calmann-lévy 2006, 288 pages pour 18 euros
Le pacte écologique, signé par plusieurs candidats lors de la présidentielle 2007, y compris Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, est resté lettre morte sous les présidences de Nicolas Sarkozy (2007-2012) et de François Hollande (2012-2017). Il était pourtant incontournable. En voici quelques extrait :
1/7) L’impératif écologique, c’est la priorité des priorités
« Madame ou monsieur le futur président de la République, l’impératif écologique n’est pas une priorité, c’est la priorité…Nous sommes arrivés à un carrefour de crises : un péril écologique et social majeur guette l’humanité à échéance rapide et cette menace amplifie et accélère toutes les tendances à l’œuvre entre les hommes sur la planète. L’irréversible est à notre seuil… Il en est malheureusement des changements climatique comme des autres maux de la planète. Ils ne se développent pas progressivement mais de manière exponentielle, même si leurs multiples effets ne se voient pas encore dans toute leur ampleur… Quelles que soient vos options politiques par ailleurs, vos croyances ou vos convictions, vous n’échapperez pas à la confrontation avec ce réel-là. Il est abrupt mais sans échappatoire… il n’y a plus de centre ni de périphérie, il n’y a plus qu’une seule humanité sur une seule planète, soumise aux mêmes contraintes…
L’impératif écologique ne se présente pas comme un clivage supplémentaire. C’est, au vrai sens du terme, une question d’intérêt général... Le paysage politique qu’il dessine est radicalement différent de ceux auxquels nous sommes habitués, la petite cuisine des divergences rhétoriques, le train-train de la vie politique nationale, les réflexes partisans autour d’une représentation binaire du monde m’apparaissent déplacés, je dirais même coupables et indignes. La crise écologique ne peut plus être un objet de stratégie électorale. C’est au contraire une cause commune… Et si quelque chose émerge, ce ne sera ni à droite ni à gauche, ni au centre, mais au-dessus…
Il s’agit de rassembler ceux qui, à gauche, à droite ou ailleurs, sont décidés à relever le principal défi du temps présente et à s’engager sur un pacte écologique… J’estime qu’il est indispensable que toutes les familles politiques partagent le même diagnostic, qu’elles l’affirment à l’unisson, le véhiculent ensemble et votent de concert les grandes orientations pour une mutation écologique de notre société, d’autant plus qu’elles seront parfois rugueuses… L’impératif écologique invite expressément à construire des passerelles plutôt qu’à ériger des murs. Il faut en finir avec les logiques exclusives de parti, cette psychologie de horde où l’individu abdique toute conscience pour privilégier les intérêts de sa boutique… Ceux camps faussement opposés d’ailleurs car, à droite comme à gauche, on partage le même engouement pour une croissance illimitée, pour l’augmentation du PIB, des productions, des consommations. Je n’ai jamais entendu un dirigeant politique émettre le moindre doute sur ces questions. C’est pourtant bien le fond du problème. Quelle production ? Quelle consommation ? quelle croissance ? »
2/7) Une construction collective pour éviter le pire
Les objectifs et proposition du pacte écologique de 2006 sont le fruit d’une réflexion collective, arbitrée par Nicolas Hulot, du Comité de veille écologique. Celui-ci a été constitué en 2000 pour doter la fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme d’un corps de doctrine dans les domaines scientifique, économique et juridique. Les travaux du comité donnèrent lieu à des dizaines d’heures de débats entre des hommes et des femmes grands spécialistes de leur domaines respectifs : Roland Albignac, Robert Barbault, Jean-Paul Besset, Dominique Bourg, Patrick Criqui, Nicolas d’Almeida, Philippe Desbrosses, Christian Dubois, Marc Dufumier, Pierre-Henri Gouyon, Alain Grandjean, Alain Grimfeld, François Guérold. Jean-Marc Jancovici, Lylian Le Goff, Yvon Le Maho, Thierry Libaert, Philippe Marzolf, Marie-Antoinette Mélières, François Moutou, Pascal Picq, Jean-Pierre Raffin, Martine Rémond-Gouilloud et Jacques Weber. Pour que la richesses des échange ne rime pas avec cacophonie, Nicolas Hulot a opéré une synthèse et rendu les arbitrages inévitables pour constituer les bases du pacte écologique. Voyant que la précampagne de l’élection présidentielle de 2007 s’engageait sans que les questions d’écologie figurent si peu que ce soit au programme des candidats, ce pacte a proposé des avancées ambitieuse mais réalistes, et surtout juridiquement et institutionnellement applicables par le nouveau président dès le début de son mandat.
