1/2) petite histoire du futur
Il ne reste plus à Léa qu’un dernier descendant. Ses deux autres petits-enfants sont décédés il y a trois ans. Tous deux ont succombé à l’une de ces nouvelles maladies à côté desquelles l’épidémie de grippe aviaire, qui avait frappé la France l’année de ses 30 ans, en 2010, n’avait été qu’une discrète entrée en matière. Ils avaient été victimes d’un virus apparu en Sibérie du Nord, là où le permafrost a cédé la place à des marais à partir de l’année 2025. Léa avait définitivement renoncé à l’idée d’offrir à son dernier petit-fils une automobile depuis qu’en 2035, l’Union européenne avait réservé l’usage des biocarburants aux véhicules utilitaires. Maintenant des milliers de personnes se retrouvent au chômage. Le gouvernement français a déjà prévenu de l’interdiction des manifestations et autres défilés de protestation. Le ministre de l’Intérieur a pris un de ces décrets maudits qui annoncent que c’est l’armée qui réprimerait d’éventuels rassemblements.
L’utilisation du charbon liquéfié avait été aussi proscrite car les sols et surtout les océans qui séquestraient le carbone depuis toujours, ne jouaient plus leur rôle, renforçant ainsi très brutalement l’effet de serre anthropique et les dérèglements du climat. La semaine dernière, Léa avait appris par une amie que le thermomètre était monté jusqu’à 45°C à Caen. Léa confectionne dorénavant un repas 100 % local, ce qui réduit considérablement la variété des mets possibles. Elle se souvient comme d’un rêve des papayes que ses parents lui achetaient à la fin du XXe siècle, sans se soucier du fait qu’il avait fallu dépenser pour cela plusieurs litres de pétrole.
La Biosphère espère que tout cela vous empêchera de dormir.
2/2) inertie ou résistance ?
Nous nourrissons de grandes illusions quant à la résistance de nos sociétés. En effet, la sophistication des technologies modernes a deux conséquences : une intensification de la division sociale du travail ; des infrastructures et des équipements de plus en plus nombreux et coûteux. L’une comme l’autre ont accru la vulnérabilité de nos sociétés. Au XIVe siècle, la peste noire avait emporté un Européen sur deux sans entraîner un effondrement total. Les trois quarts de la population se composaient en effet de paysans qui, pour la plupart, se nourrissaient eux-mêmes. Qui en revanche nous nourrirait si la moitié des quelques centaines de milliers d’agriculteurs qui nous alimentent venaient à disparaître ? Quelle entreprise résisterait à la disparition d’un salarié sur deux ? Quelle société contemporaine pourrait faire face aux coûts financiers induits par des ouragans, des sécheresses et des inondations extrêmes à répétition ?
Deux caractéristiques du changement en cours rendent plus difficiles notre perception du phénomène et notre aptitude à agir : l’inertie et l’irréversibilité. L’inertie renvoie au temps long de réponse de la biosphère aux dégradations que nous lui infligeons. Une fois que nous aurons réchauffé les océans, ce réchauffement perdurera durant des millénaires, et nous n’aurons aucun moyen de les refroidir ; c’est l’irréversibilité. (p.22)
La Biosphère espère que vous allez réagir.