Remarque préalable : Bernard Perret est un ancien de polytechnique, ingénieur et socio-économiste : la profondeur de nos crises écologiques commence même à éveiller l’attention des diplômés. Tant mieux ! Ce livre porte un titre qui ne constitue pas le cœur l’ouvrage. Par contre il exprime bien l’idée que le capitalisme n’est pas éternel, il y aura un jour, fatalement, un après-capitalisme. Voici en résumé les deux thèmes essentiels :
1) Quitter une route qui ne mène nulle part
Le développement durable est devenu la formule magique qui nous projette dans un monde imaginaire où l’on n’aurait pas à choisir entre la poursuite d’une croissance prédatrice et la sauvegarde de notre niche écologique. On a l’impression que la gesticulation politico-médiatique autour de cette notion permet d’éviter de regarder le mur vers lequel nous nous dirigeons. Les acteurs de la vie économique restent l’œil rivé sur les cours de la bourse et les statistiques de consommation, bien incapables d’inscrire les logiques de court terme dans le long terme de la survie planétaire. Mais un jour nous serons rattrapés par la crise écologique, à travers les conséquences dramatiques du réchauffement climatique et/ou d’une pénurie d’énergie. L’expression développement durable n’est pas à rejeter pour autant à condition de distinguer développement et croissance. Comment peut-on faire l’apologie sans nuances de la croissance et en appeler en même temps à des comportements économiques plus responsables, et donc plus économes ? Il serait intéressant de comparer les dépenses faites pour éduquer les consommateurs avec celles engagées pour vendre les quatre-quatre. Les gens perçoivent ces contradictions et elles ne les incitent pas à agir de manière responsable.
Osons une formule simple : les contraintes sont principalement écologiques, les finalités sont sociales et l’économie constitue le cadre de mise en cohérence hors duquel il est impossible d’agir. L’homme et la société sont malléables, mais on ne changera pas de sitôt les lois de la physique et de la biologie. Nous ne sommes pas seulement devant des problèmes techniques inédits, mais face à une question sans précédent : l’apprentissage collectif des limites de notre pouvoir sur la nature. Si l’on veut limiter à long terme le réchauffement climatique à un niveau acceptable, il faut que la moitié au moins des réserves de combustibles fossiles reste dans le sous-sol. Les contradictions entre l’écologie et la conception dominante du progrès social (toujours plus…) sont trop frontales pour se résoudre dans un compromis. Ce qu’on appelle aujourd’hui le social (pouvoir d’achat, emploi, retraites, Sécurité sociale, etc.) fonctionne décidément trop à court terme, car lié à une conception consumériste du bien-être. Il ne sera possible de concilier le social et l’écologie qu’au prix d’une nouvelle interprétation de la notion de bien-être. Pour le dire en très peu de mots : passer d’un idéal de prospérité partagée à un idéal de bien vivre ensemble. Cela ne veut pas dire qu’il faut tourner le dos à l’économie, mais au contraire redonner à ce terme son sens premier, celui qu’on a en tête quand on veut « faire des économies ». Economiser vise à améliorer durablement les conditions d’existence des êtres humains en utilisant les ressources rares de manière parcimonieuse et efficiente.
Mais on ne voit pas comment un système dont le développement s’est appuyé sur l’exaspération du désir de possession pourrait s’accommoder d’une culture de la sobriété, de l’auto-contrainte et de la responsabilité collective. N’ayons pas peur des mots, il faudra réinventer la planification !
2) Une guerre d’un nouveau type
Il faudra entrer dans la vraie guerre car la guerre, c’est le retour brutal de la survie. L’écologie n’est pas une lubie d’amoureux de la nature, mais une question de survie pour l’humanité. Passer de la croissance actuelle à un développement soutenable à long terme n’ira pas sans des changements profonds des modes de vie difficilement concevable sans une mobilisation de la société dont seuls les engagements guerriers fournissent le modèle. Des guerres, je retiens surtout la leçon suivante : les hommes sont capables de s’unir et de faire des sacrifices lorsque les circonstances l’exigent. Or il ne s’agit pas de faire face à une situation exceptionnelle et temporaire, mais de s’engager dans une transformation historique et probablement irréversible.