En agrégeant toutes les crises à un niveau inouï, en combinant inégalités des richesses et pénurie des ressources, le drame écologique a une capacité de nuisance sans précédent : celle de nous ramener au pire de l’homme et de la barbarie. Mais l’impératif écologique nous offre la chance de construire un véritable mondialisme qui ne soit pas la mondialisation marchande, dont les effets pervers ne sont plus à démontrer, mais une mutualisation planétaire des ressources, des moyens et des cultures.
3/7) La taxe carbone, passage obligé vers une société sobre
L’humanité est prise entre deux menaces, le réchauffement climatique et la déplétion des combustibles fossiles. Notre génération se trouve dans l’obligation d’anticiper et d’amortir ce double choc, si elle ne veut pas condamner l’humanité à subir les lois physiques de la nature. Imaginons qu’il reste suffisamment de pétrole, de gaz et de charbon pour prolonger encore longtemps l’ivresse énergétique : il y aurait renforcement de l’effet de serre et désastre climatique. De plus il paraît impossible de substituer aux énergies fossiles des ressources alternative en volume équivalent. Il faut passer à l’action sans perdre un instant car l’inertie de notre système économique (course au gigantisme des infrastructures de transport et de communication, extension du périurbain, explosion du trafic aérien à bas coût, dispersion des hypermarchés de périphérie, renforcement d’une agriculture productiviste…) ont besoin de quelques décennies pour se transformer radicalement sans chaos. Attendre serait proprement suicidaire.
Il n’y a pas d’autre solution que la réduction de la consommation énergétique globale. La communauté scientifique estime qu’il faut diviser par deux au moins les émissions planétaires de gaz à effet de serre d’ici 2050, en passant d’un peu plus d’une tonne de carbone en moyenne par personne à 500 kilos environ. Cela signifie une division des émissions par quatre en France (et pas plus de dix aux Etats-Unis). Avec l’objectif « facteur 4 », c’est d’ailleurs ce que le gouvernement français s’est engagé à mettre en œuvre. Pour ce faire, il faut introduire une taxe progressive et continue sur toutes les sources d’énergie à base de carbone. Faire baisser nos émissions annuelles de 3 % par an d’ici 2050, c’est possible. A titre d’illustration, et à partir d’un niveau initial de 40 euros pas tonnes de CO2 en 2010, l’augmentation serait de 80 euros par tonne de CO2 tous les dix ans dans le secteur des transports ; elle serait de 40 euros par tonne et par décennie dans le secteur résidentiel ; à 15 euros dans le secteur de l’industrie.
En renchérissant le prix de l’énergie fossile, on privilégie la responsabilisation de chaque producteur et de chaque consommateur, afin qu’il programme ses activités en évitant les surcoûts énergétiques. Des habitudes considérées comme « normales » (circuler en voiture à sa guise, brancher la climatisation, manger des tomates toute l’année…) devront évoluer dans le sens d’un civisme écologique. Or le principal déterminant de la consommation d’énergie, c’est le prix ou, plus exactement, la fraction de pouvoir d’achat qu’il est nécessaire de consacrer à l’énergie.
4/7) Une stratégie industrielle circulaire et fonctionnelle
En lieu et place d’une économie « linéaire » qui, d’un même mouvement épuise les ressources et accumule les déchets, c’est vers une économie « circulaire » (selon l’appellation germanique) qu’il faut s’orienter, en cherchant à rapprocher nos écosystèmes industriels du fonctionnement quais cyclique des écosystèmes naturels. L’ambition industrielle s’inverse : elle ne consiste pas à produire pour produire, mais à réduire, récupérer, réutiliser, re-fabriquer et recycler les productions. Il y a transformation des déchets en ressources et les matières utilisées en matières premières. Au critère de l’intensité productive et marchande, l’économie circulaire substitue son propre régulateur, celui de la durabilité.
L’économie circulaire trouve un puisant allié avec « l’économie de fonctionnalité ». Celui-ci n’implique pas un changement direct des techniques de production. Elle consiste à substituer la vente de l’usage ou de la fonction d’un bien à la vente du bien lui-même. En louant un bien ou en vendant son usage, on n’associe plus le flux financier au renouvellement des objets, mais à leur durabilité. Les produits doivent donc être conçus pour durer. Qu’adviendrait-il du secteur automobile si les industriels se convertissaient massivement à l’économie de fonctionnalité ? En d’autres termes, s’il devenait impossible d’acheter une voiture, si l’on pouvait seulement la louer ? Les voitures devraient être conçues pour durer. De plus il n’y aurait plus d’effet rebond : les innovations comme une moindre consommation ou une moindre pollution ne seront plus annulés par la croissance du trafic et l’augmentation de la taille des véhicules.
