INTRODUCTION
La décroissance n’est pas une invention théorique et nouvelle, toutes les civilisations antérieures se sont effondrées après une période de faste plus ou moins longue. La révolution industrielle a permis depuis deux siècles une croissance tendancielle, mais celle-ci est cyclique (analyse de J.Schumpeter) et les périodes d’expansion sont toujours suivies de période de récession comme en 2009, voire de dépression comme en 1929. Or il apparaît de plus en plus évident que les Trente Glorieuses occidentale ou la croissance actuelle des pays émergents se font au détriment du capital naturel que le système thermo-industriel se garde bien de considérer dans ses comptes. Ne soyons pas réducteurs, ne laissons pas les économistes confisquer le mot richesse et l’assimiler au Produit intérieur brut. Le PIB est devenu un mauvais indicateur, il ne doit pas être sacralisé, d’autres conceptions basées sur des indicateurs globaux montrent que la croissance est en réalité une décroissance.
Ainsi pour le Royaume-Uni, le PIB par habitant augmente constamment entre 1950 et 1990, par contre l’IBED/hab. diminue à partir de 1974 pour se retrouver en 1990 à un niveau quasi-identique à celui de 1950. L’IBED (indicateur de bien-être véritable) peut être défini comme la somme [consommation marchande des ménages + services du travail domestique + dépenses publiques non défensives + formation de capital productif (investissement)] moins [dépenses privées défensives + coûts des dégradations de l’environnement + dépréciation du capital naturel]. Les dépenses défensives sont définies par les dépenses (et la production correspondante) qui servent à réparer les dégâts provoqués par des activités humaines de production ou de consommation. Certains analystes estiment même que la moitié des dépenses publiques sont de type défensif. En d’autres termes, le Royaume Uni connaît une décroissance réelle depuis le premier choc pétrolier et on pourrait sans doute obtenir des résultats similaires pour les autres pays développés.
De plus les méthodes monétaires sont muettes quand il s'agit des exigences de la durabilité écologique parce qu'elles ne reflètent pas la rareté biophysique, la continuité écologique, la discontinuité temporelle et le comportement des systèmes complexes. Il n'y a pas de marchés pour la plupart des stocks de capital naturel et des processus fondamentaux de soutien de la vie, par exemple la couche d'ozone, la fixation de l'azote, la distribution mondiale de la chaleur, la stabilité climatique, etc. En effet la théorie économique dominante considère les activités humaines uniquement comme un circuit économique d’échange entre la production et la consommation sans considérer en règle générale la continuelle interaction entre la croissance du PIB et l’environnement matériel. Le PIB ajoutant en positif des choses négatives, à commencer par la dilapidation du capital naturel, on pourrait donc estimer que nous sommes en période de décroissance depuis les années 1950 contrairement à ce que prétendent les statistiques économiques. Nous risquons maintenant l’apparition d’une crise systémique dont l’origine peut être aussi bien une explosion du prix du pétrole, un krach financier ou plus prosaïquement le vol interrompu d’une abeille.
L’idée de décroissance résulte du double échec de la révolution industrielle, celui de la croissance et celui du développement. Ni l’un ni l’autre n’ont procuré le bonheur et l’égalisation des conditions que cela promettait. Tout au contraire la planète est exsangue et les possibilités de conserver une certaine harmonie sociale s’amenuisent. C’est pourquoi nous constatons un glissement conceptuel de l’idée de croissance à l’idée de décroissance. On laisse encore croire dans les instances politiques ou sur les plateaux de télévision que la croissance est nécessaire et la décroissance un fantasme de l’écologie radicale. Mais c’est l’idée de la croissance perpétuelle du PIB dans un monde fini qui se révèle être un fantasme. Une étude approfondie des réalités contemporaines montre que nous nous dirigeons inéluctablement soit vers une décroissance subie et inégalitaire, soit une décroissance choisie, maîtrisée, partagée de façon solidaire. La volonté de croissance économique doit faire place au sens des limites, il faut réinventer l’avenir en modifiant des valeurs soumises à l’emprise de la révolution industrielle, il faut organiser une société de décroissance.
