(Quel sport ? n° 25-26, juin 2014)
Voici quelques extraits du nouveau numéro de Quel sport ?. Les auteurs entendent résister à la misère culturelle du football et de sa tyrannie idéologique. Avant la mascarade de l'Euro 2016 en France, il y a d'abord la déferlante du Mundial au Brésil. L'« événement planétaire » de la FIFA au pays de la « religion du foot » est attendu comme le messie par le dévot François Hollande, au plus bas dans les sondages. En somme, selon un mécanisme qui a été éprouvé par tous les régimes totalitaires, toute la Hollandie cherche à se réconcilier avec le peuple en utilisant l'effet « soupape d'échappement » du Mundial. L'espoir que le foot redevienne un jeu – ce qu’il n'a d'ailleurs jamais été - est en réalité la laisse de la soumission au football capitaliste, avec ses clubs cotés en bourse, ses spectacles sponsorisés pas les multinationales, ses pratiques illégales (dopage, évasion fiscale) et ses panneaux publicitaires. Le football est une multinationale comme une autre, qui participe au même titre que Coca-Cola ou Mc Donald's à la reproduction élargie du capital, à la stabilisation des régimes politiques et à la crétinisation consumériste des masses.
Le football peut encore faire diversion, mais il fait de moins en moins illusion. La priorité accordée par l'Etat à des investissements somptuaires dans des stades qui creusent les déficits publics ne suffit plus à anesthésier les injustices, ni à masquer le caractère de plus en plus obscène de la planète foot. C'est la raison pour laquelle nous appelons dès maintenant à boycotter le Mondial 2018 que la FIFA a attribué à la Russie.
(Football, la colonisation du monde par collectif)
1/3) Les riches et les taclés (Fabien Ollier)
Ce Mondial 2014 s’annonce comme l’un des plus indécents de l’histoire du football. Son coût, difficilement évaluable en raison de l’opacité des budgets et des transactions financières, dépasserait largement les 12 milliards d’euros, avec une participation à au moins 78 % des finances publiques. La grande majorité des Brésiliens qui manquent de tout on fait savoir à plusieurs reprises, lors de manifestations durement réprimées par la Police Militaire, qu’ils n’ont aucun besoin du Mundial, de stades, de « fan fets FIFA » et de spectacles publicitaires. La réponse de Michel Platini à cette contestation politique témoigne on ne peut mieux du système d’oppression typiquement colonialiste mis en place par la FIFA : « Il faut absolument dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du monde et qu’ils sont là pour montrer les beautés de leur pays, leur passion pour le football et que s’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, ce serait bien pour le Brésil et pour la planète football. »
L’horreur économique du Mundial – et des JO de Rio 2016, ne l’oublions pas – qui fait se côtoyer la misère la plus crasse et le luxe agressif, le dénuement le plus abject et l’opulente consommation de marchandises superflues, détermine totalement le chaos et les multiples tensions sociales qui placent le Brésil au bord de l’embrasement. Dans ce contexte explosif, la FIFA estime que la protection policière de la valeur marchande de son spectacle planétaire doit être la priorité des priorités. Le football mondialisé ne fait qu’étendre et enraciner les dispositifs de pouvoir farouchement anti-démocratiques. Ainsi en va-t-il désormais dans le monde merveilleux du « football intégrateur », « rassembleur des peuples » et « facteur de cohésion sociale ».
2/3) Football : la lobotomisation des esprits (Jean-Marie Brohm)
La dépolitisation massive par le football représente aujourd’hui la forme la plus insidieuse de l’endoctrinement idéologique, qui consiste à occulter les questions essentielles de l’existence sociale au profit de préoccupations infantilisantes, d’anecdotes futiles, de faits divers dérisoires. La fête, et rien que du bonheur, glapissent à l’unisson les fans, mordus et autres accros pour occulter la précarité sociale et la misère culturelle !
Le bavardage sportif, il faudrait même parler de commérage, qui sature de plus en plus l’espace public, les salles de rédaction, les couloirs d’école, les partis politiques… est non seulement la forme ordinaire de l’abrutissement des consciences, mais plus subtilement l’alignement des masses sur l’idéologie dominante. La servitude volontaire se dissimule derrière le déferlement médiatique associant dans la même crétinisation unanimiste les politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite et les entreprises multinationales qui participent grassement au foot business. Toute l’histoire du foot est l’histoire de sa professionnalisation capitaliste, sa transformation inexorable en une industrie intégrée de la société du spectacle, en un business affairiste avec ses taux de profit, sa lutte pour la conquête des parts de marché (droits de retransmission, produits dérivés, droits à l’image), son capital fixe (installations, équipements) et son capital variable (salaires, primes).
Rendez-vous est donc pris pour les prochaines dérives du foot : le championnat UEFA en 2016 dans une France minée parle chômage de masse, la Coupe du monde en 2018 dans la Russie des colonies pénitentiaires du camarade Poutine, la Coupe du monde en 20222 dans le Qatar des principes esclavagistes.
3/3) Le football, une multinationale comme une autre (texte de 1982)
Le 26 octobre 1863 les dirigeants de sept clubs civils se réunirent à Londres et adoptèrent « un code officiel des lois pour la régularité du jeu ». La football Association voyait ainsi le jour et se séparait définitivement de la Rugby Union, créée le 8 décembre 1863. La Fédération internationale de Football (FIFA) voit le jour à Paris le 21 mai 1904. Les statuts de la FIFA stipulent que chaque pays ne peut être représenté que par une seule fédération. Le foot, vécu de manière très diversifié par les peuples, tombe sous les lois monopolistes. Les Indiens Morès en Amazonie jouent aussi au foot. Mais le joueur qui marque change automatiquement d’équipe. Ainsi ceux qui gagnent se dégarnissent et ceux qui perdent se renforcent. Le score s’équilibre de lui-même.
La création du professionnalisme répond à la nécessité de rationaliser une nouvelle industrie du spectacle dominée par le capital. En 1982, la FIFA comprend déjà 228 pays, un nombre impressionnant de bureaux, comité permanents et commissions. Cette inflation galopante de la bureaucratie est le reflet de ce qui se passe dans toutes les entreprises multinationales. Le club, entreprise comme un autre, est soumis aux mécanismes de fonctionnement et aux lois de la production capitaliste : structure hiérarchique verticale, recherche maximale du profit, rationalisation des choix budgétaires. Les joueurs sont côtés comme de vulgaires actions Péchiney ou Rhône-Poulenc. Et le chômage touche les footballeurs dans tous les pays comme il touche les travailleurs du bâtiment ou de la sidérurgie.
(chapitre II du livre Quel corps ? - édition épuisée)