1/2) La vie de Louis Lecoin
Louis Lecoin naquit en 1888 dans une famille très pauvre du Cher (Saint-Amand) : son père était journalier et ne gagnait que 2 à 3 Francs par jour, selon la saison. Il effectue son service militaire à Cosne-sur-Loire quand éclate la grève des cheminots. Son régiment est requis pour briser cette révolte en octobre 1910. Il refuse d’y participer. "Je m’étais juré que l’armée n’annihilerait pas mon individualité. Qu’il y aurait des actes que je ne lui consentirais jamais. Serais-je animé jusqu’au bout de cette même volonté ?"
Il est condamné à 6 mois d’emprisonnement. Libéré, il travaille au "Libertaire" de Sébastien Faure et se retrouve condamné à 5 ans d’emprisonnement pour "provocation au meurtre" : le pouvoir avait trouvé cette fausse accusation pour mettre à l’ombre le bouillant secrétaire de la Fédération Communiste Anarchiste. Excepté deux intermèdes de quinze jours, il passe 8 ans en prison pour refus de participer à la guerre de 1914-18. Il lit et se cultive. C’est un homme mûri qui sort de prison en 1920 et qui va agir pour ses idées, mais surtout pour défendre des hommes broyés par le système : "On peut être heureux quand on a évité du malheur." "Ce qu’il faut c’est avoir une individualité et imprimer à la vie son cachet personnel. C’est agir, agir sans cesse. Car, si l’inaction est parfois de la sagesse, elle est souvent de la lâcheté, et presque toujours une faute."
Il est à l’origine des gigantesques manifestations qui se déroulent en France pour tenter de sauver les anarchistes Sacco et Vanzetti. Il sauvera de l’extradition les anarchistes Ascaso, Durutti et Jover, réclamés par l’Argentine pour les faire périr dans un bagne, en accord avec le gouvernement espagnol. Poincarré, en désaccord avec sa majorité demandera à Louis s’il veut que son gouvernement tombe ? Il lui répondra que cela lui importe peu, ce qu’il veut c’est la liberté de ces 3 hommes. Et il l’obtiendra. En septembre 1939, son tract "Paix immédiate", tiré à 100 000 exemplaires lui vaudra de nouveau la prison. Il passera ainsi 12 ans de sa vie pour refus de la guerre ! "S’il m’était prouvé, absurde hypothèse, qu’en faisant la guerre, mon idéal avait des chances de prendre corps, je dirais quand même non à la guerre. Car on n’élabore pas une société de rêve sur des monceaux de cadavres ; on ne crée pas du beau et du durable avec des peuples malades, diminués physiquement ou moralement."
Il crée la revue "Défense de l’homme" et lutte contre toutes les guerres, en particulier celles que la France fomente : Indochine, Algérie. Il se retire à Vence. Sa compagne Marie meurt en 1956. Désespéré, il vend ses biens, investit cette somme dans un journal "Liberté" pour se lancer dans la défense des objecteurs de conscience dont certains sont en prison depuis 5, voire 9 ans par le biais des refus réitérés de faire son service militaire. Un comité de 12 membres soutient son combat. On trouve ainsi : l’abbé Pierre, Albert Camus, Jean Cocteau, Bernard Buffet, Jean Giono… Il fonde l’Union Pacifiste. A 74 ans, il décide d’une grève de la faim pour obtenir le statut des objecteurs de conscience sans cesse promis, mais toujours repoussé. Il entame en 1964 sa dernière campagne pour le "désarmement unilatéral de la France" : "La France doit déclarer la Paix au monde." Il meurt le 22 juin 1971 à Pavillon-sous-Bois. En 1993, des sénateurs courageux proposeront une loi pour le "Désarmement unilatéral de la France" qui sera rejetée.
