Thomas L.Friedman est éditorialiste au New York Times, auteur entre autres de La Terre est plate. Une brève histoire du XXIe siècle (Saint-Simon, 2006). Cet auteur fait implicitement référence à la philosophie de l’écologie profonde (l’amour de la nature). Il porte les mêmes analyses que les Français Yves Cochet ou Jean-Marc Jancovici sur l’état désastreux de notre planète. Pourtant il garde encore quelques illusions sur la poursuite de la croissance « verte ». Pour résumer le livre de façon claire, nous avons classé les phrases mêmes de l’auteur en 7 chapitres.
1/7) L’incontournable Dame Nature
Dame Nature n’est que chimie, biologie et physique. Tout ce qu’elle fait n’est que la somme de ces trois éléments. Elle est complètement amorale, elle se moque de la poésie, de l’art ou de savoir si vous allez à l’église. Vous ne pouvez pas négocier avec elle, vous ne pouvez pas échapper à ses règles. Tout ce que vous pouvez faire, c’est vous adapter en tant qu’espèce. Et quand une espèce n’apprend pas à s’adapter à Dame Nature, elle se fait éjecter. C’est aussi simple que ça (p.167).
Traverser la vie sans pouvoir sentir une fleur, nager dans une rivière, cueillir une pomme à l’arbre ou contempler une vallée au printemps, c’est aussi ne plus être tout à fait vivant. Certes, nous leur trouverions des substituts, mais rien n’égalerait la perfection, la beauté, les couleurs et la complexité de la nature, sans laquelle nous serions, littéralement, moins humains (p.171). L’engagement suppose la responsabilité envers le monde naturel. Il découle de l’émerveillement et du respect que nous inspirent la diversité de la vie et la majesté de la nature. Cette curatelle implique une responsabilité à l’égard des générations futures, de ceux qui habiteront ces lieux après nous. Il existe au sein du mouvement environnemental une aile anticapitaliste, anticonsumériste, prônant le retour à la nature. C’est peut-être vrai, et cette issue n’est pas exclue (p.227).
Même si nous nous bornons à découvrir des sources d’électrons propres et à nous débarrasser des molécules de CO2, l’avenir ne sera pas pour autant assuré. Nous avons besoin de forêts saines, de rivières propres et de sols productifs. Il faut en prendre soin pour leur valeur intrinsèque. Il est indispensable d’aller au-delà des arguments économiques, ou même pratiques, et de revenir au contact de la plus profonde de toutes les vérités : le vert est une valeur qui doit être préservée en soi et pour soi. Elle ne contribue certes pas à gonfler notre compte en banque, mais elle enrichit notre existence. Au bout du compte, c’est tout l’enjeu d’une éthique de la conservation (p.373)
2/7) L’éthique de la conservation (p.374 et suivantes)
L’éthique de la conservation décrète que notre monde naturel est une valeur impossible à quantifier, mais également impossible à ignorer, du fait de sa pure et simple beauté, de l’émerveillement et du bonheur qu’apporte la nature de par sa seule existence. Elle doit être appréciée, honorée et préservée comme une valeur à part, supérieure à tout l’univers économique et pratique. Si nous n’insufflons pas cette valeur verte nos enfants, plus nos économies deviendront propres, plus elles atteindront un rendement énergétique élevé, plus nous serons efficaces dans notre viol du monde naturel. Les humains ne préservent pas ce qu’ils ne respectent pas ou n’honorent pas.
C’est pourquoi je crois fermement en des programmes comme « No Child Left Indoors » [zéro enfants entre quatre murs], parrainé par l’ESA (Ecological Society of America). L’ESA note qu’au cours des dix dernières années, les statistiques montrent que le nombre de visites dans les parcs nationaux a chuté d’au moins 25 % car les enfants restent enfermés devant la télévision ou l’écran de leurs jeux sur ordinateur. Une étude scientifique récente a établi qu’il y a plus d’enfants capables de reconnaître les personnages des Pokemon qu’un chêne ou une loutre. Pourtant les données biologiques, sanitaires et économiques indiquent que les enfants qui entrent en relation avec la nature obtiennent de meilleurs résultats scolaires, ont moins souvent des comportements conflictuels et souffrent plus rarement de troubles de déficit de l’attention. Pour sauver la Terre, il faut la voir.
