traduction française de The limits to Growth - The 30-year update (2004)
1/7) préface de Jean-Marc Jancovici
Les grandes aventures humaines ont toujours eu pour objectif de dépasser les limites. Les expéditions de Marco Polo, Vasco de Gama, Magellan, Colomb… ont toutes un point commun : aller voir ce qui se passait au-delà de la limite connue. La Lune est à 400 000 kilomètres de la Terre, séparée par le vide. Qu’à cela ne tienne, un peuple entier se mobilise pour parvenir à y faire une promenade. L’ère industrielle a fait de la technique le terrain de jeu favori pour tutoyer la limite. Aujourd’hui, que l’on soit grand sportif, grand drogué, grand patron ou grand artiste, on est « grand » quand on a dépassé une limite.
Dans le livre The limits to Growth - The 30-year update (2004), il est presque uniquement question des limites, non point pour les dépasser, mais au contraire pour s’en accommoder. L’idée de base qui a nourri ce livre est d’une simplicité biblique : pour que les hommes puissent produire, qu’il s’agisse de nourriture ou de la fusée Ariane, il leur faut des ressources naturelles. Tant que nous poursuivons un objectif de croissance économique perpétuelle, nous pouvons être aussi optimistes que nous le voulons sur le stock initial de ressources et la vitesse du progrès technique, le système finira par s’effondrer sur lui-même au cours du XXIe siècle. Par « effondrement », il faut entendre une chute combinée et rapide de la population, des ressources, de la production industrielle et alimentaire par tête. En 1972, The limits to Growth soulignait que la seule manière d’éviter cette issue était de stabiliser le PIB mondial au niveau de 1975 et d’affecter tout progrès technique à venir à « faire plus propre à consommation constante », et non à favoriser une consommation croissante. Ce n’est pas le chemin que nous avons suivi depuis ce premier ouvrage.
Une question lancinante, devenue plus urgente que jamais, n’a toujours pas trouvé d’enceinte où être débattue à son juste niveau : si la croissance doit, à relativement court terme, devenir un simple souvenir, comme organiser un avenir qui soit désirable ?
Jean-Marc Jancovici, fondateur du cabinet carbone 4
2/7) Genèse des limites
The Limits to Growth a été élaboré au sein du groupe Dynamique des Systèmes du MIT (Massachusetts Institute of Technology) entre 1970 et 1972. Nous avons utilisé le modèle informatique World3. Son ancêtre World1 avait été conçu par Jay Forrester en réponse aux questions du Club de Rome sur les interconnexions entre les tendances et les problèmes internationaux.
Dans tous les scénarios réalistes de World3 en 1972, les limites physiques de la planète obligent la croissance à s’arrêter à un moment ou un autre du XXIe siècle. L’expansion de la population et du capital physique contraint petit à petit l’humanité à consacrer davantage de capital à la résolution des problèmes nés de l’association de plusieurs limites. Au bout du compte, ces problèmes accaparent tellement de capital qu’il devient impossible d’alimenter la croissance de la production industrielle. Le déclin de l’industrie empêche alors la société d’assurer la production dans d’autres secteurs : alimentation, services, etc. Et lorsque ces secteurs cessent de se développer, l’accroissement démographique s’arrête, lui aussi. Nous espérions (en vain) que ces réflexions allaient pousser la communauté internationale à prendre les mesures pour réduire les risques d’effondrement.
En 1992, nous en avons publié une version révisée, Beyond the Limits (Au-delà des limites, mais cet ouvrage n’a pas été traduit en français). Cette version présente une nouvelle conclusion, d’une importance capitale : L’humanité avait déjà dépassé les limites de la capacité de charge de la planète. D’où le titre de l’ouvrage. Publié lors de l’année du Sommet de la Terre à Rio, nous savons aujourd’hui que les hommes n’ont pas réussi à atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Quant au sommet de Johannesburg, en 2002, le bilan fut encore plus mince. L’empreinte écologique de Mathis Wackernagel montre que l’humanité a connu pour la dernière fois un niveau de vie soutenable dans les années 1980. Elle enregistre en 2004 un dépassement de 20 %.