1) Historique : de la décroissance subie à la décroissance choisie
11) Réalité de la décroissance subie
L’analyse de Schumpeter
Le taux de croissance du PIB est devenu incontournable depuis la deuxième guerre mondiale, on croit à sa pérennité dans les pays développés à économie de marché et à l’impossibilité de la décroissance, mais on oublie les leçons de l’histoire. En effet, on retrouve déjà l’idée de décroissance dans l’œuvre de Joseph Aloïs Schumpeter, mais sous un autre nom, celui de dépression. Dans un cycle économique, il y a la période d’expansion, le retournement de tendance, la décroissance (récession ou dépression ou croissance négative), et peut-être la reprise, mais ce n’est jamais sûr… Encore faut-il satisfaire un certain nombre de conditions comme l’existence d’une « grappe » d’innovations. Il faut rappeler que seule la seconde guerre mondiale a vraiment permis à l’économie américaine de surmonter la grande Dépression de 1929.
Schumpeter vient au monde l’année même de la mort de Karl Marx, en 1883. Très bon connaisseur de l’œuvre de Karl Marx, Schumpeter est à la fois un grand admirateur et un féroce critique du capitalisme. Son analyse de la croissance comme dynamique du capitalisme (The theorie of Economic Development en 1911) et Business Cycles en 1939) va en effet à l’encontre de la thèse libérale de l’équilibre automatique grâce à la loi du marché. Il explique, par le rôle de l’entrepreneur et de l’innovation, la mise en évidence statistique des cycles longs par Kondratieff au XIXe siècle (deux cycles, 1780-1840, puis 1840-1897), c’est-à-dire une phase d’expansion (des prix, de la production, de l’emploi) sur 20 à 30 ans qui débouche nécessairement sur une crise suivie par une phase de dépression, une décroissance économique sur 20 à 30 ans.
Schumpeter est donc pessimiste sur l’avenir du capitalisme : du fait de la disparition des entrepreneurs innovateurs et de la surchauffe, il y aurait déclin inéluctable. La grande crise des années trente viendra confirmer les idées de Schumpeter concernant la phase de récession. De même la reprise des Trente Glorieuses peut être aussi expliquée par l’analyse de Schumpeter : une nouvelle vague d’innovations, innovations de procédés (taylorisation généralisée) et innovations de produits (en particulier l’équipement des ménages en biens durables), permet une nouvelle phase ascendante d’un cycle long. Dans ce contexte, le choc pétrolier de 1973 n’est que le catalyseur du retournement de tendance par épuisement des gains de productivité du taylorisme et saturation des besoins des ménages en biens durables. Mais comme l’interventionnisme gouvernemental est généralisé dans les pays développés à économie de marché, comme la publicité modèle de nouveaux besoins artificiels, la décroissance économique a été évitée, la récession économique s’est transformée jusqu’à nos jours en croissance molle.
Le négationnisme statistique actuel
Les statisticiens font de subtiles nuances entre la contraction de l’activité ou croissance négative temporaire, la récession à partir de six mois consécutifs de décroissance, et la dépression du type crise structurelle que les habitants des pays riches ont connu après le krach de 1929. La « définition usuelle » d’une récession est devenue : deux trimestres de suite en croissance négative. Les théologiens de la croissance auront tout inventé, la croissance durable, la croissance verte, et maintenant la croissance au taux inférieur à zéro !