Ce n’est pas tant de produits nouveaux plus propres, plus écologiques, moins énergivores, dont nous avons besoin dans la mesure où leur effet positif risque d’être annihilé par la tendance lourde à leur multiplication. Si nous voulons sortir de la contradiction production/dégradation, il nous faut disposer de davantage de biens recyclables, réutilisables, récupérables, valorisables ou biodégradables. Le cycle de vie des produits doit être entièrement repensé et la prise en compte de la durabilité devient la règle industrielle n° 1. A l’évidence le marché n’accomplira pas spontanément la mutation vers l’économie circulaire et l’économie de fonctionnalité. Il faut donc que la puissance publique s’engage résolument dans la mise en place coordonnée de ces systèmes. Ouvrir ce chantier, l’encadrer, le planifier et le mener à son terme n’ira pas sans imposer des contraintes réglementaires.
5/7) Une planification de la frugalité
L’idée de planifier une politique de décroissance des consommations de matières premières et d’énergie peut choquer, tant nous sommes habitués aux discours inverses. Mais un tel point de vue recouvre néanmoins un principe de réalité incontournable. Personne ne souhaite aller vers une société de privation et d’abstinence, mais nous n’avons pas d’autre choix que de mettre en place des normes, des réglementations, des instruments fiscaux qui concourront à la modération des productions, des comportements et des consommations. J’entends déjà les cris d’orfraie : c’est une révolution ! Eh bien, oui ! Nous sommes, de fait, engagés dans une révolution, planétaire de surcroît. Qui peut imaginer que le défi écologique pourra se relever à la marge ? Si nous n’opérons pas de manière planifiée, à quoi ferons-nous appel ? Au marché, dont on connaît le peu de cas qu’il fait de l’intérêt général si on le laisse jouer librement ? A la vertu de l’humanité qui, comme chacun le sait, présente quelques fragilités ?
Comme toutes les nations industrialisées, la France participe à l’origine du mal. Il est symptomatique de cette société productiviste et consumériste qu’il s’agit de refonder. Les gens veulent bien accomplir des efforts, beaucoup ont parfaitement saisi les enjeux et s’affirment prêts à réviser profondément leurs modes de vie. Ils savent que le chemin ne sera pas aisé, mais ils ne veulent pas s’engager isolément. Pour avoir le sentiment que leur action individuellement à quelque chose, ils ont besoin qu’elle s’insère dans une dynamique collective. On ne peut leur en tenir rigueur, l’effort doit être partagé. Or l’élection présidentielle présente l’occasion de créer une synergie collective, de se mettre en ordre de marche autour d’un pacte écologique qui rassemblerait les forces vives de la nation. Quel signal envoyé en Europe et au Monde !
Nous avons abusé de tout en tout. Par conséquent, il s’agit de fixer des limites à notre avidité et à notre cupidité. La société à venir devra mettre fin à la surenchère, choisir ce qui doit continuer à croître et ce qui doit commencer à décroître : moins de biens, plus de liens ! Si nous laissons perdurer la situation actuelle, nous risquons d’entrer dans une société de privation, avec ses systèmes de quotas, ses cartes de rationnement et tout ce que cela peut compter d’atteintes aux libertés. Le meilleur moyen de s’y opposer, consiste à mettre en place sans plus tarder une société de modération.
6/7) Un aménagement du territoire à rendre cohérent
Les politiques d’aménagement du territoire doivent se réorienter à cause des enjeux écologiques et énergétiques. Destinés au départ à faciliter l’accès des citoyens aux services publics, à l’emploi au logement et aux déplacements, ils doivent s’orienter vers l’aménagement durable des espaces urbains, agricoles et naturels sans occupation croissante de l’espace. C’est d’ailleurs ce que prévoit la loi d’orientation et d’aménagement du territoire de 1999, qui a intégré la qualité de la vie et la protection de l’environnement. Pourtant l’aménagement du territoire tel qu’il se poursuit aujourd’hui continue à favoriser l’artificialisation de l’espace au détriment des paysages et des écosystèmes. Ce n’est pas faute d’outils institutionnels (DIACT, ex-DATAR, plans d’urbanisme, lois sur la protection de la nature, loi littoral, loi montagne, loi paysage et même CIADT (Comité interministériel d’aménagement du territoire). A la profusion et à la complexité des lois, à leur affaiblissement par le parlement, à leur manque de suivi, voire à leur non-application par manque de contraintes, s’ajoutent un trop grand nombre de niveaux de décision et une dispersion excessives des responsabilités : commune, département, région, Etat, Union européenne. A l’évidence, il faut simplifier les procédures.