2/2) quelques « faits d’arme » de Louis Lecoin
Proposition d’un statut pour les objecteurs en 1958
Proposition d’un statut pour les objecteurs de conscience présenté au gouvernement le 15 octobre 1958 par le Comité de secours aux OC, avec Albert Camus qui tiendra couramment la plume :
Introduction : « Les OC ne peuvent accepter qu’on les mette dans le cas de détruire leur semblable ni qu’on leur impose le port de l’uniforme ou le maniement d’aucune arme. Leur refus est absolu et ne s’autorise jamais de la conjoncture politique. Toute guerre, de quelque façon qu’elle se présente, quel que soit le jeu des alliances qu’elle met en cause, ne saurait recevoir d’approbation de leur part. Il n’est rien dans l’attitude des OC qui ne puisse être rattachée aux aspirations les plus généreuses du pays. Il est évident que les OC appelés dans le Service civil international ou dans la Protection civile ne pourraient, en aucun cas, être employés à des tâches militaires ou paramilitaires. Leur mission essentielle consisterait dans la prévention de certains fléaux et dans le secours à apporter aux populations victimes de catastrophes. »
Projet d’ordonnance :
Article premier : l’objecteur de conscience est celui qui, en raison de ses convictions philosophiques, religieuses ou purement pacifistes, se déclare opposé à toute violence dans le règlement de tout différend entre nations et qui se refuse, en conséquence, pour motifs de conscience, à l’accomplissement du service militaire et à répondre à un ordre de mobilisation, tout en étant prêt à fournir un service civil de remplacement.
Article 3f : si, au cours de l’accomplissement des obligations militaires, une jeune recrue demande à bénéficier des dispositions prévues aux articles précédents, sa requête sera transmise à la commission d’affectation qui en délibérera à sa plus prochaine réunion.
grève de la faim pour obtenir le statut d’Objecteur de conscience en 1962
Le témoignage de Louis Lecoin, qui a séjourné douze ans en prison uniquement à cause de son action pacifiste : « L’adoption légale d’un statut des objecteurs de conscience, voilà la grosse affaire que nous entamons en ce début de 1957. Les objecteurs étaient alors emprisonnés indéfiniment, il y avait dans les ergastules de France 90 de ces vaillants pacifistes. Le plus ancien, Edmond Schagené, s’y trouvait depuis 9 ans. En 1959, Albert Camus, l’abbé Pierre, Guy mollet purent joindre, différemment chacun, le général De Gaulle et l’interroger sur ses intentions. Il leur répondit qu’il nous donnait raison, que les objecteurs auraient leur statut, mais qu’il fallait attendre le moment opportun. C’est-à-dire la fin de la guerre d’Algérie. Nous sommes au début de 1962, les soldats des deux camps déposent enfin les armes. Je donne trois mois au Gouvernement pour tenir ses engagements. Et le 1er juin je commence la grève de la faim. Une corvée qui me sera pénible durant toute cette grève : la corvée d’eau ! que j’aie soif ou non il me faut boire, toues les 24 heures, trois litres de ce liquide. Au douzième jour de grève, le scandale de ma protestation s’étalait dans tous les journaux, à la radio, à la télévision. Voilà vingt jour que je jeûne ; sans souffrance appréciable je vous l’assure. Mais les médecins craignent pour mon existence ; ils ont analysé mes urines, mon sang, découvert un état d’acidose et ils annoncent le coma dans cinq jours au plus tard. J’en étais le premier surpris. Bien sûr je commençais à devenir squelettique, mais mon moral était très bon et mon esprit des plus clairs. Le 21 juin, mon médecin attitré m’annonce :
- Votre sang se transforme en alcool…
- Je deviens donc une affaire pour les bouilleurs de cru…
Le 22 juin, un collaborateur du Figaro m’annonce : « Un projet de loi sur l’objection de conscience sera déposé incessamment sur
le bureau de la Chambre. » Mais il est indispensable qu’un communiqué officiel soir remis à la presse. C’est seulement à cette condition que je cesserai la grève de la faim. Ledit communiqué sera effectivement remis aux représentants des journaux, le projet de statut sera adopté par le Conseil des ministres du 4 juillet. »
Au soir de son 22ème jour de grève de la faim, Louis Lecoin, 74 ans, décide donc de mettre fin au jeûne. Mais rien ne se fait et Louis Lecoin envisage de remettre ça en 1963 : « Mon organisme avait manqué de sucre très tôt en 1962 et c’est pourquoi le coma me menaça si vite. Je prends donc du jus d’orange chaque matin et je mange du miel le plus que je peux. Je désire que le physique soit au niveau du moral le plus longtemps possible, ne serai-ce que pour emmerder l’armée plus longtemps. » Finalement la loi accordant le statut aux objecteurs de conscience est promulguée le 22 décembre 1963.