Suite au tsunami financier, la Grande Bretagne est le premier pays du G7 à connaître une croissance négative (LeMonde du 26-27 octobre 2009). Après 16 ans de croissance ininterrompue, la baisse du PIB s’établit à 0,3 % sur les douze derniers mois. Pendant des mois, Gordon Brown a refusé d’évoquer une récession, il a été obligé d’employer ce terme le 22 octobre. Avec deux trimestres de « croissance négative », la France entre officiellement en récession. La ministre de l’économie estime même que la « croissance » du PIB devrait s’établir autour de – 3 % en moyenne pour l’année 2009 (LeMonde du 16 mai 2009). Nous battrons largement les records de 1974-75 (- 1 %) et de 1993 (- 0,9 %). En définitive la « croissance négative » a été de – 2,2 %.
Il est vrai que la récession est négative en soi : Les « décroissants forcés », confrontés au chômage et à la précarité, n'ont pas d'autre choix que de réduire leur consommation. Ils n'ont pas le sentiment que l'on peut vivre mieux avec moins. Mais c’est une critique de la société de croissance qu’il faut mener, pas un rejet de la société de décroissance.
12) Les fondements théorique d’une décroissance choisie
Une critique du développement
L’idée de décroissance naît de la critique du développement qui est la critique des politiques de développement des années 1950-1970 dans les pays dits « sous-développés. Le terme « après-développement » a été proposé pour la première fois par François Partant en 1988. On peut aussi parler d’après-pétrole, de changement de civilisation ou de société de décroissance (expression conceptualisée par Serge Latouche).
Le terme de décroissance ne se trouve pas dans le livre fondateur de Nicholas Georgescu-Roegen, The Entropy Law and the Economic Process publié en 1971. Mais l’idée de décroissance ou d’après-croissance venait souvent dans les discussions qu’il avait avec Jacques Grinevald. L’exemple du pétrole était l’un de ses exemples préférés, mais c’est à l’ensemble de la raréfaction du stock géologique des ressources minérales accessibles et utilisables qui faisait le moteur de sa pensée, tout en précisant qu’il s’agissait de la moitié du problème, l’autre moitié étant la pollution et les déchets. C’est en 1979, que le titre « Demain la décroissance », fut adopté par Jacques Grinevald pour la traduction de plusieurs textes que Georgescu-Roegen lui avait envoyés entre 1976 et 1977.
Georgescu-Roegen écrivait que « le développement durable est l’un des concepts les plus nuisibles » : même une volonté de croissance zéro ou une décroissance qui utilise une énergie non renouvelable sont irrémédiablement voués à l’échec à cause de l’entropie, la dégradation de l’énergie. Le fait de brûler les énergies fossiles est un des signes de l’irresponsabilité de la classe globale. Dans l’avenir, cette société thermo-industrielle sera mise en accusation par les survivants.
Une critique thermodynamique de l’économie
Nicholas Georgescu-Roegen était un disciple de Schumpeter, le premier théoricien de l’évolution cyclique du développement économique. A la phase d’expansion doit succéder une crise, puis une nouvelle vague d’innovations et la reprise. Mais Georgescu-Roegen va plus loin, la crise ne peut qu’être durable, il n’y aura pas de relance de l’économie. C’est la faute à l’entropie, grandeur utilisé en thermodynamique pour caractériser le sens de l’évolution d’un système isolé, en particulier son degré de désordre. La loi d’entropie ou loi du désordre croissant a été découverte par Sadi Carnot en 1824 : on passe d’une basse entropie (énergie concentrée) à une plus haute entropie (énergie dispersée) de façon irréversible. En effet, toute production nécessite une dépense d’énergie, et tout au long de la chaîne d’activité qui va de l’extraction de la matière première jusqu’au consommateur final, l’énergie utilisée va se diluer dans l’environnement et de ce fait ne sera plus réutilisable.