En 2004, avec The limits to Growth - The 30-year update, nous aimerions inciter les citoyens du monde entier à réfléchir aux conséquences à long terme de leurs actions, et recueillir leur soutien en faveur de mesures qui atténueraient les dégâts causés par le dépassement. Le dépassement écologique nous semble un concept beaucoup plus important, en ce XXIe siècle, que le libre-échange.
Le dépassement peut être catastrophique lorsque les dommages qu’il cause sont irréversibles. Personne ne peut plus rien faire une fois qu’une espèce s’est éteinte. Les combustibles fossiles disparaissent définitivement chaque fois qu’on en utilise. Il n’existe aucun mécanisme naturel qui rende inoffensifs certains polluants comme les matières radioactives. Lorsque le climat est perturbé de façon significative, les données géologique montrent que nous ne reviendrons pas à la normale dans un laps de temps significatif pour la société humaine. Chaque fois que les forêts tropicales sont rasées d’une façon qui empêche leur repousse, que de l’eau de mer infiltre les aquifères, que les sols sont à ce point lessivés qu’il ne reste plus que le sol rocheux ou que l’acidité du sol est insuffisamment modifiée pour que celui-ci rejette les métaux lourds qu’il contient, la capacité de charge de la Terre est atteinte de façon définitive ou pour une durée qui paraît infinie aux humains.
Lorsque nous avons publié nos résultats pour la première fois, en 1972, la majorité des individus considéraient que la perturbation par l’homme des processus naturels à l’échelle planétaire était inconcevable. Elle fait aujourd’hui la une des journaux, constitue le thème de réunions scientifiques et se situe au cœur des négociations internationales.
3/7) Pour une vision systémique
Nous mettons l’accent sur des ensembles d’éléments matériels et immatériels interconnectés qui forme un système dynamique. La population, la production de nourriture et la production industrielle, la consommation de ressources et la pollution augmentent de façon exponentielle. L’augmentation exponentielle, c’est-à-dire le fait de doubler à chaque période, donne très rapidement des chiffres extrêmement élevés. On peut prendre l’exemple du Nigeria pour illustrer les conséquences d’un doublement continu. Ce pays comptait 36 millions d’habitants en 1950 et 125 millions en 2000. Avec un taux d’accroissement de 2,5 % par an le temps de doublement est d’environ 29 ans. A ce rythme, le Nigeria atteindra 1 milliard d’habitants en 2087. Ce pays subit déjà la faim et la détérioration de son environnement.
Une boucle de rétroaction positive est une chaîne de relations de cause à effet qui boucle sur elle-même et entraîne un renforcement des effets. Dans la dynamique des systèmes, le terme de boucle positive ne signifie pas que la boucle donne des résultats souhaitables. En fait, elles ont souvent un effet déstabilisant car il y a le potentiel d’une croissance exponentielle. Il existe nombre de facteurs qui peuvent croître ainsi, la violence comme la corruption peuvent s’autoalimenter, de même que le réchauffement climatique. Une hypothèse centrale du modèle World3 est que la population et le capital sont structurellement capables de croissance exponentielle.
La multiplication par quatorze de la production industrielle mondiale depuis 1930 a permis à certains de devenir extrêmement riches, mais elle n’a pas tordu le cou à la pauvreté. Il n’y a aucun raison de penser qu’une nouvelle multiplication par quatorze mettrait un terme à la pauvreté. Lorsque nous, dynamiciens des systèmes, observons un schéma qui se répète, nous estimons que les causes de ce schéma sont intrinsèques à la structure en boucle de rétroaction, par exemple « on ne prête qu’aux riches ». La croissance a élargi le fossé entre riches et pauvres. Les riches font de l’argent et les pauvres font des enfants. La boucle accroissement démographique/pauvreté forme aussi un système piège, une boucle d’aggravation de situations déjà problématiques. On compte plusieurs boucles d’érosion croissante dans World3. Par exemple, lorsque les populations ont faim, elles cultivent la terre de façon plus intensive. Elles obtiennent davantage de nourriture à court terme, mais cela se fait aux dépens d’investissements à long terme dans l’entretien des sols. La fertilité de la terre diminue alors, entraînant avec elle la baisse de la production de nourriture.
