Grasset, 262 pages, 18 euros
Delphine Batho est née le 23 mars 1973. Elle a été Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Quelques éléments de son parcours tirés de son livre : « Je ne me suis pas engagé en politique à quinze ans pour faire carrière mais pour changer le monde. Depuis presque trente ans, depuis mon adolescence, j’attendais l’élection d’un président de gauche. Je n’imaginais pas une telle déconvenue. Voici le récit, étape par étape, de la façon dont l’influence des milieux financiers et industriels s’est installée au cœur du pouvoir. J’ai décidé de dire la vérité sur les dérives de la gauche au pouvoir et les raisons pour lesquelles j’ai été brutalement limogée par le premier ministre le 2 juillet 2013. »
Voici quelques autres extraits d’un livre qui pourrait marquer le début d’une véritable osmose entre les écologistes et les socialistes :
1/5) Chronique du limogeage
« Sur RTL, j’affirme sciemment le 2 juillet 2013 au matinque le budget du ministère de l’écologie était "mauvais”, car en baisse de 7 %. Faire de mon budget la plus forte coupe budgétaire de toute la loi de finances 2014 est lourd de sens politique. Quelques minutes plus tard, je reçois un SMS de Jean-Marc Ayrault :
« Tes déclarations sur ton budget sont inadmissibles, je te demande de rectifier. » Le secrétaire général de l’Elysée me rassure à moitié : « C’est Jean-Marc, tu comprends, il le prend sur le terrain de l’autorité… Le problème, c’est le risque que le Premier ministre veuille faire un exemple. » Au téléphone, le président de la République, François Hollande : « S’il y a un problème, c’est à moi qu’il fallait en parler. C’est moi qui ai été élu le 6 mai, me dit-il en accentuant le « moi ». »
Lorsque je fais valoir au Premier ministre que la transition énergétique ne peut se faire sans argent, il m’explique en gros que je devais me contenter des apparences. La conversation tourne court : « Il n’y a rien à négocier, rien à obtenir… Tu mets en cause notre action, la confiance est rompue » me dit-il. Je n’imaginais par le terme de mon CDD de ministre si proche. A 18h08, le communiqué de la présidence de la République tombe à l’AFP : « Sur proposition du Premier ministre, le président de la République a mis fin aux fonctions de Madame Delphine BATHO et a nommé Philippe MARTIN ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. » Qu’ai-je donc fait pour ne pas mériter une phrase de politesse ou de remerciement pour mon travail ? Jérôme Cahuzac, après sa démission forcée, avait été mieux traité. La passation de pouvoir avec Philippe Martin sera glaciale. Il me dit très aimablement que l’on n’a rien à se dire.
Je n’étais pas la bonne personne pour renoncer à la volonté de changement et me couler dans la résignation ambiante. Cher François (Hollande) : « Après m’avoir limogée, tu as dit « avoir des convictions c’est bien, agir c’est mieux ». » Aujourd’hui les Français n’ont ni les résultats de l’action, ni les convictions.
2/5) Pleins pouvoirs aux patrons avec un gouvernement socialiste
Je passe mes premières heures de ministre de l’Ecologie à essayer de démêler l’histoire de forage pétrolier de Shell en Guyane (qui a valu le limogeage de la ministre socialiste de l’écologie Nicole Bricq). Cette affaire est déjà révélatrice de la fébrilité du nouveau pouvoir vis-à-vis des entreprises de la World Company, ainsi que de la vision de Matignon sur tous les dossiers de ce genre. Il ne m’a pas fallu plus de quelques minutes pour comprendre que c’est sur le dossier du gaz de schiste que la pression sera majeure. Evidemment le contexte de crise économique va être instrumentalisé. Le premier appel téléphonique que je reçois en tant que ministre, c’est celui d’Arnaud Montebourg : « Tu sais, il y a le gaz de schiste, il faut qu’on en parle. Ils ont du gaz à 2 dollars aux Etats-Unis, ils vont relocaliser toute leur industrie. Il faut qu’on fasse pareil. La vérité, c’est qu’Ayrault et Hollande sont pour, mais qu’ils n’osent pas le dire… » Structurellement, Arnaud n’est pas écolo. Michel Sapin, fier d’assassiner le discours du Bourget, a proclamé en juillet devant un parterre d’économistes : « Mon amie, c’est la finance. » Maintenant les choses sont dites…
C'était le 14 mai 2014. Considérant que tout ce qui était fait dans le débat national sur la transition énergétique était insignifiant, Jean-Marc Ayrault a décidé d'organiser un dîner de patrons. Christophe de Margerie, le PDG de Total, arrive avec une heure de retard, mauvaise manière de montrer ostensiblement que le plus important autour de la table, c'est lui ! Il arrive, commande un whisky et plombe littéralement la discussion en monopolisant la parole. Lui et Henri Proglio accomplissent ensuite en duo un parfait petit numéro anti-transition énergétique. A l'un le pétrole, à l'autre le nucléaire. A aucun moment le Premier ministre ne procède ne serait-ce qu'un rappel des objectifs du gouvernement et des engagements du président de la République. Margerie pousse même jusqu'à me prendre comme tête à claque, avec ce sens de l'humour pinçant dont il s'est fait une spécialité... A la fin du dîner, Ayrault n'est pas plus avancé sur le fond du dossier. Cette rencontre ne servait à rien.