Les activités économiques s’insèrent dans un univers physique soumis à la loi de l’entropie. Georgescu-Roegen reste la principale référence scientifique des théoriciens actuels de la décroissance. Ils y puisent l’idée juste qu’une croissance économique matérielle infinie est impossible dans une Terre limitée, puisque la reproduction et la complexification de la vie se font sur une échelle de temps qui n’a rien de commun avec le temps de la décision humaine. Ils y trouvent également un fondement de la construction de l’indicateur appelé « empreinte écologique » élaboré par William Rees et Mathis Wackernagel [1996] qui mesure la surface nécessaire pour accueillir toutes les activités humaines. Selon des calculs de l’organisation Redefining Progress, il faudrait aujourd’hui quatre à cinq planètes si toute la population mondiale consommait comme un habitant des Etats-Unis d’Amérique. Le système économique étant un sous-système de la biosphère, Herman Daly [1992] confirme que la croissance économique ne peut être durable.
Une critique écologique du capitalisme libéral
Les limites de la planète
Le début des années 1970 voit apparaître le nouveau concept de limites de la planète. Cela commence par une réactualisation aux Etats Unis de la thèse malthusienne avec La bombe P (P pour population) de Paul Ehrlich en 1971. L’année suivante a lieu la première conférence internationale sur l’environnement dans le cadre de l’ONU à Stockholm ; cette conférence est précédé par l’établissement d’un rapport préparatoire intitulé de façon prémonitoire Nous n’avons qu’une seule terre de B.Ward et R.Dubos. Un autre livre est publié en 1972, The limits to growth ou rapport du club de Rome commandité auprès du MIT (Massachusetts Institute of technology). L’idée générale de toutes ces idées émergentes, c’est qu’une croissance exponentielle dans un monde fini n’est pas possible. Nous quittons le domaine des cycles économiques centrés uniquement sur l’initiative entrepreneuriale pour passer à une vision plus globale analysant les rapports complexes entre l’activité humaine et l’état des ressources naturelles. La récession n’est qu’un simple défaut de croissance, synonyme de chômage et de paupérisation ; la décroissance correspond au contraire à une modification globale des conditions et des règles du développement. Ce n’est pas l’infrastructure économique qui explique l’évolution idéologique et politique d’une société (la superstructure) comme le pensait Marx. L’infrastructure construite de main d’homme est elle-même superstructure relativement à la véritable infrastructure, celle des ressources et circuits de la nature.
La philosophie d’Hans Jonas : le principe responsabilité
Les théories actuelles de la décroissance trouvent également leurs sources chez quelques ancêtres de l’écologie politique et, pour une part, sont inspirées par le courant de l’écologie profonde. Sur le plan philosophique, l’auteur majeur est sans conteste Hans Jonas qui a théorisé le « principe de responsabilité » [1979] à l’égard des générations futures. Il préconise donc une attitude de « renoncement » pour les pays développés dont le style de vie est « dilapidateur ». La décroissance trouve aussi dans la pensée anti-institutionnelle d’Ivan Illich [1971 à 1975] l’une de ses sources les plus importantes. Illich s’est livré à une critique en règle des institutions comme l’école et la médecine, coupables de priver l’individu de son autonomie et de provoquer une perte de convivialité. L’usage démesuré de la technique engendre une « contre-productivité », dont l’exemple le plus fameux est celui de la vitesse permise par l’outil automobile : la vitesse réelle est dérisoire si l’on additionne les temps de fabrication, d’entretien, d’embouteillages et de circulation. Illich s’oppose donc à la croissance économique à cause des menaces qu’elle fait peser sur l’environnement, sur l’autonomie des individus, sur leur créativité, sur leur capacité d’intervention politique et sur leur enracinement dans une culture.