Mais toute boucle de rétroaction positive nuisible à un système peut être inversée pour lui être favorable. La réduction de la pauvreté ralentit l’accroissement démographique, qui réduit à son tour la pauvreté. Il faut se poser les questions suivantes : croissance de quoi ? Pour qui ? De quel type de besoin parle-t-on vraiment ? A partir de quand est-on dans l’excès ? Comment déterminer ce qui est suffisant ? Quelles obligations avons-nous de partager ? Nous devons abandonner les causes de la croissance pour nous tourner vers les limites qui se posent à cette croissance.
4/7) Les limites du modèle World3 et le monde réel
Il n’y a ni guerre, ni grève, ni corruption, ni toxicomanie, ni terrorisme dans World3. La population fait de son mieux pour résoudre les problèmes qu’elle perçoit, mais n’est perturbée par aucune lutte pour le pouvoir, aucune intolérance ethnique, aucune corruption. Intégrant très peu de limites sociales, World3 offre donc un tableau trop optimiste des scénarios futurs. Il faut se souvenir aussi que World3 ne fait pas de distinction entre les zones riches et les zones pauvres de la planète. Cette simplification rend encore plus optimiste le modèle. Dans « le monde réel », si la faim touche avant tout l’Afrique, on enregistrera des délais très longs avant que le problème ne soit résolu.
De plus, un système ne peut pas parvenir en douceur à un état d’équilibre vis-à-vis de ses limites si le signal de réaction arrive trop tard ou est déformé, si le système n’en tient pas compte ou s’il n’y croit pas. Alors l’entité en expansion va s’autocorriger trop tard et dépasser la limite. Les retards dans la mise en place de politiques sont également importants. Il faut attendre de nombreuses années entre la date à laquelle un problème est observé pour la première fois et celle où tous les acteurs admettent l’existence de ce problème et tombent d’accord sur un plan d’action commun.
L’inertie s’ajoute au retard des signaux et elle constitue une autre source de retard dans la réponse apportée à ces mêmes signaux. Etant donné le temps qu’il faut à une forêt pour repousser, à des polluants pour s’infiltrer dans l’écosystème et aux individus pour s’instruire ou se recycler, le système ne peut pas changer du jour au lendemain, même après avoir perçu et accepté l’existence d’un problème. Plus un bateau met de temps à virer, plus son radar doit porter loin. Les systèmes politiques et économiques de la planète ne regardent pas aussi loin devant eux. Enfin, le dernier acteur du dépassement est la poursuite de la croissance. Plus la croissance est rapide, plus le dépassement est important et plus la chute est vertigineuse. Or les systèmes politiques et économiques de la planète ont pour tâche d’atteindre le rythme de croissance le plus soutenu possible. Tout système démographique, économique et écologique qui a besoin d’un temps de réaction et souffre d’une lenteur physique, qui est confronté à des mécanismes érosifs et qui se développe rapidement est, au sens strict du terme, ingérable Ses technologies auront beau être extraordinaires, son économie parfaitement efficiente et ses dirigeants brillants, il ne pourra éviter les dangers. S’il s’évertue à accélérer, il dépassera les limites.
