Le dualisme cartésien pourrait dans l’avenir être avantageusement remplacé par un holisme écologique. Le premier paragraphe de la préface du livre Deep Ecology for the 21st century pose ainsi les termes du changement envisagé : « The long-range Deep Ecology movement has been characterized by a move from anthropocentrism to ecocentrism »12. Il s’agirait d’ouvrir les sciences humaines vers une prise en compte de tous les aspects de la réalité biophysique.
La pensée occidentalisée se fonde sur le dualisme cartésien et considère l'homme comme un élément distinct et séparé de son environnement. Par exemple, la plupart des économistes s'intéressent presque exclusivement aux êtres humains, ignorant pratiquement l'économie de la nature. De leur côté, la plupart des écologistes académiques étudient les organismes non humains, ignorant pratiquement l'homme. Même en économie environnementaliste, la nature ne sert que de fournisseur de ressources et de puits de déchets. Cette perception dualiste est exacerbée par l'arrogance technologique. La confiance absolue en l'ingéniosité technique est l'une des explications au privilège presque exclusif de la croissance économique comme voie menant à la durabilité socio-économique et écologique. En résumé, le paradigme dominant sur lequel repose le développement mondial fait correspondre le bien-être humain à la croissance des revenus. Les facteurs écologiques et sociaux indépendants sont presque totalement exclus de l'équation monétaire. Pourtant, bien que les êtres humains ne puissent, par définition, faire partie de l'environnement, ils font étroitement partie de chacun des écosystèmes qu'ils exploitent.
Le holisme écologique présente une alternative au dualisme cartésien. Dans cette optique, l'économie est perçue comme un sous-système ouvert, en croissance et complètement dépendant d'une écosphère matériellement fermée, finie (notre planète) et sans croissance. La notion d'un « environnement » distinct disparaît. Les apports nets à l'écosphère se limitent à l'énergie solaire et la déperdition aux pertes thermiques. La croissance du sous-système économique est donc, de façon ultime, freinée par les capacités de production de l'écosphère et par les possibilités d'assimilation de celle-ci. Ces contraintes peuvent être soulagées par la réutilisation, la remise à neuf et le recyclage, mais ne peuvent être éliminées. La compétition entre les espèces est donc un jeu à somme nulle, ce qui est gagné par les uns est perdu par les autres. Le progrès technique permet à l'être humain d'exploiter avec un succès incroyable presque tous les écosystèmes de la planète. Toutefois, l'énergie et les matières extraites des réserves totales mondiales pour répondre aux besoins des humains sont retirées, de façon irréversible, aux autres espèces. La croissance de l'entreprise humaine entraîne le déplacement d'espèces hors de leurs niches d'alimentation et d'habitat, l'élimination d'autres espèces qui sont en compétition avec nous pour la nourriture et les ressources, ainsi que l'appauvrissement des stocks du capital naturel.
(COLLECTIF/George SESSIONS)