écosociété, 82 pages, 7 euros
Les auteurs de cet opuscule souhaitent ardemment que les Initiatives de transition se multiplient et connaissent un grand succès. Mais selon eux, quand on mène des luttes locales, il y a toujours un danger de perdre de vue la perspective plus globale. Voici un résumé de ce dilemme. Personnellement nous pensons que l’action locale n’empêche en rien de penser global, ce qu’indique l’expression « glocal ». Réciproquement on peut agir au niveau international sans oublier qu’il est important que des personnes mettent en œuvre une communauté de résilience là où ils se trouvent. N’opposons pas les actions de mondiales Greenpeace et la Transition de la ville de « Totnes», cela forme vraiment deux pôles d’action politique absolument complémentaires.
1/2) critique du mouvement des villes en transition
L’idée des Initiatives de transition est de créer un modèle avec lequel tout le monde serait d’accord. Or notre société est composée de classes sociales antagonistes avec des intérêts fort différents. Beaucoup de luttes passées ont démontré que les groupes au pouvoir feront tout pour s’accrocher à leur position. Un autre principe de la Transition est aussi matière à controverse, à savoir celui de la coopération avec les autorités locales. Or les Agendas 21 locaux par exemple se sont perdus dans les limbes des structures institutionnelles locales pour devenir un simple outil d’éco-blanchiment du modèle économique conventionnel. De plus les Initiatives de transition pourraient se retrouver à gérer des portions de programmes sociaux (jardins communautaires, programmes d’alimentation locale…), dégageant encore davantage les autorités de leurs responsabilités.
Beaucoup d’avancées locales peuvent être accomplies sans pour autant s’additionner pour assurer une véritable transition, substantielle et globale. Il est utile de faire la différence entre les avancées environnementales possibles dans un lieu et d’autre part les avancées globales dans un système. Il est probable que des initiatives collectives à faibles émissions de carbone coexistent tranquillement avec le système économique actuel, sans pour autant remettre en question les causes du problème comme la concentration du pouvoir entre les mains de quelques multinationales. Comment discuter des changements climatiques et du pic pétrolier sans parler de politique ? Un peu partout sur la planète, au Nigeria, en Géorgie, au Mexique ou en Alaska, des gens affrontent les multinationale de l’énergie. Dénoncer les grandes compagnies internationales devrait occuper une place centrale dans la Transition. Cela implique de s’opposer au pouvoir et à ceux qui détiennent richesse et influence. S’engager à ne pas jouer les trouble-fête revient à ne rien changer du tout.
Le besoin d’augmenter sans cesse la production économique est la véritable cause des changements climatiques, et c’est seulement lorsque les règles du jeu seront changées que l’on pourra s’attaquer aux concentrations en dioxyde de carbone. Un mouvement radical d’action directe pour le climat commence à prendre forme. Les actions d’éclat secouent les gens et les amènent à se remettre en question. Par exemple on a tenté d’arrêter une centrale thermique au charbon en Grande-Bretagne.
La lutte contre la montée des groupes extrémistes de droite anti-immigrants sera un élément clé pour une transition socialement juste. Nous devons développer une approche transnationale dans l’organisation de nos collectivités locales. Une chose est certaine, nous ne voulons pas nous réveiller un matin dans un Etat policier « vert » parce que nous nous serions précipités aveuglément dans la protection de l’environnement. Là nous trouverions une sorte de version écologique du futur dépeint dans le film Children of Men, une Europe forteresse qui exclut les étrangers sous prétexte qu’ils mettraient trop de pression sur nos ressources, un rationnement strict des émissions de carbone contrôlées par le gouvernement, une planification contraignante et centralisée de la production et de la consommation. Pour nous, il reviendrait à des conseils de producteurs et de consommateurs de se mettre d’accord sur la quantité et le type de biens à produire pour un travail porteur de sens, intéressant et payé équitablement.
2/2) réponse de Rob Hopkins aux auteurs
« Un écologisme apolitique ? » montre comment la gauche radicale perçoit notre mouvement. Mais Paul Chatterton et Alice Cutler ont omis de lire « Le manuel de Transition » comme ils n’ont discuté avec aucun praticien de la Transition.
L’une de leurs critiques de la Transition est qu’elle n’ose pas affronter directement ce qu’ils perçoivent comme l’ennemi. Les individus que constituent les rouages de ces forces mondiales en sont prisonniers autant que quiconque et l’on ne gagne rien en les diabolisant. La Transition est résolument inclusive parce qu’il nous semble évident que pour faire face aux chocs du pic pétrolier et des changements climatiques il faudra nécessairement réunir un grand nombre de personnes et d’organisations, au lieu de continuer à diviser et provoquer des antagonismes. La Transition recherche ce qui fait consensus plutôt que ce qui divise. Le choix du militantisme d’affrontement, « nous contre eux », est profondément malhabile.
Je pense que « secouer les gens » pour qu’ils remettent en question leur mode de vie réussira à provoquer une réflexion chez une poignée d’entre eux, mais réussira surtout à durcir les opinions de la majorité. Au lieu d’expliquer pourquoi il ne faut pas prendre l’avion, nous avons utilisé la technique du bocal à poisson qui crée une espace d’échange respectueux où les participants peuvent exprimer leur relation avec les voyages en avion, ce qui leur manquerait s’ils y renonçaient, etc.
L’accent sera mis sur la dimension locale plutôt que mondiale, non pas parce qu’on l’aura choisi, mais parce que ce changement est carrément inévitable puisque la mondialisation est impossible sans pétrole à bas prix. Que les actions pour contrecarrer les effets des problèmes mondiaux soient concentrées à l’échelon local ne signifie pas que nous ne voyons pas la nécessité d’un changement global. Mais agir à cette échelle fait également partie des fronts à investir. Et n’est pas parce qu’on n’affronte pas directement les forces capitalistes et les puissants conglomérats que l’on ne comprend pas les enjeux mondiaux et que l’on sera moins efficace.
Personnellement, j’ai toujours été inspiré par l’affirmation de Vandana Shiva selon laquelle « ces systèmes fonctionnent parce que nous leur accordons notre appui, mais si nous le leur retirons, ils ne pourront survivre ».