet la publicité peut être considérée comme une externalité à internaliser.
5/5) Vers des communautés de transition
Les gigantesques villes sont maintenant formées de petites communautés géographiquement proches mais qui assurent de manière séparée le logement, l’emploi, les besoins de loisirs et d’achat de ses habitants. Le principe de « proximité de 20 minutes (à pied) » de tous les services de base a été adopté pour re-conceptualiser les villes. Les jardins potagers privés abondent et assurent une proportion importante des besoins alimentaires de la communauté. Ce sont souvent les municipalités qui assurent localement la production, l’approvisionnement et la distribution d’une énergie renouvelable. Le tissu industriel est essentiellement constitué de petites entreprises locales et de coopératives. Désormais le producteur et le consommateur de biens se connaissent. Le traitement des déchets est géré au niveau local. La mise en circulation d’une monnaie locale participe également au maintien de la production et de la consommation à l’échelle locale.
Avec des communautés plus petites, la démocratie participative est vue comme un privilège et non comme une corvée. Les citoyens se réunissent régulièrement pour aborder les différentes questions de société et trouver des solutions. Cette forme de gouvernance renforce les liens. Nous pouvons trouver l’inspiration dans la multitude des expériences locales apparues ces dernières années à travers le monde : mouvement des villes en transition, réseau mondial des écovillages, ONG Sustainable Cities Internatinal, Democray Collaborative, etc.
Le problème auquel nous nous heurtons vient du fait que nous vivons à l’heure de la mondialisation. Difficile en conséquence de changer de trajectoire. Un changement complet, qui exigera probablement un effondrement – au moins partiel –de l’ordre actuel sera nécessaire.
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