Ian Angus et Simon Butler aux éditions Ecosociété, 304 pages, 20 euros
Première édition 2011, Two Many People ? Population, Immigration and the Environmental Crisis
Dans la préface française de Serge Mongeau (auteur du livre « la simplicité volontaire »… sauf erreur d’homonymie), on trouve cette phrase qui montre clairement le dévoiement des raisonnement malthusiens par les auteurs de ce livre : « Dangereux sont les disciples de Malthus qui font usage de la métaphore du banquet pour défendre leurs idées… Ce livre démontre que, même si on cessait dès demain d’avoir des enfants, cela ne diminuerait d’aucune façon le réchauffement climatique... Mettre tous nos efforts pour réduire la population n’est qu’un moyen de détourner notre attention des problèmes réels et, surtout, de retarder l’adoption de mesures concrètes pour y remédier…Les malthusiens se retrouvent dans le même camp que la droite qui travaille au renforcement des inégalités dans le monde… » Exagération, procès d’intention, amalgame, tout y est.
Le sous-titre de ce livre anti-malthusien est vraiment bizarre. Les auteurs utilisent le terme « populationniste » (en faveur d’un accroissement de la population) au lieu du terme approprié « malthusien » (pour une limitation de la population). Ils justifient ce choix de deux manières. « Les thèses de Malthus ne sont connues que d’une minorité ». Un peu léger comme argument quand on sait que le mot « malthusien » est dans tout dictionnaire usuel. Par ailleurs ils osent dire que Malthus « ne reconnaissait pas de limites à la croissance et s’opposait fortement au contrôle des naissances ». A croire qu’ils n’ont jamais lu ce livre. Dans Essai sur le principe de population (1ère édition, 1798 ; Flammarion, 1992) on trouve :
- « Si, par une opération miraculeuse, l’homme pouvait vivre sans nourriture, nul doute que la terre ne fût très rapidement peuplée. Mais comme nous n’avons aucune raison de compter sur un tel miracle, nous devons, en qualité de créatures raisonnables, examiner quelles sont les lois que notre Créateur a établies relativement à la multiplication de l’espèce. Il n’y a aucun chiffre absolu : garnir une ferme de bestiaux, c’est agir selon la grandeur de la ferme et selon la richesse du sol. »
- « L’homme, en regardant autour de lui, ne peut manquer d’être frappé du spectacle que lui offrent souvent les familles nombreuses ; il éprouve une juste crainte de ne pouvoir faire subsister les enfants qu’il aura à faire naître. De telles réflexions empêchent un grand nombre de mariages précoces, et s’opposent à cet égard au penchant de la nature. Pour les obstacles privatifs, l’abstinence du mariage, jointe à la chasteté, est ce que j’appelle contrainte morale. »
Ce livre de Ian Angus et Simon Butler n’est certes pas le fait d’écolosceptiques, mais tout simplement d’anti-malthusiens comme il s’en trouve beaucoup parmi les politiques, les démographes… ou les écosocialistes. Il s’agit de répondre à la nouvelle vague de malthusianisme vert tel qu’il s’exprime notamment aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada et en Australie. Pour que survive la civilisation humaine, il faut selon les auteurs remplacer ce capitalisme antiécologique par un système proécologique qui défende une développement humain et durable. Selon eux les arguments malthusiens entravent cette cause. Ils citent Karl Marx, « La population est une abstraction si je néglige, par exemple, les classes dont elle se compose », sans se référer explicitement à la critique de Malthus par Marx. Voici quelques extraits de ce livre.
1/4) Le rôle de l’accroissement démographique dans les émissions de gaz à effet de serre
L’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA) basé à Vienne : « Notre étude a montré qu’un ralentissement de la croissance démographique pouvait favoriser une réduction notable des émissions de gaz à effet de serre. » Si l’on venait à réaliser la plus basse projection onusienne de croissance démographique, cela seul contribuerait « à hauteur de 16 à 29 % à la réduction d’émissions requises pour juguler les graves conséquences du réchauffement mondial ». (octobre 2010)
Optimum Population Trust (OPT au Royaume-Uni) affirme que la croissance démographique ne devrait pas dépasser le milliard additionnel en 2050, comparativement aux 2,3 milliards que prévoit l’ONU : « Si les mères de la planète réduisaient le nombre d’enfants qu’elles mettent au monde, en 2050 il pourrait y avoir 1,2 milliards de responsables du changement climatique en moins par rapport aux chiffres escomptés. » Une personne inexistante n’a pas d’empreinte écologique : l’économie d’émissions est immédiate et totale. La plus efficace des stratégies individuelles contre le changement climatique consiste à limiter le nombre d’enfants que l’on a. La plus efficace des stratégies nationales et internationales consiste à limiter la taille de la population. C’est une stratégie d’autant plus pertinente dans les pays développés comme le Royaume-Uni en raison de leurs niveaux élevés de consommation.