Contre l’adversité, le corps social s’unifie. Stimulé au besoin par la propagande et la coercition, chacun lie son sort individuel à celui de la collectivité. L’élément décisif, c’est le processus mimétique qui conduit à s’unifier sur le modèle d’un ennemi que l’on imagine parfaitement monolithe. Rien de tel avec le développement durable, pas d’ennemi en vue dans le miroir duquel une communauté puisse se constituer. Mais l’exemple des catastrophes naturelles est là pour prouver que les hommes ont la capacité de s’unir quand ils se sentent collectivement menacés. Quand une crise au Moyen-Orient fait exploser le prix de l’essence, la planète se découvre unie par la peur du chaos. Contre vents et marées, un universalisme de fait a progressé.
En parlant d’économie de guerre, je prends le risque de faire surgir l’épouvantail de la dictature écologique. Pour certains, l’humanité sera confrontée à des problèmes écologiques d’une telle gravité que seule une extrême centralisation des pouvoirs pourrait sauver le monde du désastre. Au spectre de la dictature écologique, on peut opposer l’importance de la mobilisation locale et associative. Le développement durable semble exiger à la fois plus de participation et d’implication locale, et plus de décisions centralisées. La gestion des ressources rares et partagées comme l’eau, les poissons ou les quotas d’émission de gaz à effet de serre suppose des décisions centralisées qui ont peu de chances d’être spontanément acceptée par toutes les parties concernées. A l’autre extrême, certaines choses comme la gestion des déchets ne peuvent être traitées que de manière décentralisée et participative ; il serait difficile de progresser dans le recyclage sans une mobilisation des industriels et de la population. Une fois de plus la nature donne l’exemple : entre la cellule, l’organe, l’individu, l’espèce et l’écosystème, de multiples et subtiles interactions s’agencent en de vastes organisations plus performantes que tout ce que l’homme a inventé.
Pour les entreprises, il ne s’agira plus seulement de répondre aux demandes des consommateurs individuels, mais de relever des défis qui leur auront été signifiés par la puissance publique. Pour s’assurer que les ressources rares seront affectées aux besoins vitaux, la seule solution est de mettre en place une forme de planification. C’est bien ce qui s’est passé au cours des deux guerres mondiales : les nécessités de la guerre ont entraîné un recul général des mécanismes de marché. Fait presque inimaginable au pays de la libre entreprise, le gouvernement américain a interdit dès 1942 la production et l’achat de voitures privées. Chaque citoyen ne pourra se convaincre de la réalité et de la nécessité d’une mutation que s’il a le sentiment de ne pas être interpellé isolément mais qu’il s’agit bien d’une impulsion collective. J’accepte de faire si chacun le fait également.
L’immense paradoxe, c’est que le retour programmé du collectif intervient dans un monde qui se remet tout juste de la mort du communisme et qui croyait en avoir fini une bonne fois avec l’utopie socialiste.
Quelques perles de cet auteur :
- « On ne convaincra pas les pays en développement de s’associer aux efforts de lutte contre le changement climatique s’ils doivent pour cela renoncer à se rapprocher des standards de vie des pays riches ». Comme il est impossible de généraliser le mode de vie occidentalisé, cette phrase est absurde.
- « Le nucléaire est incontournable. Compte tenu de l’ampleur des problèmes énergétiques auxquels nous sommes confrontés, il serait peu réaliste de rejeter en bloc le nucléaire ». Pour les objecteurs de croissance, l’important n’est pas d’assurer une production d’énergie, mais de savoir vivre avec le moins possible d’énergie externe à la force physique de l’homme.
- « Parler de décroissance n’est guère pertinent : à strictement parler, il n’est simplement pas possible de rebrousser chemin, de parcourir en sens inverse la voie du progrès matériel ». Personne n’a dit qu’il fallait revenir à l’âge des cavernes. La décroissance positive n’est pas un retour en arrière, mais un saut vers le futur.
- « Parler de décroissance, c’est rester prisonnier d’une représentation quantitative du développement humain ». Les objecteurs de croissance pensent en terme de qualité et non de quantité. Il est pernicieux et pervers d’accuser ses « adversaires » de choses qu’ils n’ont jamais dites.
- « Nous ne saurions plus vivre sans les multiples artefacts techniques dont nous sommes entourés : qui est prêt à se passer de son téléphone portable ? » Cette affirmation est fausse puisque personnellement je n’ai pas de portable et aucune envie d’acheter ce fil qui enchaîne.
- Ceux qui ont vécu avant la télévision n’ont sans doute pas oublié la tristesse d’un dimanche pluvieux à la campagne. » Heureusement qu’il y a une vie possible sans télé et je n’ai jamais oublié les parties de belote endiablées par temps pluvieux.