La démocratie participative fait peur aux entreprises. Dans leur esprit, il faut traduire « les entreprises ne sont pas assez associées » par « ce sont les entreprises qui doivent tenir la plume ». Pendant le Conseil des ministres, en mars 2013, François Hollande me passe un petit mot : « Evitons de parler du gasoil. » Quelques jours auparavant, la Cour des comptes avait pourtant enjoint au gouvernement de mettre fin à l’avantage fiscal du diesel. Je recevais du patron d’Areva une liste de « lignes rouges à ne pas franchir ». Lors de la réunion de clôture du débat national sur la transition énergétique, le gouvernement a cédé aux oukases du Medef qui a exigé que les 15 « recommandations » du débat deviennent une simple « synthèse des enjeux ». D’autant que ce débat a témoigné d’une convergence entre patronat et organisations syndicalises pour le statu quo.
La Bourse ne fera jamais le choix de la transition énergétique. Je sous-estimais, avant d’occuper les fonctions de ministre de l’Ecologie, la vigueur du lobby pétrolier en France. Les lobbies industriels sont forts et puissants. Mais ils sont surtout forts de la faiblesse des gouvernants en face d’eux.
3/5) Les raisons cachées du limogeage
Décembre 2012
Que Henri Proglio, qui préside EDF, défende son point de vue est une chose, qu'il gagne presque tous les arbitrages en est une autre. Ce que je refusais, il l'obtenait du Premier ministre directement. En décembre 2012, j'étais contre le transfert de cinq milliards de dette de CSPE (contribution au service public de l'électricité acquittée par les consommateurs) pesant sur les comptes d'EDF vers les consommateurs, soit 67 euros en moyenne pour chaque abonné à l'électricité, mais Matignon a arbitré en ce sens. J'étais pour exiger la présentation immédiate de la fermeture de Fessenheim en conseil d'administration d'EDF. Matignon était contre. J'étais contre la réduction du volume du programme de déploiement des compteurs communicants "linky", qui doivent permettre à chacun de pouvoir suivre en temps réel sa consommation. J'ai perdu l'arbitrage... Quand il est apparu que le projet de loi sur la transition énergétique renoncerait à se donner les moyens d'atteindre l'objectif du président de la République sur la réduction de la part du nucléaire, j'ai fini par appeler avec ironie Henri Proglio le "ministre fantôme" de l'Énergie pour dire à quel point ce n'est pas l'État qui dirige EDF, mais à l'inverse le patron d'EDF qui semble diriger l'État.
3 juin 2013
Je suis avec trois membres de mon cabinet en réunion dans mon bureau sur les permis miniers. Je veux repasser au peigne fin la situation puisque depuis plusieurs semaines une partie de mon équipe veut que je signe ces fameux parapheurs. De nouveau, j'épluche scrupuleusement chaque dossier. Les documents sont assez sommaires. Je pose des questions. Les informations sur les couches géologiques visées laissent à penser qu'il y a anguille sous roche. Surtout, la décision de Hess Oil d'attaquer devant la justice la décision de l'État d'interdire les forages horizontaux est surprenante. Je ne veux pas signer des permis d'exploration pour du gaz de schiste à mon insu.
"Vous devriez signer, Madame, me dit ma directrice de cabinet adjointe.
- Et pourquoi donc ? Je n'ai pas de garantie, lui répondis-je.
- Je crois que vous êtes obligée de signer, Madame, vous n'avez pas le choix, me conseille-t-elle.