David Satterthwaitte : Entre 1980 et 2005, l’Afrique subsaharienne a généré 18,5 % de l’accroissement démographique mondial et 2,4 % de l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone. La Chine a généré 3,4 % de l’accroissement démographique mondial et 44,5 % de l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone.
Frederick Myerson : « Il me semble plus facile de réduire les grossesses non désirées, un objectif que nous savons pouvoir accomplir par l’amélioration des services de santé génésique et de l’éducation, que de miser sur une réduction des émissions par habitant, un point sur lequel nos résultats demeurent médiocres. » (avril 2008)
Ian Angus et Simon Butler : Si la quantité de CO2 dans l’atmosphère est telle qu’un dangereux changement climatique est vraisemblable, cela démontre qu’il faut transformer l’activité humaine et non qu’il y a trop de monde.
2/4) Le rôle de l’immigration dans les émissions de gaz à effet de serre
D’après le canadien William Rees, coauteur du concept d’empreinte écologique, non seulement l’immigration nuit à l’environnement du pays d’arrivée, mais l’argent que les immigrants envoient à leur famille restée au pays entraîne aussi une hausse de la consommation qui « aggrave la pollution et l’épuisement net des ressources », en plus de « court-circuiter toute rétroaction négative qui aurait pu mener autrement à l’instauration de politiques nationales visant à modérer la croissance démographique et la détérioration écologique ».
Federation for American Immigration Reform (FARM) : « Les Etats-Unis ne pourront réduire de façon substantielle leurs émissions de CO2, à moins de restreindre fortement l’immigration. »
Center for American Studies (CIS) : Si les immigrants établis aux Etats-Unis étaient restés dans leur pays d’origine, le total estimé de leurs émissions annuelles de CO2 ne serait que de 155 tonnes. C’est 482 millions de tonnes en moins que les 637 tonnes qu’ils devraient produire aux Etats-Unis. Cette hausse de 482 millions de tonnes traduit l’impact de l’immigration sur les émissions mondiales. »
Ian Angus: De tels arguments ponctuent les propos réactionnaires qui justifient par la « surpopulation » la suppression de l’aide aux pays pauvres, l’élimination de l’aide sociale et la fin de l’immigration vers les pays riches des habitants du tiers-monde. (conférence de juin 2010)
3/4) Immigration, le débat entre malthusiens et écosocialistes
En janvier 1972 le manifeste* « un programme de survie » fut le premier écrit médiatique valorisant l’idée de « communauté protégée ». Les gouvernements doivent faire cesser la croissance démographique ; cet engagement devrait inclure un arrêt de l’immigration. Dans son article de 1974, « Lifeboat Ethics : The Case against Helping the Poor », Garrett Hardin comparait les Etats-Unis à un canot de sauvetage où l’espace vient à manquer : « Une immigration sans restriction revient à faire venir les populations là où est la nourriture, cela accélérant la destruction de l’environnement des pays riches. » Paul et Anne Ehrlich publièrent en 1979 un ouvrage sur la question frontalière américano-mexicaine, The Golden Door : « Le nombre accru d’Américains résultant de l’immigration accroîtra l’impact total des Etats-Unis sur les ressources du globe et sur l’environnement, tout comme un accroissement naturel le ferait. » Ils reprenaient l’argument en 1990 dans The Population Explosion : « Dans la mesure où la migration sert de soupape pour empêcher les pays pauvres de faire face à leurs propres problèmes démographiques, tout en gonflant le nombre de consommateurs à revenu élevé, elle grève nos chances d’instaurer la durabilité mondiale. »
Le livre de Ian Angus et Simon Butler reprend ces textes historiques et en tire la conclusion que c’est une « écologisation de la haine », rejetant la responsabilité de la dégradation environnementale sur le dos des populations démunies et de couleur. L’argument anti-immigration se fonde selon les auteurs sur l’idée que la transformation des modes de vie du Nord est un objectif moins facile à atteindre que d’empêcher les autres d’adopter ces mêmes modes de vie. Les programmes anti-immigration mineraient les efforts visant à ériger des mouvements démocratiques de masse pour affronter et neutraliser les véritables causes de la destruction environnementale.
