éditions La Découverte, 174 pages, 8 euros (2004, réédition 2010)
sous-titre : Comment le monde se meurt de notre mode de vie
Voici l'utopie publicitaire, se faire les bergers d'un troupeau de consommateurs et mener ces veaux vers les verts pâturages des grandes transnationales. Mais il est toujours plus facile de faire croire aux gens qu'ils sont libres et souverains que de leur faire comprendre que ce n'est pas si simple.
1/3) La liberté d'expression est absente de la publicité
A) La publicité, c'est le règne des marchands
- Selon certains, le consumérisme résulte uniquement du « choix libre » des individus. On se refuse généralement à s'admettre influençable. Il est toujours plus facile de faire croire aux gens qu'ils sont libres et souverains que de leur faire comprendre que ce n'est pas si simple.
- Une publicité n'est pas censée être l'expression libre d'une personnalité, elle suit rigoureusement les indications de commerciaux.
- La publicité peut être définie comme un processus de communication orienté émanant d'une organisation, structurée de façon à favoriser l'émetteur du message, dans le but de convaincre la cible d'aimer et d'acheter un produit et un service.
- Par définition, la publicité est laudative. Au service des pouvoirs économiques (et politiques) qui disposent du capital requis pour s'offrir ses coûteuses prestations, son rôle est de redorer leur blason en propageant des bobards qu'ils voudraient que les populations gobent.
- Le terme de réclame fut abandonné pour celui de publicité, positivement connoté puisqu'il évoque le « bien public ». Mais annonceurs, publicitaires, afficheurs, etc. sont des entreprises privées. La seule chose publique dans la publicité, c'est le public importuné !
- Dans la publicité, il ne s'agit ni d'échanger, ni de confronter des idées. On veut imposer des « images ». C'est une communication à sens unique. N'admettant de réponse qu'en termes d'achat, la suggestion publicitaire est de l'ordre de l'hypnose. Le consumérisme, c'est le monde social des envieux et le règne momentané des caprices.
- C'est justement parce que les gens cherchent à l'éviter que la publicité doit les harceler. Car tel est bien le terme approprié pour cette pression indésirable de tous les instants.
- La création artistique au Moyen Age était au service du pouvoir féodal et de la religion. Aujourd'hui l'imagerie publicitaire est au service de la religion consumériste et de ces nouvelles puissances féodales que sont les marques.
B) La publicité, c'est de la désinformation
- La publicité est un métier, une technique de désinformation. Informer, c'est transmettre un message. Mais quand ce message est trompeur, il désinforme. Alors que le journalisme a en principe une fonction informative et critique, la publicité n'a qu'une fonction commerciale et apologétique.
- La publicité « distrait ». C'est vrai, mais au sens profond du terme qui n'a rien d'amusant : divertir, détourner notre attention du désastreux processus de production.
- La publicité est la vitrine où les marchandises se donnent en spectacle, mais elle omet systématiquement de nous montrer leurs coulisses industrielles. Si les publicitaires nous informaient vraiment sur l'histoire de leurs produits, alors nous verrions leurs affiches se couvrir de sueur et parfois même de sang. Leur rôle est d'occulter l'horreur productiviste derrière le confort consumériste.
- L'information porte tout au plus sur l'existence d'une offre : on annonce qu'une marchandise est là, sans dire vraiment ni ce qu'elle est, ni d'où elle vient. Et encore. Qui croit que Coca-Cola fait de la pub pour faire connaître son existence ?
- Il ne s'agit pas d'informer, mais de chercher l'impact sur des cibles. On ne s'adresse pas à des individus, mais à des créneaux par un arsenal de moyens sophistiqués. On mène des campagnes, on recherche des percées, enfin on occupe le terrain. Les publicitaires se délectent de la métaphore militaire.
- La publicité implique la manipulation, car qu'est-ce que manipuler quelqu'un, sinon lui faire faire quelque chose qu'il n'aurait pas fait spontanément, comme renouveler inutilement des marchandises aussi futiles que nuisibles.
- Il n'est pas nécessaire de regarder les pubs attentivement pour qu'elles aient leur effets. Il suffit de les voir régulièrement pour qu'elles se gravent de façon inconsciente. La publicité fonctionne plutôt comme un bain de sollicitations dans lequel nous sommes plongés à longueur de journée.
- La persuasion par association est un procédé publicitaire qui consiste à associer ce dont on veut faire l'éloge à quelque chose qui n'a rien à voir. Ainsi dans une campagne de vente, la beauté féminine peut être liée à n'importe quoi, depuis un bulldozer jusqu'à un diurétique.