Lors d’un périple en famille dans la forêt tropicale péruvienne, nous avions un guide indigène remarquable. Il n’avait pas de téléphone, pas de jumelles, pas d’Ipod, pas de radio. Il n’était pas victime de ce mal de l’époque moderne, « l’attention partielle permanente », cette manie de vouloir mener dix tâches de front. Au contraire il était toujours attentif à ce qui se passait autour de lui. Il entendait le moindre gazouillis, le moindre craquement de la forêt et nous arrêtait net, le temps d’identifier l’oiseau ou l’animal en question. Il avait un œil d’une acuité incroyable et ne manquait jamais une toile d’araignée ou un papillon. Il était totalement déconnecté de la Toile (Internet), mais totalement au contact de l’incroyable trame de la vie qui l’entourait.
J’ai senti qu’il y avait là une leçon : aucun investissement, aucun seuil de rendement énergétique ne sauvera le monde naturel si nous ne prêtons aucune attention à tout ce que la nature nous offre. Ce n’est pas parce que l’on ne peut pas vendre de titres de la nature en Bourse qu’elle n’a aucune valeur. Sans une éthique de la conservation, nous perdrons ce qui n’a pas d’étiquette, et qui n’a pourtant pas de prix.
3/7) Se mettre au vert
Le mot « vert » a été l’appellation de marque déposée le plus souvent enregistrée devant l’office américain de la propriété industrielle : « Le Top 10 des méthodes pour une vie sexuelle plus verte (préservatifs végétaliens, vibromasseurs solaires – je n’invente rien), etc., etc. ». Dans les salles de rédaction, après avoir été cantonnés le plus loin possible du rédacteur en chef, les journalistes environnementaux sont devenus très chic. Les universités se dotent de cursus à l’environnement et cherchent à réduire leur empreinte carbone (p.240).
Mais chaque fois que j’entends cette formule – « Nous vivons une révolution verte » -, je ne peux m’empêcher de répliquer : « Vraiment ? Une révolution verte ? Avez-vous déjà vu une révolution qui soit indolore ? » Une révolution verte et facile, cela n’a rien d’une révolution. C’est un dîner de gala. Nous vivons un dîner de gala, où la tenue verte est de rigueur. ExxonMobil déclare se mettre au vert, et General Motors aussi (p.241) Les compagnies charbonnières se mettent au vert en prétendant que le piégeage du CO2 nous donnera du « charbon propre ». Je suis convaincu que Dick Cheney s’est mis au vert, lui aussi. Il a une maison dans le Wyoming, où il va chasser, et il a un penchant pour le charbon liquéfié. Nous sommes tous verts (p.242). Nous avons eu trop de concerts Live Earth, trop de catalogues de chaînes de grands magasins avec le slogan « Pour les fêtes, mettez-vous au vert », et trop peu de lobbying pour l’adoption d’une législation verte réellement porteuse de transformation. Nous avons voulu les fins, sans les moyens (p.243).
La vérité, la voici : non seulement il n’existe pas 205 moyens faciles de se mettre au vert, mais il n’y a en a même aucun ! Si nous réussissons à nous en sortir, ce sera la plus vaste entreprise dans laquelle l’humanité se sera jamais engagée en temps de paix. Rares sont les dirigeants politiques qui oseront évoquer avec franchise la véritable dimension de ce défi (p.246). En dépit de tous ces discours sur la révolution verte, la situation ne s’améliore pas. De 1990 à 1999, les émissions de CO2 ont augmenté au rythme de 1,1 % par an. Ensuite, tout le monde s’est mis à parler de Kyoto, nous sommes devenus sérieux, et nous avons montré au monde de quoi nous étions capables : entre 2000 et 2006, nos avons triplé le rythme d’augmentation des émissions de CO2, par une hausse moyenne de plus de 3 % annuels (p.253).