La philosophie d’Arne Naess : l’écologie profonde
Dans sa nécrologie du 23 janvier 2010, le quotidien Le Monde écrivait : « Philosophe, militant écologiste et inventeur de l’écologie profonde, Arne Naess (1912-2009) aura marqué les Norvégiens dans tous les domaines. Il devient en 1939 le plus jeune professeur en philosophie dès 24 ans, « le travail le plus idiot que j’aie fait », avait-il déclaré voici quelques années. Il développe au début des années 1970 sa notion d’écologie profonde, qui place l’homme non pas au sommet de la biosphère, mais à l’égal des autres espèces qui peuplent la planète. A ce titre, il prône une décroissance de l’impact des activités humaines et une diminution de l’activité humaine. Sur le fond, il cherche à définir un système éthique dans lequel la valeur des choses est définie indépendamment de leur utilité. Sur cette base, il estime que les grandes philosophies ne pensent pas la nature de manière cohérente et prône une nouvelle relation entre l’homme et la nature. » Il s’agit donc d’une réflexion philosophique profonde qui oppose anthropocentrisme et biocentrisme. Puisque l’homme est la mesure de toutes choses, doit-il se donner la place de dominant, ou au contraire une place plus humble, au service de la planète et de tous ses habitants ?
13) des utopies raisonnables
Paradoxalement, ce sont les initiateurs du libéralisme économique qui ont montré les premiers que la société de croissance avait une fin programmée. Aujourd’hui on envisage la constitution de territoires qui retrouvent une autonomie alimentaire et énergétique.
l’état stationnaire chez les classiques
L’économie politique est, dès l’origine, traversée par les contradictions qu’engendre le développement du capitalisme. Ses concepteurs avaient attiré l’attention sur le risque d’« état stationnaire » qui guettait le capitalisme. En particulier, David Ricardo [1817], beaucoup plus pessimiste que son prédécesseur Adam Smith, pronostiquait que, en raison de la diminution des rendements agricoles consécutive à la mise en culture de terres de moins en moins fertiles pour répondre aux besoins d’une population croissante, les rentes versées aux propriétaires fonciers augmenteraient, les prix agricoles et les salaires ouvriers également, et au bout du compte les profits capitalistes seraient entraînés à la baisse : les capacités d’investissement se raréfiant, le capitalisme était condamné à l’état stationnaire.
Thomas Robert Malthus [1798, 1820] aboutit à une conclusion identique. En partie pour la même raison que Ricardo, qui s’en était d’ailleurs inspiré : la rente foncière ne peut qu’augmenter. Cependant, loin de représenter une menace, la limite qu’engendre cette hausse est salutaire car, ainsi, un frein est mis à la tendance à la croissance démographique exponentielle. Malthus avance une raison supplémentaire du blocage vers lequel tend le système économique : l’insuffisance de la demande de consommation et d’investissement, à cause de la concentration de la richesse et du manque de débouchés, condamne à long terme la croissance économique.
Tant chez Ricardo que chez Malthus, on sent le regret d’avoir à faire ce constat. On devra attendre John Stuart Mill [1848] pour se réjouir d’une telle perspective. Loin d’adhérer à une vision utilitariste sommaire, il affirme : « J’espère sincèrement pour la postérité qu’elle se contentera de l'état stationnaire longtemps avant d'y être forcée par la nécessité. » Mill, de façon prémonitoire, dissocie le progrès humain de la croissance économique, fustige le développement illimité de l’agriculture et assigne à l’industrie l’objectif de diminuer le temps de travail : « Il n’y a pas grand désir à considérer un monde [...] où il resterait à peine une place où pût venir un buisson ou une fleur sauvage, sans qu’on vînt aussitôt les arracher au nom des progrès de l’agriculture. [...] Il n’est pas nécessaire de faire observer que l’état stationnaire de la population et de la richesse n’implique pas l’immuabilité du progrès humain. [...] Les arts industriels eux-mêmes pourraient être cultivés aussi sérieusement et avec autant de succès, avec cette seule différence qu’au lieu de n’avoir d’autre but que l’acquisition de la richesse, les perfectionnements atteindraient leur but, qui est la diminution du travail. »
Les questionnements de l’économie politique au sujet de l’avenir de la croissance s’arrêtèrent là. Les économistes qui osèrent mettre en doute les bienfaits de la croissance comme John Kenneth Galbraith [1975] ou la pertinence de l’indicateur PIB comme Bertrand de Jouvenel [1968] furent rares.
