A lire d’urgence cet interview de Robert Hirsch sur http://petrole.blog.lemonde.fr/. En voici un résumé :
[oil man] Dans le livre que vous allez publier, vous cherchez à prouver que la production mondiale de carburants liquide risque de chuter très bientôt. D’après vous, d’ici combien de temps pourrions-nous avoir des problèmes ? Dans dix ans, dans moins de dix ans ?
Une chose d’abord : la base, c’est la production. La production mondiale de pétrole a longtemps progressé, puis elle a stoppé cette progression, et depuis le milieu de l’année 2004, elle fluctue. La production a atteint un ‘plateau’. La production de pétrole fluctue dans une bande de 4 ou 5 %. Ce n’est pas beaucoup. Je pense que la production mondiale de pétrole n’ira pas plus haut.
Quelle est votre hypothèse ?
La production va rester à l’intérieur de cette bande, et d’ici 2 à 5 ans, les extractions mondiales vont entrer en déclin.
Un déclin de la production mondiale de pétrole d’ici 2 à 5 ans… Que va-t-il se passer ?
Ce sera la pagaille, et puis tout d’un coup, ce sera évident.
A quoi faut-il s’attendre, d’ici à ce que le monde « rattrape » le problème du ‘peak oil’ ?
Au niveau mondial, le Produit intérieur brut va décroître chaque année pendant une décennie. Cette récession de l’économie mondiale pourrait facilement atteindre 20 à 30 % au total sur toute cette période. Voilà ce que je veux dire quand je dis « catastrophique ».
Où que vous viviez, quelqu’un doit vous amener votre nourriture. Or l’agriculture moderne marche au pétrole, parce que les tracteurs qui labourent le sol plantent les graines et récoltent marchent au pétrole. Ensuite il faut transporter la nourriture vers un processeur quelconque, puis il faut encore la transporter jusqu’à vous.
En 2008, quand le baril valait plus de 130 dollars, il y a eu des manifestations de la faim dans plus de vingt pays du Tiers Monde. Est-ce que vous croyez que c’est ce qui risque de se produire à une bien plus grande échelle et pendant plusieurs années ?
Oui. Je suis physicien. Il y a un mot que j’aime, c’est la « non-linéarité ». Linéaire, c’est comme ça (il trace une ligne droite dans l’air.) Non-linéaire, c’est ça, ou ça, ou encore ça (Il se met à dessiner des lignes et des courbes qui vont dans toutes les directions), il y a tellement de choses qui interagissent.
Rentrer là-dedans et essayer de comprendre le problème que pose le peak oil avec un minimum de détails est, je pense, impossible, parce que c’est trop non-linéaire, parce que ceci va toucher cela, cela va toucher ceci, et ceci aura un impact sur les gens.
Et les gens peuvent se conduire de manière rationnelle, ou alors ils peuvent sortir dans les rues pour protester. Il pourrait y avoir un chaos politique ! Quand ça arrivera, et que la police va sortir et ensuite… Vous savez, des guerres pourraient avoir lieu. Là ça devient très vilain.
Vous pensez qu’un pays développé comme les Etats-Unis pourrait faire face à plus de problèmes qu’un pays du Tiers Monde (les pays développés dépendent beaucoup du pétrole, et aucun plus que les Etats-Unis) ?
Oui. Nous allons avoir des problèmes, parce que nous importons tellement de pétrole, et parce que presque tout ce que nous faisons dépend du pétrole. Voilà le point clé : le pétrole c’est pas comme cet objet (il montre son I-phone). Ça, c’est petit, ça peut changer vite : vous pouvez faire de grands changements en un ou deux ans. Mais l’énergie, c’est énorme, ça ne peut être qu’énorme. C’est comme pour les usines de liquéfaction en Afrique du Sud, ou comme pour mettre beaucoup plus de voitures économes sur les routes : ça prend du temps.
Si dans notre livre nous ne nous trompons pas, si la production mondiale entre en déclin d’ici 2 à 5 ans, le monde perdra. Mais il y aura des vainqueurs. Ces vainqueurs, ce seront les compagnies pétrolières, parce ce sont elles qui vont creuser les trous profonds, et il est presque certain que ce sont elles aussi qui construiront les usines de liquéfaction du charbon et du gaz naturel, et tout le reste. Parce qu’il nous faut des carburants liquides.
Des vainqueurs, mais le monde « perdra » ?…
Est-ce que les USA vont avoir des problèmes ? Oui. Est-ce que la Russie va avoir des problèmes ? Non. Elle a des exportations, elle va devenir plus forte. Est-ce que la Russie va continuer à exporter ? Imaginons que vous êtes le tsar de Russie. Vous voyez le prix du pétrole augmenter parce que la production décline : si vous réduisez vos exportations, vous savez que vous gagnerez autant d’argent, peut-être même plus. Dans ce cas, l’envie peut vous prendre d’économiser vos réserves de pétrole.
Il semble pourtant que Steven Chu, le secrétaire à l’énergie du président Obama, est au courant du problème du peak oil.
Bien sûr qu’il l’est !
