Seuil 2015, 158 pages pour 17 euros
Introduction
Il faut se débarrasser des idées convenues qui confondent élections libres et démocratie. L’élection correspond à un système délégataire plutôt que représentatif, avec des élus inamovibles jusqu’à la fin de leur mandat. On peut même dire que, sans les associations de citoyens, presque rien n’arriverait pour moraliser la vie publique et aller vers le bien commun : les plantes transgéniques seraient dans nos assiettes, on construirait davantage de centrales nucléaires et on exploiterait le gaz de schiste, les biberons seraient toujours garnis de bisphénol A et les champs arrosés de pesticides les plus dangereux. Les lobbies séviriane ans entrave dans les parlements nationaux et européens, on ne parlerait pas des paradis fiscaux ou du cumul des mandats électifs, etc. De plus l’élection n’est pas un mandat pour décider de l’usage d’innovation que les élus ne comprennent pas mieux que leurs administrés et beaucoup moins bien que certains d’entre eux.
Mais on peut aussi faire de la politique autrement. Un changement de perspectives dans les modalités de la démocratie est possible et bien argumenté par Jacques Testard dans son livre.
1/3) Le tirage au sort peut remplacer les procédures électives
Le tirage au sort place chacun à égalité de chances d’exercer un pouvoir ou une charge, sans interférence avec une autorité quelconque. Le tirage au sort des membres de la Boulée était appliqué il y a 2500 ans à Athènes pour le gouvernement de quelques dizaines de milliers de personnes. Le mandat d’une année n’était pas renouvelable et il était soumis à une évaluation finale, la révocation en cours de mandat étant possible. Nous voilà bien loin de la sinécure à vie accordée à la plupart de nos modernes parlementaires ! Le tirage au sort des législateurs fut, bien plus tard, pratiqué à Venise et Florence ainsi que dans le royaume d’Aragon.
Pourquoi nos contemporains ne connaissent de cette pratique que les jurys d’assises ? Les fondateurs des républiques modernes souhaitaient une sorte d’aristocratie élective, laquelle ne pouvait pas provenir du tirage au sort, et ils voulaient que soit légitimée sans conteste l’autorité politique grâce au vote formel des citoyens. Cette justification de l’oligarchie élue, qui témoigne d’un mépris certain pour les capacités du peuple, oublie le jugement de Montesquieu : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie, le suffrage par le choix est de celle de l’aristocratie (L’Esprit des Lois, livre II, chapitre II). »
Et si l’on se passait du vote pour essayer la démocratie ? Les faillites et scandales du système électoral ont stimulé, dans la période récente, diverses propositions pour remplacer la démocratie délégataire actuelle par un régime évitant les prébendes des responsables autant que leur éloignement du peuple : la désignation des gouvernants par tirage au sort deviendrait déterminante. On pourrait alors réduire le carcan des élections dont la préparation, le déroulement et les conséquences rythment l’essentiel de la vie politique. Il faut aussi rompre avec l’hypocrisie des alternatives, du référendum bâclé au sondage d’opinion, qui permettent essentiellement de recueillir l’opinion qu’on avait d’abord inculqué.
Dominique Bourg et Kerry Whiteside imaginent un « sénat de l’écologie » dont les membres tirés au sort proviendraient majoritairement d’une liste d’experts. Cette proposition reflète la prépondérance donnée au technique sur le politique, et finalement une certaine défiance dans la capacité des citoyens à se saisir de tout objet qui concerne la vie des gens ordinaires. Une autre proposition consisterait à remplacer le sénat par une « Chambre des citoyens » dont les membres seraient tirés au sort dans la population et dont la charge principale serait de veiller sur les activités et productions de l’Assemblée nationale élue. Le parti politique « Nouvelle Donne » a même proposé le tirage au sort dans le cadre des élections européennes de mai 2014. Mais avec prudence car il s’agissait de créer des panels de militants tirés au sort pour « constituer la commission électorale qui déterminera la première moitié de la liste des candidats ».
2/3) Les conférences de citoyens permettent la réflexion collective
Loin des complicités de cuisine entre communicants et dirigeants, les conventions de citoyens sont capables de produire les choix qui contribuent le plus au bien commun. Alain Touraine définit le mouvement démocratique par « sa capacité à faire que les gens soient actifs ». C’est exactement ce que réalisent les conférences/conventions de citoyens. Organisez dix conférences de citoyens couvrant les dix sujets controversés les plus importants puis réunissez leurs conclusions. Vous obtiendrez le programme électoral objectivement idéal. Il est extraordinaire de constater qu’une poignée de personnes, prises au hasard mais volontaires pour être instruites, peut contredire ce que croient et votent les mêmes personnes tant qu’on essaie de les confiner à l’état de consommateurs des idées dominantes. Si nous soutenons le protocole de conventions de citoyens, c’est parce que nous n’avons qu’une confiance modérée dans les vertus de nos concitoyens quand ils sont convoqués « à l’état brut » pour voter ou pour opiner. Mais nous avons aussi découvert que chaque personne recèle un potentiel extraordinaire, gâché au quotidien par l’asservissement politique et social.
On peut même constitutionaliser les conférences de citoyens. Une telle conférence répond à une situation où une décision politique est souhaitable mais où elle revêt une complexité inhabituelle et nécessite un consensus de la population. Très souvent les thèmes concernent l'environnement ou les conséquences d'une innovation technologique. Le sujet débattu comporte de lourdes incertitudes qu'il est impossible de lever dans l'immédiat. Elle permet l’élaboration collective d’une décision éclairée. Une homogénéisation des pratiques pourrait déboucher sur des conventions de citoyens.