Le développement de la culture industrielle a fait naître dans toutes les communautés terriennes ou presque le désir et l’attente d’une croissance matérielle infinie. L’idée de limites à la croissance est pour beaucoup impossible à envisager. Les limites sont politiquement taboues et économiquement inconcevables. Notre culture fait une confiance aveugle aux pouvoirs de la technologie et au fonctionnement du marché. Nous ne sommes pas anti-technologie, ni anti-économie de marché. Mais si les objectifs d’une société sont d’exploiter la nature, d’enrichir les élites et de faire fi du long terme, alors cette société développera des technologies et des marchés qui détruiront l’environnement, creuseront le fossé entre les riches et les pauvres et privilégieront les gains à court terme. En résumé, cette société va développer des technologies et des marchés qui vont précipiter son effondrement au lieu de l’éviter.
Pour de nombreux économistes, la technologie fonctionne automatiquement, sans délai ni coût et ne produit que des résultats souhaitables (cf. fonction de Cobb-Douglas). Dans « le monde réel », cependant, la technologie n’a pas ces merveilleuses propriétés. Aucune société normalement constituée ne persévérerait dans une technique agricole qui augmente les rendements mais détruit la terre. Il existe pourtant des exemples de ce type de comportement. Au lieu de protéger les stocks halieutiques, la technologie employée a au contraire pour but d’attraper jusqu’au dernier poisson. Le marché est sourd à toute idée de long terme et n’a que faire des ressources et des exutoires ultimes jusqu’à ce qu’ils soient quasiment épuisés et qu’il soit trop tard pour appliquer des solutions satisfaisantes. L’évolution du prix du pétrole est complètement déconnectée du système terrestre. Le marché s’empresse de récompenser ceux qui réalisent le plus de captures de poissons. Ce ne sont pas les individus qui sont fautifs, c’est le système. Car lorsqu’un marché non réglementé gère une ressource commune dont le rythme de régénération est lent, cela conduit à la destruction des biens communs. Lorsqu’ils sont utilisés en dehors de toute notion de limites, les marchés et la technologie ne peuvent engendrer que le dépassement de la capacité de charge.
5/7) Le dépassement de la capacité de charge
Nous avons développé World3 pour comprendre l’interaction entre l’économie humaine et la capacité de charge de la planète durant le siècle à venir. Le terme de capacité de charge est complexe, aucune définition n’est universellement admise. Par exemple, il n’y a pas d’accord sur la durée minimale durant laquelle un système doit persister pour être qualifié de durable. De même qu’il n’y en a pas sur la façon dont on peut tenir compte des exigences des autres espèces. Nous utilisons le terme dans son acception la plus générale afin de désigner le nombre d’individus qui, dans des circonstances données, peuvent vivre sur la planète pendant une longue période (au moins plusieurs décennies) sans détériorer la productivité globale de cette planète. La capacité de charge est en soi une limite. Toute population qui se développe au-delà de sa capacité de charge, dépassant la limite, n’a pas beaucoup d’avenir devant elle. On peut dépasser les limites en attaquant de façon soutenue et permanente le stock de ressources. Si cela devait se produire, la population et l’économie seraient contraintes de décliner rapidement pour équilibrer la capacité de charge qui aurait dégringolé. Nous utilisons l’expression dépassement et effondrement pour qualifier ce scénario. La prévision d’une catastrophe devant un public sensé et actif doit, dans l’idéal, ne pas aboutir ou se révéler fausse, en induisant l’action qui va l’empêcher de se produire. Nous espérons, avec Wolrd3, livrer une prophétie qui ne se réalisera pas.
Les signaux et les pressions sont des parties constitutives des boucles de rétroaction négatives. Ils cherchent à aligner l’économie sur les contraintes du système environnant. En d’autres termes, ils cherchent à stopper l’augmentation de l’empreinte écologique qui fait pression sur les sources et les exutoires de la planète. Les spécialistes de l’environnement résument les causes de la dégradation environnementale par une formule IPAT :
Impact = Population x Abondance x Technologie
L’impact ou empreinte écologique sur la planète est égal au produit de la population par son niveau de consommation (Abondance ou niveau de vie) et par les dégâts causés par les technologies pour satisfaire ce niveau. L’impact de la technologie est défini comme l’énergie nécessaire pour fabriquer et fournir chaque flux de matière multipliée par l’impact sur l’environnement par unité d’énergie. Afin de réduire l’impact global, il semble raisonnable que chaque pays s’efforce de progresser dans le secteur où il a le plus de possibilités de le faire. Pour les pays en développement, il s’agit de la population, pour les pays occidentaux du niveau de vie, et pour le pays d’Europe de l’Est, de la technologie.