Pourtant Steven Chu et Barack Obama tentent d’encourager les énergies renouvelables, non ?
Et bien… Dans le livre que nous allons publier, nous consacrons 60 % de notre exposé au pétrole, puis nous nous penchons sur les autres sources d’énergie : charbon, nucléaire et renouvelables. Pour nous, il est évident qu’il n’existe aucune chance pour que l’éolien, le solaire et la biomasse produisent des quantités suffisantes d’énergie. Beaucoup de gens se trompent quand ils se disent : faisons des éoliennes et tout ira bien.
Que se passe-t-il du côté du département de la défense (DoD) ? Deux rapports récents montrent qu’il y a des cadres de l’armée américaine qui cherchent clairement à donner l’alarme.
Vous avez raison. Les choses sont peut-être différentes au Pentagone. Le DoD est dirigé par Robert Gates, un type brillant et un ami proche de James Schlesinger, le premier secrétaire à l’énergie américain, qui a écrit l’avant-propos de notre livre. En 2005, Robert Gates a participé à un jeu de stratégie appelé « les ondes de choc du pétrole » (« Oil Shockwaves »). Il y avait également d’autres officiels de haut niveau impliqués dans l’administration, à la fois républicains et démocrates. Ils ont examiné les conséquences d’une coupure sévère de la production mondiale, de l’ordre de 5 %.
Comme en 1973 ?
Quelque chose de pire que ça. Donc ils ont regardé l’impact, et ils ont vu des problèmes graves pour l’économie. Puis ils ont cherché les options qui existaient, mais bien sûr il n’y a pas d’options. Il n’y a pas de valves à tourner quelque part.
Ils ont même envisagé des interventions militaires au Moyen Orient. Et en gros, ils ont conclu que c’était une situation impossible.
Que pouvez-vous me dire sur James Schlesinger : depuis combien de temps se préoccupe-t-il d’un déclin possible du pétrole ?
Il se préoccupe du peak oil depuis qu’il a lu le papier séminal de King Hubbert dans les années 60. C’était avant qu’il devienne secrétaire à la défense sous Richard Nixon puis sous Gerald Ford.
Puis il y a eu les fameux discours de Jimmy Carter sur la dépendance américaine à l’égard du pétrole étranger…
Oui, James Schlesinger était derrière ces discours, en tant que secrétaire à l’énergie de Carter. Et il y avait aussi l’amiral Rickover, le père de la flotte nucléaire américaine.
Le Pentagone, Chatham House, et même l’armée allemande : maintenant que de telles sources affirment que nous sommes peut-être tout près d’un déclin de la production pétrolière mondiale, quel est votre point de vue sur le degré d’éveil de nos gouvernements sur ces questions ? La production américaine de pétrole décline depuis 40 ans, la Chine se montre très entreprenante pour étendre ses sources d’approvisionnement à l’étranger, etc.
En ce qui concerne les Etats-Unis, il y a des gens dans l’administration qui comprennent le problème. Je ne pense pas que cela représente un nombre important de personnes. Et on peut se dire qu’une conspiration existe pour garder ce problème sous silence.
Et ailleurs ?
En Grande-Bretagne, il me semble que le gouvernement ne perçoit pas le problème. En fait je crois que dans la plupart des pays, les gouvernements ne perçoivent pas le problème. La manière dont fonctionne un champ pétrolier, cela échappe tout simplement à l’expérience de la plupart des gens.
Vous êtes-vous senti déçu, consterné, ou je ne sais pas, effrayé peut-être ?
Je n’ai pas été surpris, parce que quand vous passez du temps à étudier le peak oil, pour peu que vous soyez une personne raisonnablement intelligente, vous voyez que des choses catastrophiques vont avoir lieu. On parle de dommages majeurs, d’un changement majeur pour notre civilisation. Chaos, désastre économique, guerres, toutes sortes de choses qui sont, comme je l’ai dit, très compliquées, non-linéaires.
Des choses vraiment mauvaises. Les gens n’aiment pas parler de choses mauvaises.
http://petrole.blog.lemonde.fr/2010/09/15/entretien-avec-robert-l-hirsch-12/
un commentaire sur le blog : Le peak oil remet en cause tout notre système de vie depuis… la découverte du pétrole dans les années 1860. Allez expliquer aux acheteurs potentiels de voitures que dans 5 ou 10 ans, seuls les plus riches pourront rouler, et aux acheteurs de maisons en lotissements péri urbains que leur maison bientôt, devenue inaccessible, ne vaudra plus grand chose…
La fin du pétrole bon marché consécutif au déclin de la production va provoquer un écroulement du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Et mettre en péril les démocraties (nous sommes tellement dépendants que nos principes voleront en éclat). Les guerres pour la détention des dernières réserves semblent déjà inévitables.
La fin d’une civilisation, la nôtre, celle du pétrole. Pas drôle… allez vendre ça ! Pas étonnant qu’on évite de parler de ce sujet, de peur d’éteindre les derniers feux d’une croissance à bout de souffle. Plus dure sera la chute.