Vers des communautés autonomes
Si nous voulons conserver les valeurs cardinales de l’Europe que sont la paix, la démocratie et la solidarité, la transition vers la société de décroissance doit suivre quatre orientations principales :
- la tendance vers l’autosuffisance locale et régionale en matières énergétique et alimentaire ;
- la tendance à la décentralisation géographique des pouvoirs ;
- la tendance à la relocalisation économique ;
- la tendance à la planification concertée et aux quotas, notamment en matières énergétique et alimentaire.
La self-reliance (l’autonomie territoriale) s’imposera à tous ceux qui ne peuvent plus rêver de l’impossible prospérité promise à tous par le « développement » (la croissance) et le marché. La self-reliance est liée à l’économie de guerre et à la pénurie, mais le XXIe siècle sera un siècle de guerres et de pénuries.
2) Les caractéristiques de la décroissance
La décroissance est à la fois slogan, mouvement, revues et désormais interrogation dans les partis politiques.
21) Slogan :
Au départ la décroissance n’est pas un concept, au sens traditionnel du terme, et il n’y a pas à proprement parler de « théorie de la décroissance » comme les économistes ont pu élaborer des théories de la croissance. La décroissance est d’abord un slogan, lancé par ceux qui procèdent à une critique radicale du développement afin de casser la langue de bois économiciste et de dessiner un projet de rechange pour une politique de l’après-développement. En tant que telle, la décroissance ne constitue pas vraiment une alternative concrète.
C’est le choix sémantique de ceux qui accolent au mot-obus « décroissance », des particules comme « équitable », « joyeuse », « conviviale » ou « sélective ». Et puis le mouvement de la décroissance s’est organisé.
22) Mouvement : pour l’instant individuel et diversifié
Des « décroissants utopistes » s'engagent personnellement sur la voie de la frugalité, de la simplicité volontaire, de la sobriété énergétique et espèrent ainsi transformer le monde, persuadés que leur conviction aura valeur d'exemple.
Notons que le pôle écologique du PS a adopté par consensus (29 mai 2010) le souhait suivant : « Le Pôle écologique du PS invite ses membres et l’ensemble des citoyens à faire preuve le plus possible dans leur vie de sobriété énergétique et d’autolimitation pour construire ensemble une société plus conviviale et plus égalitaire. »
23) Revues :
L’apparition du terme décroissance apparaît dans la traduction par Jacques Grinevald d’une sélections des travaux de Nicholas Georgescu-Roegen, « Demain la décroissance (Entropie, Ecologie, Econonomie) » en 1979.
En 2004, lancement du journal « La décroissance, le journal de la joie de vivre », imprimé à 47 000 exemplaires pour une diffusion payante pouvant atteindre mensuellement 23 000 exemplaires. Cette revue est issue du magazine Casseurs de pub, créé en 1999. Le numéro de Silence de février-mars 2002 consacrait un numéro à la décroissance.
La revue Entropia, lancée en novembre 2006, s’est fixé pour objectif de donner plus de cohérence théorique à l’idée de décroissance.
24) Partis politiques :
L’évolution des Verts
Au sein du parti Les Verts, la motion ponctuelle proposée à l’automne 2004 « pour une décroissance sélective et équitable (concept à apprivoiser d’urgence) » fut adoptée à une large majorité, contre l’avis des ténors qui l’ont remise à sa « juste place ». Dominique Voynet suggère par la suite de parler de « décroissance de l’empreinte écologique », ce qui réduit très fortement la portée de l’expression décroissance. En août 2008, Yves Cochet, Noël Mamère, Mireille Ferri, Alain Lipietz et Denis Baupin signaient dans les Echos une tribune en faveur de la « décroissance solidaire », six ans après que le terme eut été lancé dans l’espace public.
L’évolution possible du parti socialiste
Au Congrès de Reims, la croissance est dans toutes les têtes. La motion A de Delanoë proposait la « Promotion d’un nouveau modèle de développement qui articule croissance, justice sociale et écologie ». La motion de Martine Aubry affirmait avec force que « la croissance économique et l’impératif écologique constituent un seul et même enjeu ».
