C’est Dominique Bourg qui nous présente en français une bonne approche d’Arne Naess dans son livre Les scénarios de l’écologie7 : « Au nom de l’interdépendance qui les rassemble et qui conditionne leur existence, toutes les espèces sont dotées d’un droit à l’existence égal à celui de toutes les autres. L’existence de chaque espèce devient une fin en soi. En conséquence la conception humaniste qui considère l’homme comme la seule fin en soi, ravalant tout le reste de l’univers au statut de moyen, doit être rejetée. (p.43) » (…) « Le but est donc d’atteindre la symbiose sans que cela ait pour conséquence l’élimination de l’individualité au profit de la communauté, ce qui irait à l’encontre de ce trait essentiel de la nature qu’est la diversité. (p.44) » (…) « Arne Naess n’en demeure pas moins un des rares écologistes profonds à chercher à prévenir les dérapages possibles. D’où sa volonté de faire de la réalisation de soi le premier des principes. Ce qui d’ailleurs n’est guère étonnant de la part d’un ancien résistant au nazisme, admirateur de Gandhi. (p.56) »
Dominique Bourg présente Arne Naess comme vivant une partie de l’année en ermite dans la montagne norvégienne et selon ses propres principes (p.39). Mais il pense cependant que la réelle volonté de non violence d’Arne Naess pourrait être remise en cause par un certain fondamentalisme. Il cite par exemple Paul W.Taylor : « La disparition complète de la race humaine ne serait pas une catastrophe morale, mais plutôt un événement que le reste de la communauté de vie applaudirait des deux mains (p.52) ». Cette déformation de l’analyse d’Arne Naess est assez courante en France, c’est ce que nous allons voir maintenant.
Malgré la confidentialité de cette nouvelle philosophie, l’écologie profonde subit en France des attaques parfois modérées, le plus souvent virulentes. Dominique Bourg lui-même n’hésite pas à écrire : « Je tiens la deep ecology pour potentiellement beaucoup plus nocive que ne l’a été le nazisme. Dans sa version la plus extrême, elle peut nourrir le fantasme délirant d’une destruction de l’humanité. »8 Dans son essai Le nouvel ordre écologique9, Luc Ferry combat dès 1992 la thèse de l’écologisme radical : « Pour parodier l’heureuse formule de Marcel Gauchet, l’amour de la nature dissimulait (mal) la haine des hommes. Nul hasard en ce sens, si c’est au régime nazi et à la volonté personnelle d’Hitler que nous devons aujourd’hui encore les deux législations les plus élaborées que l’humanité ait connues en matière de protection de la nature et des animaux. » (p.25) On observe assez fréquemment ce recours à un type d’amalgame polémique que Leo Strauss a baptisé une reducio ad hitlerum10. Que Hitler ait partagé une opinion ne suffit pas à la réfuter !