1/2) définition de l’écologie
L’écologie est la compréhension de ce fait fondamental qu’il ne peut pas y avoir de vie sociale qui n’accorde une importance centrale à l’environnement dans lequel elle se déroule. Ce regard a changé avec le capitalisme et la techno-science moderne, basés sur une croissance continue et rapide de la production et de la consommation, entraînant sur l’écosphère terrestre des effets catastrophiques. De sorte que l’on ne peut plus concevoir de politique digne de ce nom sans préoccupation écologique. Et, s’il n’y a pas un nouveau mouvement, un réveil du projet démocratique, l’écologie peut très bien être intégrée dans une idéologie néo-fasciste. Face à une catastrophe écologique mondiale, par exemple, on voit très bien des régimes autoritaires imposant des restrictions draconiennes à une population affolée et apathique.
L’écologie correctement conçue ne fait pas de la nature une divinité, pas plus que de l’homme d’ailleurs. La religion projetait sur les puissances divines des attributs essentiellement anthropocentriques, et c’est précisément en cela qu’elle donnait sens à tout ce qui est. Mais en même temps elle rappelait à l’homme sa limitation, elle lui rappelait que l’Etre est insondable et non maîtrisable. Or une écologie intégrée dans un projet politique d’autonomie doit à la fois indiquer cette limitation de l’homme, et lui rappeler que l’Etre n’a pas de sens, que c’est nous qui créons le sens à nos risques et périls. Le danger principal pour l’homme est l’homme lui-même. Aucune catastrophe naturelle n’égale les massacres, les holocaustes provoqués par l’homme contre l’homme. Aujourd’hui l’homme est toujours, plus que jamais, l’ennemi de l’homme, non seulement parce qu’il continue autant à se livrer au massacre de ses semblables, mais aussi parce qu’il scie la branche sur laquelle il est assis : l’environnement. C’est la conscience de ce fait qu’on devrait tenter de réveiller à une époque où la religion ne peut plus jouer ce rôle. L’autonomie, la vraie liberté, est l’autolimitation nécessaire non seulement dans les règles de conduite intrasociale, mais dans les règles que nous adoptons dans notre conduite à l’égard de l’environnement. » (texte de 1992)
2/2) L’écologie est-elle réactionnaire ?
L’écologie est subversive car elle remet en question l’imaginaire capitaliste qui domine la planète. Elle en récuse le motif central selon lequel notre destin est d’augmenter sans cesse la production et la consommation. On ne se demande plus s’il y a des besoins à satisfaire, mais si tel exploit scientifique ou technique est réalisable. S’il l’est, il sera réalisé et l’on fabriquera le « besoin » correspondant. Des questions plus difficiles surgissent alors à propos de cette autonomisation de la techno-science. Pour la première fois, dans une société non religieuse, nous avons à affronter la question : faut-il contrôler l’expansion du savoir lui-même ? Comment tracer la limite ? Et comment le faire sans aboutir à une dictature sur les esprits ?
Je pense qu’on peut poser deux principes simples :
- Nous ne voulons pas d’une expansion illimitée et irréfléchie de la production, nous voulons une économie qui soit un moyen et non pas la fin de la vie humaine ;
- Nous voulons une expansion libre du savoir, mais nous ne pouvons plus prétendre ignorer que cette expansion contient en elle-même des dangers. Pour y faire face, il nous faut la prudence. Il nous faut une véritable démocratie qui n’est possible que si les citoyens disposent d’une véritable formation, et d’occasions d’exercer leur jugement. Une société démocratique est une société autonome, mais autonome veut dire aussi et surtout auto-limitée. » (texte déjà paru dans le Nouvel Observateur du 7-15 mai 1992 sous le titre « L’écologie est-elle réactionnaire ?)
(Seuil)