La motion B du pôle écologique est sobre : « Il s’agit de ne plus évoquer la croissance sans la relier à son contenu et à la manière de la mesurer ».
La motion F « Socialistes, Altermondialistes, Ecologistes » d’Utopia est ambiguë : « Nous voulons sortir de la polémique stérile croissance/décroissance. La croissance, ou son image inversée, la décroissance, ne peut plus être un objectif en soi. Les vraies questions sont : croissance de quoi, pourquoi et pour qui ? décroissance de quoi, pourquoi et pour qui ? En fonction de quels objectifs, au service de quel projet de société ?
Le PPLD
Le Parti Pour La Décroissance présentait une douzaine de candidats aux législative françaises de 2007 sur le programme suivant :
1 – Démantèlement des agences de publicité, véritable organe de propagande de la société de consommation.
2 – Sortie de l’habitat pavillonnaire. Ce style d’habitat est un véritable fléau environnemental et social.
3 – Sortie progressive de l’automobile et de sa civilisation.
4 – Sortie progressive des énergies fossiles au profit de la sobriété énergétique.
5 – Relocalisation progressive de l’économie.
6 – Démantèlement progressif des multinationales, développement des petites entités économiques pour favoriser l’emploi local.
7 – Instauration progressive d’un Revenu maximum autorisé à hauteur de trois fois le SMIC.
8 – Interdiction de posséder plus de deux logements.
9 – Mise sous tutelle démocratique de la recherche pour la réorienter vers des objectifs écologiques.
10 –Sortie du sport professionnel au profit des sports amateurs et interdiction des sports et loisirs motorisés.
CONCLUSION : la décroissance positive
La décroissance est notre destin, ce n’est pas un projet politique. La décroissance n’est pas signe de pessimisme, mais de réalisme géologique. Qu’on l’appelle croissance négative, récession ou dépression, la crise écologique et financière devient une composante structurelle de la civilisation thermo-industrielle. Autant organiser volontairement les restrictions plutôt que subir une société écolo-totalitaire. Car la décroissance peut être positive.
La décroissance positive, qu’est-ce que c’est ? C’est la décroissance des inégalités et la croissance du bien-être généralisé. C’est la décroissance de la morosité et l’ouverture vers un avenir durable. C’est la décroissance de notre impact sur la planète et l’amélioration de nos relations sociales. La décroissance positive consiste par exemple à manger moins de viande et à acheter beaucoup plus de produits locaux. Il faut aussi économiser l’énergie, réduire nos gaspillages, recycler autant que faire se peut, arrêter d’imiter le modèle de consommation dominant en diminuant les revenus des riches. Il nous faudra bien un jour égaliser la consommation de carbone par habitant, l’ère du 4x4 appartient définitivement à notre passé. La décroissance positive, c’est quelque chose de complexe et de formidable à la fois. Ce n’est certainement pas la décroissance d’un PIB auquel plus personne ne devrait faire confiance.
Car la décroissance positive, c’est un projet politique, c’est l’inverse du libéralisme économique qui conjugue la loi du profit à court terme et la destruction de notre environnement. Le libéralisme économique, ce sont les externalités négatives, les déchets que notre planète ne peut plus recycler, les pollutions qui détériorent la santé humaine. Le libéralisme économique, c’est la dilapidation de notre capital naturel pour l’avantage principal de quelques nantis. La décroissance positive, c’est au contraire la protection des travailleurs exploités, la protection de la nature sur-exploitée, la protection des besoins du présent sans oublier les besoins de nos générations futures. C’est l’action de l’Etat et le principe du pollueur-payeur, c’est le principe de précaution et la réalité de l’action. C’est le récit du futur que nous allons construire ensemble. C’est la conscience des limites, tout n’est pas possible à n’importe quel prix.