Presque prix Nobel de la paix en 1964
Un Comité composé d’Albert Camus, Claude Autant-Lara, René Dumont et 12 autres personnalités avaient présenté la candidature de Louis Lecoin au Prix Nobel de la Paix pour 1964. L’apprenant après coup, louis Lecoin avait déclaré : « Pendant que tant de gouvernants qui clament vouloir la Paix ne contribuent qu’à alimenter la guerre en renforçant sans cesse la puissance matérielle des armées, je déclare que sur les quelque 20 millions de francs anciens du prix Nobel de la paix, pas un sou ne serait prélevé pour des motifs personnels ; que cette somme serait exclusivement employée à intensifier l’action purement pacifiste et à hâter donc le désarmement général, intégral et universel. »
Ce fut le pasteur noir Martin Luther King qui obtint le Nobel en 1964 ; Louis Lecoin avait retiré sa candidature pour laisser sa place. Il méritait pourtant lui aussi un prix Nobel de la paix, 12 ans de prison uniquement pour avoir constamment défendu la cause du pacifisme.
3/3) quelques citations de louis Lecoin
- Après Blanqui, lequel passa 37 ans dans les geôles de la république, je suis sans conteste celui qui, en France, resta le plus longtemps enfermé pour délits d’opinion (12 ans). C’est surtout pour avoir haï la guerre avec fermeté, avec une persévérance jamais démentie, que je fus si souvent incarcéré.
- J’ai été traduit devant toutes les juridictions : devant le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le conseil de guerre et ainsi plus de quinze fois. Eh bien ! croyez-moi, je ne m’en sens nullement diminué. Je plaide non coupable et ce sont les juges, et le régime injuste qu’ils représentent, que je mettrais en accusation.
- Ma première communion eut lieu en 1900. En ce temps-là, les servants de Rome étaient les commissionnaires des bourgeois dans les petites villes, et des hobereaux dans les campagnes. On eût cherché en vain, parmi ces missionnaires de dieu, des signataires pour appuyer la défense d’objecteurs de conscience.
- Je compris assez vite que la participation active du parti socialiste à toutes les élections ainsi que la fringale de ses candidats à la députation, l’amèneraient à oublier le principal pour les à-côtés.
- On ne m’avait pas appris, sur les bancs de l’école, que l’armée avait charge de mettre les civils au pas et d’empêcher les revendications ouvrières d’aboutir.
- Un immense espoir nous venait, à l’été 1917, de Russie. Les soviets, groupements de base, placeraient dans les mains des producteurs et des consommateurs tout le bel avenir des Russes, le nôtre aussi par contre-coup. Hélas ! le gouvernement omnipotent des tsars fut, en quelque mois, remplacé par un embryon d’Etat qui allait devenir le plus grand broyeur d’hommes que nous ayons connu.
- Quand en décembre1920 Pierre Monatte me pressera de me rallier à l’idée de dictature provisoire du prolétariat, je lui répondrai : « Non ! » sans hésitation. Non ! parce que je ne croyais pas qu’une dictature, une fois installée, se ferait hara-kiri. Je pressentais que la Russie serait le premier de ces Etats modernes, les obstructionnistes au réel progrès humain, celui qui commence à l’individu.
- Une série de « papiers » parus dans notre journal (Solidarité Internationale Antifasciste – 1939) amena un député de droite à réclamer contre nous les sévérités de la loi. Nous nous affirmions pour le droit à l’avortement, nous basant sur le fait qu’il y avait plus de 500 000 avortements en France chaque année. Qu’on rende légal ce qui est si couramment, si dangereusement, si illégalement pratiqué.
- En réclamant pour les objecteurs de conscience un statut qui « légalise » leur situation, nous n’avons jamais cru qu’ainsi nous accomplissions la seule propagande anti-guerrière qui vaille. Nous savons que pour en finir avec les armées et les guerres il faudra que d’autres actes interviennent.
- La guerre fait tout rétrograder, excepté la malfaisance de la science.
NB : toutes les citations sont tirées de l’œuvre autobiographique Le Cours d’une Vie de Louis Lecoin (édité par l’auteur, 1965)