Cette argumentation des écosocialistes est simplificatrice à l’extrême. Il faut nettement distinguer le racisme qui rejette la différence avec une maîtrise des flux migratoires pour raison écologique : un territoire ne peut raisonnablement dépasser sa capacité de charge. L’impact écologique d’une population résulte à la fois du nombre de consommateurs et du niveau de consommation : il faut agir sur les deux causes à la fois sans vouloir protéger le niveau de vie des riches. Notons d’ailleurs qu’il est aussi difficile d’agir sur la démographie que d’agir sur le consumérisme. De toute façon ce n’est pas parce qu’on agit dans un domaine que cela empêche le volontarisme dans d’autres domaines. Il est enfin illusoire de compter sur « des mouvements démocratiques de masse » pour faire la révolution ; cela ressemble fort à l’idéologie du Grand Soir prôné par les mouvements marxistes. Nous savons historiquement que les pseudo mouvements de masse débouchent quasi-inéluctablement sur une dictature « socialiste » allergique à l’urgence écologique.
*A blueprint for Survival », manifeste inséré dans The Ecologist de janvier 1972
4/4) un débat recommencé entre Ehrlich et Commoner
Plus précisément Ian Angus et Simon Butler se veulent écosocialistes et reprennent le célèbre débat entre Paul Ehrlich (La bombe P) et Barry Commoner (L’encerclement). Pour l’un, « combien de vasectomies permettrait un programme financé par les 1,8 milliards de dollars qu’exige la contraction d’un seul complexe nucléaire… Tout individu, cherchant à se procurer le nécessaire pour vivre, a un effet net négatif sur son environnement ». Pour l’autre, « La pollution commence non pas dans la chambre à coucher, mais dans la salle de conférences des entreprises… Un système économique beaucoup plus préoccupé de l’organisation des transaction privés que de la reconnaissance des impératifs sociaux est inadéquat ». Une fausse opposition de deux points de vue tout à fait complémentaires. Le nombre de personnes est un démultiplicateur des problèmes socio-économiques, tout comme la recherche du profit. Cette interdépendance, base de tout raisonnement écologiste, est ignoré par les deux auteurs de ce livre. Précisons.
Les premiers écologistes essayèrent d'attirer l'attention sur un éventail de problèmes allant des pesticides au contrôle démographique sans toujours les définir par ordre d'importance. Un des signes avant-coureurs d’une hiérarchie apparut lorsque Paul Ehrlich et Barry Commoner débattirent de l'importance relative de la maîtrise de la fécondité. Ehrlich avait publié en 1968 The Population Bomb, qui plaçait l'expansion de la population comme la menace écologique prioritaire : « Trop de voitures, trop d'usines, trop de pesticides. Pas assez d'eau, trop de dioxyde de carbone, tout peut être attribué à une cause unique : trop de personnes sur Terre. » Commoner lui répondit en 1971 dans L’encerclement que « la dégradation écologique n'est pas la simple conséquence d'un processus unique qui va en s'amplifiant - croissance démographique, augmentation de la demande - mais également des changements importants dans les techniques de production, changements qui eux-mêmes dépendent de facteurs économiques et politiques importants. »
Le débat entre Commoner et Ehrlich a rapidement dépassé le désaccord scientifique pour fonder deux stratégies radicalement différentes. Le mouvement écologiste fondamentaliste préconise le contrôle de la croissance globale parce qu'il ne peut se concevoir de changement dans l'ordre industriel qui la rendrait écologiquement compatible. Ehrlich définit ainsi « la surpopulation » comme le nombre d'habitants dépassant « la capacité d'accueil » de la Terre. Commoner s'appuie au contraire sur une philosophie non déterministe de la technologie qui admet la possibilité d'une transformation technique radicale. Commoner propose de transformer la technologie moderne « pour satisfaire aux exigences indéniables de l'écosystème ». Il constate aussi que le taux européen de croissance démographique diminuait à mesure que la prospérité augmentait. Puisque les facteurs socio-économiques influencent le comportement reproducteur, nous devrions créer les conditions où ces facteurs favorisent une croissance démographique plus lente dans les pays pauvres.
Une synthèse est-elle impossible ? Ehrlich a essayé de la formuler dans son livre de 1971, How To Be a Survivor. Il y élargit ses perspectives pour inclure non seulement le contrôle démographique, mais une réforme générale égalitariste, une technologie douce, et la réduction par le « dé-développement » du niveau de vie excessivement élevé des pays « sur-développés ». Cela nous semble évident.