Un texte en forme de loi organique a été rendu public dès 2007. Cette proposition législative a l’ambition de prendre place dans la Constitution pour lui donner une légitimité institutionnelle (p.78). il faut convaincre nos parlementaires que, face à la complexité croissante des évaluations et aux risques inhérents aux puissantes technologies nouvelles, ils ne peuvent se suffire d’expertises incomplètes, souvent tendancieuses et peu conformes aux intérêts de la population (p.117). Il faudra que soit précisé qu’à l’issue de chaque convention de citoyens une résolution parlementaire sera voté, faisant apparaître la justification de toute divergence des élus avec l’avis des citoyens (p.87).
3/3) Les pièges du référendum
Beaucoup considèrent le référendum comme le moyen le plus légitime de trancher une controverse sociétale, car il sollicite et prend en compte l’opinion de tous. Pourtant, comment ne pas mettre en question son résultat tant que les votants ne sont pas tous pleinement informés ? C’est-à-dire tant qu’ils n’ont pas eu l’occasion de faire mûrir leur jugement à partir de considérations contradictoires sur lesquelles ils auraient suffisamment réfléchi… Nous n’avons qu’une confiance modérée dans les vertus de nos concitoyens quand ils sont convoqués « à l’état brut » pour voter ou pour opiner… Le référendum pratiqué dans des conditions expéditives ne vaut pas mieux qu’une sondage d’opinion… Une décision démocratique exige aussi sa conformité avec le bien commun, c’est-à-dire avec l’intérêt objectif des populations, lequel ne correspond pas nécessairement à l’opinion spontanée. Aussi, un point clé est de mettre les citoyens en position de découvrir et révéler ce que peut être ce bien commun.
Quelques réflexions sur le tirage au sort (hors livre de Jacques Testard)
Il serait bon que soit généralisé le tirage au sort parmi les différents candidats à un poste de responsabilité. Tout conflit interpersonnel et/ou clanique serait ainsi évité. Avec ce système, il serait impossible de devenir permanent du parti et très difficile de cumuler les mandats.
Tirage au sort des députés
Lorsqu’il s’agit de désigner une assemblée suffisamment nombreuse (577 députés, par exemple), le hasard “lisse” statistiquement toutes les “imperfections” individuelles. Mieux : tirer au sort un assemblée de 577 personnes la rendrait beaucoup plus représentative de la sociologie politique du pays que ne pourra jamais le faire une élection au scrutin majoritaire à 2 tours, ou même à la proportionnelle. Ne serait-ce qu’en termes de représentation des classes populaires, ou des différents secteurs professionnels. Un tel système (qui exclut bien sûr le cumul dans la durée) aurait l’avantage de ne pas installer une classe politique quasiment à vie. Et il est hautement probable qu’une telle assemblée ferati preuve de plus de compétence que l’actuelle équipe au pouvoir.
Des sénateurs désignés par tirage au sort
- Il convient de confier à une assemblée populaire le soin d’établir la médiation entre l’état des connaissances environnementales (savoir capitalisé par l’Académie du futur) et la prise de décision publique. Pour éviter de reproduire au sein de cette assemblée la logique temporelle et territoriale, qui plus est partisane, ces nouveaux sénateurs ne pourraient être élus contre d’autres. Nous proposons des modes de désignation qui ont recours au hasard : tirage au sort dans une liste fournie par les ONGE (organisations non gouvernementales environnementales) d’une part, et pour le tiers restant désignation au hasard dans la population « ordinaire » en fonction de la structuration de la population nationale (à l’instar de ce qui se pratique pour les conférences de citoyens). La désignation des représentants des ONGE par tirage au sort permettrait de déjouer les pressions que les lobbies pourraient faire en faveur de certaines candidatures.
- Les conférences de consensus (de citoyens) renouent avec certaines traditions de la démocratie directe : l’accès à tous, le tirage au sort. L’utilisation des méthodes aléatoires accrédite l’idée que tout citoyen peut être appelé à se faire une opinion sur une question environnementale, qu’il est digne de participer en personne au processus de décision collective.
(Vers une démocratie écologique (le citoyen, le savant et le politique) de Dominique Bourg et Kerry Whiteside (Seuil, 2010))
Tirage au sort d’un conseil politique
Le Conseil Politique Régional (EELV Poitou-Charentes) intégrera deux collèges à niveau de représentation égal :
- 12 délégué-e-s des Groupes Locaux, précédemment élu-e-s lors de réunions des GL,
- 12 délégué-e-s du Congrès Régional, élu-e-s le 18 à Niort.
Parmi ces 12 élu-e-s du Congrès, 2 seront tiré-e-s au sort parmi vous. La méthode est simple :
- tou-te-s les adhérent-e-s sont inscrit-e-s sur deux listes séparées, femmes d'un côté, hommes de l'autre ;
- un tirage au sort d'une vingtaine de personnes est effectué sur les deux listes séparément et les "gagnant-e-s" sont ordonné-e-s au fur et à mesure ;
- le Secrétariat Régional contacte dans l'ordre les personnes tirées au sort jusqu'à
acceptation d'un homme et d'une femme ;
- en cas de démission d'un-e élu-e dans les 3 années à venir, c'est le/la suivant-e sur la liste qui est contacté-e, etc.