C) La publicité, c'est la dévastation du monde
- Au lieu d'améliorer le niveau culturel des êtres humains, elle coupe les populations de leurs traditions culturelles pour les intégrer de force au système industriel. C'est un lavage de cerveaux qui nivelle la diversité culturelle mondiale.
- Le but de la publicité est de court-circuiter la réflexion pour susciter des réflexes. Notre seule liberté est de choisir entre des marchandises plus ou moins similaires. L'homme unidimensionnel qui résulte de la publicité se projette seulement vers de nouvelles dépenses. Il ne saurait se rebeller.
- « Pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Les émissions de TF1 ont pour vocation de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages publicitaires. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau disponible. » (Patrick Le Lay, PDG de TF1)
- De la dévastation, la publicité est à la fois vecteur et vitrine. Elle contribue à la destruction écologique de la planète, à la détérioration des relations humaines, à la dégradation des imaginaires et à un abrutissement spectaculaire. Les publicitaires sont des marchands de sable qui ne travaillent que pour la progression du désert.
- En masquant l'étendue du désastre, la publicité désamorce tout ce qui pourrait conduire à une contestation du monde industriel, et même plus : elle canalise le mécontentement qu'il suscite vers des exutoires marchands et nous détourne de toute réflexion sur la vie que nous sommes forcés de mener. Est-il bien naturel que des millions de personnes passent plusieurs heures chaque jour dans les transports pour aller travailler ?
- La critique du système publicitaire est la condition préalable de toute critique sociale. C'est un préalable car il faut déjà s'être libéré du consumérisme pour ouvrir les yeux sur le monde immonde qu'engendre la croissance marchande.
2/3) la publicité, née de l'industrialisation
Une économie de subsistance (une société dont les membres produisent le nécessaire pour vivre) n'a bien sûr pas besoin de publicité. Même une économie de marché rurale et artisanale, comme celle des Etats-Unis jusqu'au milieu du XIX siècle, n'en a pas besoin. Mais aujourd'hui le marché n'est plus un ensemble concret de clients plus ou moins bien connus, mais une masse abstraite de consommateurs lointains. Il devient donc indispensable de dépenser des sommes considérables pour s'attacher ces inconnus grâce aux médias de masse. Ce sont les grandes firmes industrielles qui font de la publicité. Dans la France de l'an 2000, 27 entreprises représentent 20 % du marché de la publicité. Et moins de 1000 entreprises en représentent 80 % ; à mettre en rapport avec les 2,4 millions d'entreprises enregistrées en France. La publicité est au service d'une poignée de firmes hégémoniques qui s'en servent pour étouffer la concurrence et inciter à mettre la main au porte-monnaie.
Née de industrialisation, la publicité se définit comme une industrialisation de l'art de vendre. Elle est à l'enseigne de boutique ce que les armes de destruction massive sont au couteau de table. Car elle est fondamentalement liée à la production de masse et à son corollaire, l'impérieuse nécessité d'écouler les surplus. Une économie capitaliste ne peut pas stagner ou reculer durablement. Si elle commence à le faire, elle risque de s'écrouler brutalement de manière cumulative. Il faut absolument croître, même quand les nécessités de base sont satisfaites pour tous ; même quand une partie de la population perd sa vie à produire des choses inutiles ou nuisibles. Ce qui implique de persuader les gens qu'il vaut mieux acheter des soupes en boîte que les faire soi-même, boire des eaux gazeuses plutôt que de l'eau, se déplacer en voiture plutôt qu'à pied ou en vélo.
Alors que l'industrie aurait pu nous décharger des travaux les plus pénibles, elle nous a asservi à un labeur sans répit. La publicité a joué un rôle moteur dans ce renversement... en nous innoculant d'incessantes envies de consommer. Pour promouvoir le culte du nouveau, la publicité stigmatise les traditions et culpabilise les « retardataires ». La fonction première de la publicité est de promouvoir la consommation de produits industriels et leur substitution aux usages populaires traditionnels. La pub suscite des chaos culturels qui introduisent en force des consommations venues d'ailleurs. Les séries télévisées, en mettant en scène la vie moderne des familles riches, font rêver de nouveaux modes de vie. Procter&Gamble a par exemple entièrement financé la série télévisée Amour, Gloire et Beauté. Les cigarettes manufaturées détrônent le pipe et le tabac à chiquer, les boissons sucrées se substituent à l'eau, la cuisine domestique est remplacée par les plats sous cellophane. Au lieu d'améliorer le niveau culturel des êtres humains, elle coupe les populations de leurs traditions culturelles pour les intégrer de force au système industriel. C'est un lavage de cerveaux qui nivelle la diversité culturelle mondiale.