6/7) Vers un système soutenable
Les humains peuvent réagir de trois façons aux signaux indiquant que l’utilisation de ces ressources ont dépassé les limites durables. La première consiste à nier les signaux, ce qui ne fait qu’aggraver la situation. La deuxième consiste à atténuer la pression au moyen de procédés techniques ou économiques. Ces mesures d’écoefficience s’imposent, mais elles n’éliminent pas pour autant les causes de ces pressions. Il faut donc chercher à changer la structure du système, agir sur les boucles de rétroaction. Pareille transformation n’a pas besoin d’être dirigée de façon centralisée ; elle peut être non planifiée, dynamisante et joyeuse.
Supposons qu’à partir de 2002, chaque couple dans le monde soit conscient de ce qu’implique la poursuite de l’accroissement démographique et décide de se limiter à deux enfants (en moyenne). Comme la croissance du capital est aussi insoutenable, supposons que les individus décident de réduire leur mode vie matériel. On réduit même les investissements en concevant des équipements à durée de vie rallongée de 25 %. Alors dans notre scénario 9 il y a durabilité, le système mondial est parvenu à un équilibre. Vue sous l’angle de l’analyse des systèmes, une société durable est une société qui a mis en place des mécanismes informationnels, sociaux et institutionnels qui lui permettent de garder le contrôle des boucles de rétroaction positives responsables de la croissance exponentielle de la population et du capital. Cela signifie que le taux de natalité est à peu près égal au taux de mortalité et que le taux d’investissement est similaire au taux de dépréciation.
Les flux économiques doivent remplir ces trois conditions posées par Herman Daly :
- le taux d’utilisation des ressources renouvelables ne doit pas excéder leur taux de régénération.
- Le taux d’utilisation des ressources non renouvelables ne doit pas excéder le taux auquel des substituts renouvelables à ces ressources sont développés.
- Le taux d’émission de pollution ne doit pas excéder la capacité d’assimilation de l’environnement.
Ni favorable, ni opposée à la croissance, cette société ferait la distinction entre les différents types de croissance. Elle pourrait même aller jusqu’à soutenir l’idée d’une croissance négative pour remédier aux excès et redescendre en deçà des limites. Avant de décider d’un quelconque projet de croissance, une société durable poserait les questions suivantes : A quoi sert cette croissance ? A qui bénéfice-t-elle ? Combien de temps durera-t-elle ? Cette croissance peut-elle être supportée par la planète ? La croissance telle qu’elle est structurée aujourd’hui ne résout pas les problèmes de la pauvreté et du chômage. La sobriété et la solidarité peuvent nous aider à forger de nouvelles approches pour mettre un terme à la pauvreté. Les hommes n’ont pas besoin de grosses voitures, mais ils ont besoin d’admiration et de respect.
Il serait préférable d’apprendre à mener une vie satisfaisante nettement en dessous des limites estimées de la planète plutôt que de s’évertuer à obtenir le maximum de ce qui est physiquement possible. En effet, les limites physiques à la croissance sont variables et incertaines, et tant leurs signaux que nos réactions seront toujours tardifs. Retarder la transition vers la durabilité signifie au mieux priver les générations futures de certaines options et au pire précipiter l’effondrement. Mais une chose est claire : chaque fois que la transition vers un équilibre soutenable est repoussée d’un an, les choix qui restent possibles s’en trouveront réduit. Les problèmes augmentent, alors que les capacités de les résoudre sont moindres. Attendre vingt ans supplémentaires, et on se trouve embarqué dans une expérience chaotique et finalement sans issue.
