L’écologie profonde (deep ecology), inspirée des écrits du philosophe norvégien Arne Naess, apparaît sur la scène intellectuelle au milieu des années 1980, grâce notamment à l’ouvrage Deep Ecology : As if Nature Mattered, du philosophe George Sessions et du sociologue Bill Devall, en 1985.
Le mouvement de l’écologie profonde propose une rupture radicale avec les fondations mêmes de notre système de pensée, ce paradigme occidental qui a coupé l’homme de son environnement naturel et qui lui a donné en quelque sorte toute légitimité à exploiter et détruire au nom du progrès et du bien-être matériel. Cet écologisme radical remet en cause cette coupure, insistant sur la nécessité d’opérer une révolution de la conscience, qui repose sur l’idée centrale que la nature possède une valeur intrinsèque, indépendant de son utilité pour l’homme. L’écologie profonde reprend, en la prolongeant, ce qui était déjà en germe dans les écrits de John Muir, d’Aldo Leopold et de Rachel Carson, à savoir une conception biocentrique de l’écologisme selon laquelle le monde végétal et animal doit être considéré comme le centre de la réalité vivante, et donc doté d’une considération morale autonome. Cette tendance avait d’ailleurs déjà obtenu quelques victoires, preuve en est le Wilderness Act de 1964, qui protège intégralement certains espaces non habités de façon permanente par l’homme. La crise écologique liée au productivisme moderne (capitaliste et communiste) qui devient manifeste dans les années1960 n’est, pour les tenants d’une vision radicale de la pensée de l’environnement, que l’aboutissement logique de notre gestion anthropocentrique des ressources naturelles.
Cette remise en cause fondamentale de la relation humaine à l’environnement implique une nouvelle façon de concevoir le mode de vie et la gestion des ressources. L’écologie profonde rejette donc la conception réformiste et régulatrice du mouvement écologiste traditionnel, et dispose d’autant plus d’arguments que l’héritage des années 1960 et 1970 est gravement menacé par la révolution idéologique des années Reagan. L’écologie profonde milite pour une véritable reconnaissance juridique des droits des espèces végétales et animales, se laissant aller parfois dans quelques écrits à quelques excès : certains des plus radicaux exigent que le virus de la variole, qui n’existe plus qu’en laboratoire, soit libéré dans la nature au nom de l’égalité des droits entre toutes les espèces ! Si certains auteurs, isolés et d’ailleurs non reconnus par les fondateurs de l’écologie profonde, se livrent à des abus choquants, ce mouvement a le mérite d’apporter à la réflexion morale et philosophique sur l’environnement un renouvellement bénéfique qui va nourrir à son tour l’action des militants de terrain, engagés dans les initiatives de citoyens.
C’est encore l’écologie profonde qui engage le débat planétaire, en liant systématiquement les enjeux locaux, nationaux et globaux. Il est en cela le précurseur du grand mouvement pour le développement durable des années 1990. La philosophie de l’écologie profonde séduit de nombreux biologistes, universitaires et intellectuels. Il a d’ailleurs fortement influencé certains homme politiques tel Al Gore. Le programme électoral des Verts américains est inspiré des huit points de la plate-forme de la deep ecology.
(éditions Lignes de repères)