- Je ne suis obligée à rien, répliqué-je fermement. J'ai pris l'engagement vis-à-vis du Premier ministre lors de la conférence environnementale qu'il n'y aurait aucune entourloupe. Il a dit lui-même que c'était ma responsabilité. Je ne signe pas. J'ai trop de doutes dans ce dossier. Je ne peux pas prendre le moindre risque qu'il y ait quelque part en France des forages en vue d'exploration pour du gaz de schiste et que la volonté du gouvernement soit roulée dans la farine "à l'insu de son plein gré". C'est ma responsabilité. Je ne signe pas.
- C'est-à-dire que... en fait j'ai eu un appel d'Emmanuel Macron, finit-elle par lâcher dans un soupir. J'aurais dû vous le dire.
- Hein ? Comment est-ce possible que le secrétaire général adjoint du président de la République vous appelle pour que je signe ces permis miniers là et que vous ne me le disiez pas dans l'instant ? Et en plus, vous me proposiez de signer ce parapheur sans me le dire ? lui demandé-je en colère, stupéfaite.
- Je crois qu'il faut signer, Madame, il vaut mieux pour vous, vraiment, me dit-elle très calmement, visiblement embarrassée.
- Et qu'est-ce qu'ils vont faire si je ne signe pas ? Me virer pour les beaux yeux de Hess Oil ? J'attends de voir ça, c'est impossible ! lui répondis-je en lui rendant les parapheurs, vierges de toute signature.
20 juin 2013
C’est un petit article publié dans le magazine Challenges le 20 juin 2013 : « Philippe Crouzet s’est lâché devant l’état-major de Vallourec USA. Sans jamais nommer Delphine Batho, il a dit et répété qu’elle était « a real disaster » dans sa façon de mener le débat sur la transition énergétique et de se positionner en antinucléaire. Et précisé que son influence au gouvernement allait décroître. Un propos à ne pas prendre à la légère : Philippe Crouzet est l’époux de Sylvie Hubac, directrice de cabinet de François Hollande. »
20 juin 2013
Les Hautes-Pyrénées et la Haute-Garonne sont ravagées par les inondations. Le président de la République décide de se rendre sur place et me demande de l'accompagner. Nous partons en avion pour Tarbes. Dans l'avion, à l'aller, nous parlons de choses et d'autres. Puis François Hollande glisse à un moment, amusé et sérieux à la fois : « Je connais déjà le nom de votre successeur, vous savez. » J'ai répondu : « Je n'en doute pas. »
2 juillet 2013
A 18h08, le communiqué de la présidence de la République tombe à l’AFP : « Sur proposition du Premier ministre, le président de la République a mis fin aux fonctions de Madame Delphine BATHO et a nommé Philippe MARTIN ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. »
4 juillet 2013
L’entreprise Vallourec a stipulé que « Philippe Crouzet n’a jamais fait aucun commentaire sur un éventuel départ du gouvernement de Delphine Batho » le 4 juillet au soir, quelques heures après ma conférence de presse sur mon limogeage, quatorze jours après la publication du journal Challenges.
4/5) Delphine BATHO, une véritable écolo
Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs d’enfant, la crise écologique est là. Il y a d’abord ce souvenir flou d’un séjour en Bretagne, au printemps 1978. J’ai cinq ans. J’étais trop petite pour me souvenir en détail de la catastrophe de l’Amoco Cadiz. Mais je me souviens comme si c’était hier de Tchernobyl. J’ai 11 ans. L’écologie n’a jamais été pour moi un combat séparé des autres, elle n’a jamais été un simple sujet parmi d’autres. Elle touche à l’intime, à l’amour de la nature, aux valeurs que m’a transmises ma famille. Chez nous on aime cultiver la terre, même un modeste potager, on s’extasie devant les fleurs, les couleurs, les senteurs. J’aimais aider pour faire les foins et traire les vaches, ramasser les myrtilles pour les confitures et les orties pour la soupe. L’amour charnel de la nature est quelque chose d’essentiel à mon existence, comme une forme de communion avec la planète.