Comme les grandes firmes investissent, des années à l'avance, d'immenses capitaux, elles doivent s'assurer que la production de masse sera vendue. Le marché cède alors le pas à la filière inversée (JK Gabraith) : c'est l'offre qui régule la demande. Avec le système publicitaire, la main invisible (Adam Smith) s'est transformée en matraque omniprésente. Il s'agit dorénavant d'une société bureaucratique de consommation dirigée. Pour correspondre aux impératifs d'une production standardisée, les publicitaires ont homogénéisé et standardisé les populations. Il s'agit de faire travailler les masses une seconde fois à l'accumulaton du capital, en les incitant à consommer à la maison ce qu'elles produisent à l'usine. L'homme fut ainsi réduit au rôle d'appendice des chaînes de production. Il en résulte une société où les producteurs ne consomment jamais ce qu'ils produisent, et où les consommaterus ne produisent jamais ce qu'ils consomment.
Que cela implique une bonne part de manipulation, les pubards ne le nient pas. Car qu'est-ce que manipuler quelqu'un, sinon lui faire faire quelque chose qu'il n'aurait pas fait spontanément, comme renouveler inutilement des marchandises aussi futiles que nuisibles. Si les effets commerciaux des campagnes concurrentes s'annulent partiellement, leurs effets psychologues et idéologiques s'additionnent. Les campagnes des constructeurs automobiles confirment toutes qu'il faut avoir un corbillard, et le renouveler régulièrement. Une campagne pour tel produit dope non seulement les ventes de la marque qui l'a commanditée, mais également celle de tous les produits du même type. Il ne faut pas s'étonner que les sucreries aient plus de succès que les fruits auprès des enfants.
Le phénomène de l'accoutumance est connu. Les drogués doivent constamment augmenter les doses pour obtenir le même effet. Plus il y a de pubs, moins chaque message a d'impact. Pour rester efficace, la publicité doit donc transgresser les normes et dépasser perpétuellement les limites qu'elle avait atteintes. S'il est vrai que trop de pubs tue la pub, il ne faut pas entendre qu'existe une limite absolue. Le seuil de tolérance est relatif à un moment donné. Il y a trente ans, la prolifération actuelle aurait paru intolérable. De même que personne en France ne supporterait aujourd'hui la saturation américaine.... Mais dans quelques années ?
3/3) comment lutter contre l'ennemie de l'écologie
La publicité n'est que la partie émergée de la société marchande et sa croissance dévastatrice. La publicité a essentiellement pour effet de propager le consumérisme, ce qui implique le productivisme et exploitation croissante des hommes et des ressources naturelles.
La question de la publicité est une illustration cruelle de la difficulté qu'il y a de nos jours à apporter des améliorations à un aspect particulier de la vie sociale, sans mettre en cause tous les autres aspects de celle-ci. Le reflux publicitaire ne résultera, à l'évidence, que d'un recul de la production marchande. C'est un des mérites des actions contre l'affichage que de ne pas avoir été menées afin d'obtenir satisfaction sur des revendications précises. Les actions publicidaires de 2003-2004, arrachages et barbouillages d'affiches, ont renoué avec la tradition luddite du sabotage, consistant à nuire aux dispositifs qui nous nuisent. Mais on ne construit pas une communauté de combat en un clic auprès de cyber-militants. Il manque des espaces de vie partagée et des pratiques communes quotidiennes, créant la solidarité des membres et la cohérence de leur lutte. Voilà pourquoi nous avons publié ce livre sous l'acronyme MARCUSE (Mouvement Autonome de Réflexion Critique à l'Usage des Survivants de l'Économie). Une cage ne se partage pas, elle se saccage.
La publicité nous fait apparaître comme souhaitable le renoncement à produire nous-mêmes, de manière locale et artisanale, les biens dont nous avons besoin. Ce n'est pas acceptable ! L'urgence politique est de reprendre en main, dans des collectifs à échelle humaine, nos conditions de vie. Ce sont ceux qui parviennent à se détacher volontairement de la consommation qui sont le plus épanouis puisqu'ils n'aspirent pas sans cesse à quelque chose de plus.
Un livre complémentaire, Désobéir à la PUB (par les désobéissants)
Edition le passager clandestin 2010, 62 pags, 5 euros
Pour découvrir l’action des militants antipub et les nouvelles formes de résistance qu’ils mettent en œuvre pour désobéir à l’emprise publicitaire. Face au totalitarisme soft de la pub, les actions légales ne suffisent pas à arrêter l’invasion.