(éditions Rue de l’échiquier)
7/7) L’état d’esprit de Dennis Meadows en juin 2012
Nous entrons dans une période d’arrêt de la croissance. Tous les signes le montrent, le changement climatique, la dislocation de la zone euro, les problèmes alimentaires… sont les symptômes d’un système qui s’arrête. Les gens traitent ces questions comme s’il s’agissait de problèmes qu’il suffit de résoudre pour que tout aille bien. Mais en réalité, si vous résolvez le problème à un endroit, la pression va se déplacer ailleurs.
Quand vous avez un enfant, vous vous réjouissez, au départ, qu’il grandisse et se développe physiquement. Mais si à l’âge de 18 ou 20 ans il continuait à grandir, vous vous inquiéteriez. Quand sa croissance physique est terminée, vous voulez en fait de la croissance qualitative, vous voulez qu’il se développe intellectuellement. Malheureusement, les hommes politiques agissent comme s’ils ne comprenaient pas la différence entre croissance quantitative et qualitative. Ils poussent automatiquement le bouton de la croissance quantitative. C’est pourtant un mythe de croire que celle-ci va résoudre le problème de la zone euro, de la pauvreté, de l’environnement… La croissance, les pesticides, les énergies fossiles, l’énergie bon marché, nous sommes accros à tout cela. Si vous allez voir un chirurgien avec un problème, il va vous répondre « chirurgie », un psychiatre « psychanalyse », un économiste « croissance ». Les gens veulent être utiles, ils ont un outil, ils imaginent donc que leur outil est utile. Le marteau pense comme son clou.
La plupart des problèmes, nous ne les résolvons pas. Nous n’avons pas résolu le problème des guerres, nous n’avons pas résolu le problème de la démographie. En revanche, le problème se résoudra de lui-même parce que vous ne pouvez pas avoir une croissance physique infinie sur une planète finie. Donc la croissance va s’arrêter. Les crises et les catastrophes sont des moyens pour la nature de stopper la croissance. Nous aurions pu l’arrêter avant, nous ne l’avons pas fait donc la nature va s’en charger. Le changement climatique est un bon moyen de stopper la croissance. La rareté des ressources est un autre bon moyen. La pénurie de nourriture aussi. Quand je dis « bon », je ne veux pas dire bon éthiquement ou moralement mais efficace. Ça marchera.
En 1972, nous étions à 85 % environ de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités. Aujourd’hui, nous sommes à 150 %. Quand vous êtes en dessous du seuil critique, c’est une chose de stopper les choses. Quand vous êtes au-delà, c’en est une autre de revenir en arrière. Donc oui, la nature va corriger les choses. Malgré tout, à chaque moment, vous pouvez rendre les choses meilleures qu’elles n’auraient été autrement. La résilience est un moyen de construire le système pour que, lorsque les chocs arrivent, vous puissiez continuer à fonctionner, vous ne vous effondriez pas complètement. Par exemple le « réseautage » qui vous rend moins dépendant des marchés. Au lieu d’employer une baby-sitter, vous demandez à votre voisin de garder vos enfants et en échange vous vous occupez de sa plomberie. Je pense que nous allons voir plus de changement dans les vingt ans à venir que dans les cent dernières années.
Soyons clairs, la démocratie en Europe est menacée. Car l’humanité obéit à une loi fondamentale : si les gens doivent choisir entre l’ordre et la liberté, ils choisissent l’ordre. C’est un fait qui n’arrête pas de se répéter dans l’histoire. L’Europe entre dans une période de désordre qui va mécontenter certaines personnes. Et vous allez avoir des gens qui vont vous dire : « Je peux garantir l’ordre, si vous me donnez le pouvoir. » L’extrémisme est une solution de court terme aux problèmes.
Condensé d’une interview de Dennis Meadows par TerraEco (juin 2012)