4/7) Pour une dictature éclairée
Si seulement l’Amérique pouvait être la Chine. Rien qu’une journée ! Les dirigeants chinois possèdent la faculté de couper court à tous les intérêts particuliers, à tous les obstacles bureaucratiques, à toutes les craintes de répercussions électorales, pour simplement décréter des changements radicaux dans les prix, les règlements, les normes, l’éducation et l’infrastructure. C’est un atout de poids quand il s’agit de réaliser un changement aussi considérable qu’une révolution verte, où vous êtes confrontés à des intérêts acquis, enracinés, grassement financés et fortement retranchés, où vous devez motiver des opinions publiques pour qu’elles acceptent des sacrifices (p.442)
Un matin de fin 2007, les commerçants chinois se sont réveillés en apprenant que le Conseil d’Etat venait d’annoncer que tous les supermarchés, toutes les boutiques, auraient interdiction de distribuer gratuitement des sacs en plastique. Et le tour était joué. L’Amérique a entamé en 1973 une procédure de retrait des carburants comportant du plomb, et ce n’est qu’en 1995 que l’on n’a plus vendu sur le sol américain que de l’essence sans plomb. La Chine a décidé d’adopter le sans-plomb en 1998 ; la nouvelle norme a été appliquée partiellement à Pékin en 1999, et, dès 2000, toute l’essence vendue sur le territoire national était sans plomb (p.443).
Une fois que ces directives auraient été décrétées du sommet, nous aurions surmonté le pire aspect de notre démocratie, l’incapacité de prendre des décisions majeures en temps de paix (p.444). Au lieu d’avoir une stratégie énergétique nationale, nous devons nous contenter de « la somme des lobbies ». C’est en effet le lobby le plus capable de lever le plus de fonds qui l’emporte. Autrement dit, la politique des groupes d’intérêt gouverne les priorités politiques, et pas l’inverse. Par exemple, en plein cœur de la campagne pour l’élection présidentielle américaine 2008, un groupe soutenu par l’industrie houillère mène une campagne de 35 millions de dollars. Ils cherchent à mobiliser l’opinion en faveur de l’électricité d’origine houillère et à renforcer l’opposition contre un texte législatif auquel travaille le Congrès, visant à ralentir le changement climatique (p.447).
5/7) Pour une taxe carbone
Le socialisme s’est effondré parce qu’il interdisait au marché de dire la vérité économique. Si le capitalisme empêche le marché de dire la vérité écologique, il s’effondrera. Nous nous sommes bercés d’illusions en nous prêtant à une comptabilité frauduleuse qui évite de chiffrer le coût des externalités. Dame Nature ne s’est pas laissée berner. C’est pourquoi nous subissons ce changement climatique (p.309)
Le gouvernement s’est servi d’une combinaison de taxes et de campagnes pédagogiques pour convaincre des millions de gens de cesser de fumer, et il doit consentir le même effort pour amener l’économie à cesser de fumer du gaz carbonique et d’engloutir de l’essence (p.310). Un système de taxes est préférable à un régime de crédits d’émission. Plus simple, plus transparent et plus facile à calculer, il s’applique à tous les secteurs de l’économie et il est facilement ajustable pour alléger la charge pesant sur les travailleurs aux plus bas revenus (p.311).
Au-delà de la complexité des crédits d’émissions, ce qui me gêne, c’est que leur but est de masquer artificiellement la douleur et à faire comme si l’on n’imposait aucune taxation. Le signal-prix de la taxe carbone vise au contraire à transformer notre perception de la place de notre pays et de l’espèce humaine dans le monde. Plusieurs pays européens, notamment le Danemark et la Norvège, pratiquent depuis longtemps les taxes sur le CO2. Le Danemark est le premier exportateur mondial de turbines éoliennes et connaît un taux de chômage de 2 % - en partie parce que son mode de taxation de l’énergie a contribué à stimuler une toute nouvelle industrie des technologies propres. Enfin, si l’Amérique devait appliquer une taxe carbone sans que la Chine, par exemple, ne l’imite, le Congrès ne tarderait pas à imposer un « droit de douane carbone » aux exportations chinoises fabriquées grâce à des combustibles sales (p.312).