Une triple rupture doit s’accomplir, avec la course aux infrastructures de toutes sortes, avec la tendance à un étalement urbain continu, avec une agriculture de plus en plus industrialisée. Il faut décréter un moratoire sur les projets d’infrastructures et d’équipements, y compris dans les DOM-TOM. Décider par exemple que la desserte autoroutière et routière est désormais suffisante en France qui détient déjà l’un des réseaux parmi les plus denses du monde. les élus doivent comprendre que leur rôle n’est plus de lancer des projets de « développement » à base d’équipements lourds, mais de mettre en place une gestion du territoire compatible avec la nécessaire sobriété énergétique et la conservation des services rendus par les écosystèmes. Un inventaire du patrimoine naturel doit être fait pour servir de référence incontestée lors des plans locaux d’urbanisme (PLU) et des schémas de cohérence territoriale (SCOT).
Il faut aussi rompre avec la logique de périurbanisation. Combien pèsent les enjeux écologiques face aux projets d’intérêt général (PIG), qui répondent aux demandes de rocades, de voies ferrées à grande vitesse, le surfaces dédiées au commerce… La limitation drastique de l’expansion périphérique des villes devrait, désormais, figurer comme la priorité des priorités. Il s’agit en somme d’abandonner la traditionnelle politique de séparation des fonctions : zones résidentielles, zones économiques, zones commerciales, zones de loisirs. Il faut s’employer à la densification de petits pôles urbains. Une charte pour l’élaboration des documents d’urbanisme pourrait donner des consignes strictes en l’accompagnant d’un contrôle par l’Etat quant à la consommation d’espace périurbain.
7/7) L’urgence de sortir du tout routier
L’activité des transports, dans laquelle le secteur routier se taille la part du lion (89 % des déplacements de personnes et 80 % du trafic de marchandises) progresse en France deux fois plus vite que l’activité économique générale. En développant un système global fondé sur la mobilité, la prééminence du transport routier façonne désormais tout le fonctionnement de la société. Moteur du dynamisme économique et de la mobilité individuelle, le trafic routier se présente en même temps comme une des causes principales du fameux effet de double ciseau : raréfaction de la ressource pétrolière d’une part et aggravation de l’effet de serre d’autre part.
L’aberration des modes de transports routiers est patente : une personne qui se déplace en ville avec une voiture consomme trois à quatre fois plus de pétrole que si elle empruntait les transports publics ; le transport longue distance par camion d’une tonne de marchandise consomme trois à quatre fois plus d’énergie que par voie ferrée. Toute rationalité semble exclue de nos déplacements en voiture. Alors que la vitesse admise est limité, 88 % des automobiles vendues aujourd’hui en France peuvent dépasser 170 km/h, un tiers pouvant même rouler à plus de 200 km/h. Comme le moteur d’une voiture est réglé en fonction de sa vitesse maximale, on consomme plus de carburant, on dérègle davantage le climat. Au vu des tendance actuelles, le nombre d’automobiles en circulation sur la planète pourrait doubler d’ici à 2020. En 2010, 1 015 000 de voitures ont été recensées aux quatre coins du monde, contre 980 millions en 2009. Plus de 1 milliard pour 7 milliards d’habitants. Aux Etats-Unis, royaume de la motorisation, le ratio culmine à 1 véhicule pour 1,3 Américain bébés compris.
Il n’y a pas de mystère, c’est à la déconstruction de ce monopole routier qu’il faut travailler. Il faut diminuer la puissance des automobiles mises en vente pour les rendre conformes aux limitations de vitesse (qui sont aussi des exigences de sécurité). Comme la réglementation technique des automobiles relève de la législation européenne (avis du Conseil d’Etat de juillet 2006), c’est au niveau de l’Union européenne que la décision doit être prise. A l’évidence, tous les Etats européens sont soumis aux mêmes impératifs de changements climatiques et de raréfaction des ressources pétrolières. Cette mesure pourrait s’accompagner d’une réduction de la vitesse maximal autorisée, la France faisant partie des pays européens où elle est la plus élevée.