L’écologie dont nous avons besoin n’est pas celle qui considère l’écosphère dont dépend notre survie avec une distance et un détachement tout scientifique. Nous ne sauverons pas la planète par une décision consciente, rationnelle et dépourvue de sensibilité. Un engagement moral et émotionnel est nécessaire. C’est une foi en la sagesse des forces qui ont créé le monde naturel et le cosmos dont nous faisons partie ; une foi dans sa capacité de nous procurer d’extraordinaires bienfaits ; une foi en notre aptitude à développer les schémas culturels qui nous permettront de préserver ce qui reste de l’intégrité et de la stabilité du monde naturel.
Pour Aldo Leopold, « le fait que la terre soit une communauté est le concept de base de l’écologie. C’est par un élargissement de l’éthique que cette terre doit être aimée et respectée. Nous outrageons la terre, parce que nous la considérons comme une marchandise qui est notre propriété, mais si nous la regardions comme une communauté à laquelle nous appartenons, il y a toutes les chances que nous commencerions à en faire usage avec amour et respect. » Ce chemin, c’est le Chemin que d’innombrables générations d’hommes traditionnels ont perçu comme moral, comme servant à préserver l’intégrité et la pérennité du monde vivant. La société moderne a entrepris de s’écarter systématiquement du Chemin. Son but premier est le développement économique ou progrès, qui ne peut s’accomplir qu’en perturbant méthodiquement l’ordre spécifique de l’écosphère, en la détruisant pour la remplacer par une technosphère qui tire ses ressources de l’écosphère et qu’elle encombre de déchets de plus en plus toxiques.
Si nous devons être un jour capables de prédire l’avenir avec quelques exactitudes, ce ne sera pas en développant de nouvelles technologies, aussi ingénieuses et sophistiquées soient-elles, mais en réduisant drastiquement l’impact de nos activités sur l’écosphère, créant par là même les conditions dans lesquelles nous pourrons effectivement restaurer son ordre spécifique, et le rendre de nouveau prévisible. Pour le nomade, les biens matériels que nous assimilons à la richesse sont avant tout un fardeau qu’il trouve cruellement gênant, et ce d’autant plus qu’il doit le transporter longtemps. La richesse réelle provient du bon fonctionnement du monde naturel. Nos plus précieuses richesses sont le climat favorable et stable, les forêts, les savanes et les terres agricoles fertiles, les rivières et les ruisseaux, les marais et récifs coralliens, les mers et océans et les myriades d’espèces vivantes qui les peuplent. Voilà ce qu’il faut considérer comme notre véritable richesse.
C’est sans doute porter un coup à notre ego collectif, mais nous ne sommes pas les maîtres de la vie, perchés sur le dernier barreau d’une échelle de l’évolution. Les êtres humains ne sont ni particuliers, ni spéciaux, ni à part, ni uniques. Une extension à la biologie de la vision copernicienne où nous ne serions plus au centre de l’univers nous priverait de notre position dominante. L’Ecologie profonde, avec ses préoccupations éthiques et métaphysiques, pourrait devenir un mouvement de ce genre. Il nous faut lutter pour affaiblir systématiquement les principales institutions du monde industriel, l’Etat, les firmes géantes et la techno-science, qui transforment la société et le monde naturel. Il y a des raisons d’espérer que les mouvements revitalistes à tendance écologique s’efforceront d’atteindre leur but par des moyens pacifiques, dans la vraie tradition gandhienne. Parallèlement, nous devons recréer autant que possible la famille et la communauté, et l’économie localisée et diversifiée qui lui fournissent sa base matérielle, desserrant ainsi l’emprise quasi universelle d’un système économique destructeur, qui est en tout cas sur le déclin et peut-être proche de l’effondrement.
(éditions Du Rocher)