6/7) Les contradictions de Friedman
Je n’en veux certainement pas aux citoyens de Doha (capitale du Qatar) et de Dalian (Silicon Valley chinoise) d’aspirer à un modèle de vie à l’occidentale et de miser sur les mêmes combustibles fossiles que nous. Nous avons inventé ce système, nous l’avons exporté, d’autres y ont droit. La croissance n’est pas négociable, surtout dans ce monde qui rapetisse, où tout le monde peut voir comment vivent les autres. Interdire aux autres de croître, c’est leur annoncer qu’ils resteront éternellement pauvres. Mais nous Américains, nous sommes en position de réfléchir, de donner l’exemple, celui d’un autre modèle de croissance. Nous sommes en position d’inventer des sources d’énergies renouvelables et propres, susceptibles de rendre la croissance plus verte. (p.71)
# Je ne sais pas quand nous percuterons le mur. Mais depuis 2000, le monde peine à fournir toutes les matières premières nécessaires à la croissance de tant d’Americums*. La stratégie de la Chine, de l’Inde et du monde arabe, consistant à simplement singer le modèle de développement de l’Amérique, si dépensier en énergie, n’est pas viable. La mauvaise nouvelle, pour les puissances économiques montantes, c’est qu’il reste peu de territoires vierges pour alimenter leur décollage vers l’économie de marché. (p.87-88)
* Americum : prenez l’Amérique comme une unité d’énergie. Un Americum équivaut à un groupe de 350 millions de personnes avec un revenu par tête supérieur à 15 000 dollars et une forte tendance au consumérisme. Pendant de nombreuses années, il n’y a eu au monde que deux Americums, l’un en Amérique du Nord et l’autre en Europe. Aujourd’hui, on voit se créer des Americums un peu partout sur la planète. (p.72)
7/7) Quelques expressions clés
- Du berceau au berceau : Il faut revoir complètement notre manière de fabriquer les choses. Tous nos téléviseurs et portables, tous nos objets de consommation devraient être composés de matériaux soit complètement réutilisables dans d’autres produits, soit biodégradables. Nous ne bouclons pas actuellement le cycle de vie du produit, depuis l’utilisation de ressources naturelles jusqu’au recyclage des déchets. Au lieu d’envoyer les objets à la décharge ou à l’incinérateur, il faut absolument les insérer dans des cycles clos, de manière à pouvoir les réutiliser sans fin. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, on jette chaque année 2,25 millions de tonnes de moquettes. Il faudrait qu’elles puissent redevenir moquette… (p.89-90)
- Le premier principe de Holdren. C’est John Holdren lui-même, qui a consacré l’essentiel de son existence à étudier différents aspects du changement climatique, qui l’énonce avec ironie : « Plus vous connaissez d’aspects d’un problème donné, plus vous devenez pessimiste. Celui qui connaît la science de l’atmosphère et celle des océans est pessimiste. Celui qui connaît la science de l’atmosphère, des océans et de la glace est plus pessimiste, celui qui y ajoute la science de la biologie l’est encore plus, et celui qui connaît tous ces sujets, plus l’ingénierie, l’économie et la science politique sera le plus pessimiste de tous – parce qu’il sait le temps que cela prend de modifier les systèmes qui génèrent le problème en question. (p.152)
- Victory gardens : potagers cultivés dans leur jardin par les Américains (mais aussi par les Anglais et les Canadiens) pendant les deux conflits mondiaux pour compenser les pénuries d’approvisionnement. (p.475)
- Développement durable : nos décisions en matière de développement durable ne sont pas des décisions techniques touchant à des domaines périphériques, et ne sont pas non plus des décisions simplement relatives à l’environnement. Ce sont des décisions qui touchent à tout ce que nous sommes, au monde dans lequel nous voulons vivre, et au souvenir que nous voulons laisser. (dernière page)
(édition Saint-Simon, 2009)