Je suis depuis très longtemps carrément fan de Nicolas Hulot. J’ai vu tous les Ushuaïa, ou presque. En 2005, j’étais une des 650 000 signatures du « défi pour la Terre ». Enseigner l’écologie comme discipline en tant que telle dans les grandes écoles de la République devrait être une mesure de salubrité publique urgente pour servir les générations futures. Mais une bonne partie des élites n’a pas intégré que la planète est finie, limités, épuisée, que nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle de la raréfaction des ressources. Là est le cœur, le point précis du blocage de la vieille pensée socialiste concernant l’écologie. La raréfaction des ressources, qui est un fait indiscutable, n’est tout simplement pas admise. On est dans le plus total déni de réalité !
(En tant que ministre) je me retrouve investie de ce qui m’apparaît comme le ministère de l’avenir, du climat, du patrimoine naturel, du bien-être, et de tout ce qui constitue pour moi l’horizon d’un vrai projet de civilisation progressiste. De longue date je suis convaincue qu’il ne peut pas y avoir de sortie de crise sans changement de modèle et que c’est autour des enjeux écologiques que cette mutation doit s’organiser. Là est le cœur de mon désaccord avec le président de la République : la crise n’est pas conjoncturelle, elle est structurelle. Elle s’explique notamment par la crise énergétique et la raréfaction des ressources à l’échelle mondiale. L’importance que sont, aux côtés des facteurs de production travail et capital, l’énergie et les ressources est trop souvent mésestimée. Hélas les économistes classiques s’intéressent très peu à l’écologie et à l’économie des ressources, et n’intègrent pas l’énergie comme facteur de production. La crise financière et de la dette a fait passer au second plan celle de l’économie réelle, qui est profonde. Mon point de vue, c’est de penser que quelque chose de nouveau doit se construire autour des politiques de long terme.
5/5) Les rapports de Delphine Batho avec Europe Ecologie Les Verts
J’ai toujours défendu l’alliance Verts-PS. Dans mon esprit, il ne s’agissait pas d’une simple alliance électorale, mais d’une convergence sur le fond des projets. Force est cependant de constater que l’alliance, à partir du milieu des années 90, a encouragé la paresse intellectuelle du parti socialiste. La question écologique a été sous-traitée, et du même coup le PS s’est enfermé dans des certitudes productivistes. D’autre part les Verts ne se déterminent jamais en fonction de l’écologie, mais toujours en fonction de considérations politiciennes. Eux qui prétendaient faire de la politique autrement, ont reproduit les vieux comportements d’appareil, le même esprit tacticien où ce qui détermine tout ce sont les postes et non plus les idées.
Cette relation perverse entre les Verts et le PS a été poussée à son paroxysme par l’alliance des hyper-tacticiens François Hollande et Cécile Duflot. Combien de fois, sur des arbitrages importants, n’ai-je pas été confrontée au fait que Hollande ou Ayrault avaient passé un accord avec les Verts en deçà de ce que j’espérais obtenir. Ils objectaient à mes demandes « mais ce sont eux les écologistes, et ils sont d’accord » ! L’échec jusqu’ici du quinquennat Hollande sur l’écologie est aussi celui des Verts. Si un autre ministre avait été viré dans les mêmes conditions que moi, pour les mêmes prises de décision politiques sur le budget de l’écologie que celles que j’ai prises, je n’aurais pas pu rester au gouvernement. La réciproque ne fut pas vraie. Chacun pour soi, comme si des réussites personnelles pouvaient émerger d’un tel échec collectif. Un monsieur m’écrit : « Honte aux écologistes qui n’ont pas eu le courage de vous suivre. »
Au final, les écologistes apportent beaucoup moins à la gauche que ce qu’ils devraient. Et les Verts contribuent à marginaliser une idée et une valeur, l’écologie, potentiellement largement majoritaire dans la société. C’est un échec politique partagé que l’écologie ne soit pas devenue une priorité déterminante de la gauche. Il faut repartir de la base, tout repenser, et pourquoi pas, ouvrir la perspective d’un parti unique de la gauche et des écologistes. Tout commence par l’idéal. Nous, vous, moi, personne ne fait rien sans idéal, sans un imaginaire qui autorise à vouloir l’impossible. C’est autour d’un nouveau projet de civilisation écologique qu’il est possible d’ouvrir un nouveau cycle économie et de justice sociale. C’est en faisant de l’écologie un pivot central de notre rapport au futur qu’il est possible d’embrasser toutes les dimensions du travail programmatique à engager. Je suis sûre que les Français ont soif d’avenirs, d’une vision à contre-courant de la dictature du court terme et de la gestion qui ne mène nulle part. Le moment est venu de construire un nouvel idéal autour des politiques de long terme.