Paul Robin, militant de la maîtrise de la fécondité et de la libération de la femme, parle et agit à la fin du XIXe siècle dans une France très nataliste.
Son message est significatif de ce qui passera à la postérité sous le nom de néo-malthusianisme.
En 1851, avec 36 millions d’habitants, la population de la France se situait au deuxième rang parmi les grandes puissances. En 1871, elle se retrouve au quatrième rang alors que l’Allemagne continuait de voir sa population croître. Les préoccupations natalistes des hommes politiques prennent alors une importance considérable, confortée par l’action des défenseurs de la croissance démographique (les repopulateurs), dont le leader est le Dr Jacques Bertillon. Celui-ci fonde l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française en 1896. Ces mouvements pour l’ordre moral sont sous-tendus par une idéologie nationaliste (plus de soldats), par l’idée de la protection de la race (la crainte de l’immigration) et par l’idée de paix sociale (plus les ouvriers ont d’enfants, moins ils revendiquent par crainte de perdre leur travail, argument qui rend les patrons sensibles aux arguments natalistes). L’avortement dans ces milieux proches des catholiques est même considéré comme un assassinat.
Parallèlement, un mouvement néo-malthusien français débute à partir de 1890 ; Marie Huot lance le slogan de la « grève des ventres jusqu’au bouleversement révolutionnaire de la société ». Paul Robin fonde en 1896 la Ligue de la régénération humaine dont la devise sera « bonne naissance-éducation intégrale ». Elle se propose de « répandre les notions exactes de science physiologique et sociale permettant aux parents d’apprécier les cas où ils devront se montrer prudents quant au nombre de leurs enfants, et assurant, sous ce rapport, leur liberté et surtout celle de la femme ». Paul Robin ouvre à Paris en 1889 un centre de consultation et de vente de produits anticonceptionnels . Un journal, Régénération, paraîtra jusqu’en 1902.
Membre un temps de la Première Internationale et toute sa vie sympathisant libertaire, Paul Robin est aussi connu comme l’un des fondateurs de la pédagogie moderne. La nouveauté réside dans la coéducation des sexes, précepte qui sera le principal argument de ses détracteurs. Mais l’innovation ne se limite pas à la mixité puisqu'il s'agit de proposer un enseignement identique aux filles et aux garçons. Ces idées divisent profondément les enseignants et la société : ce n’est qu’en 1919 en France qu’il y a création du baccalauréat féminin, ce n’est qu’en 1957 qu’une circulaire admet la mixité dans les salles de cours (quand il y a pénurie de locaux !), mais préconise la création de lieux distincts pour les salles de lecture et salles à manger.
Paul Robin va se consacrer à sa diffusion du néo-malthusianisme ou "régénération" après son exclusion du système éducatif. Il montre qu’il y a une réelle convergence entre l'éducation et la régénération dans le souci de façonner des individus conscients. L’émancipation sociale des plus défavorisés - surtout des femmes - passe obligatoirement par le contrôle de la natalité, car seul un enfant désiré et élevé dans des conditions matérielles et morales suffisantes peut devenir un homme libre et responsable. Il pense même que la multiplication de ceux qu'il qualifie de "dégénérés", ce qu’il impute à l'imprévoyance parentale habituelle dans les couches les plus ignorantes de la population, est un danger pour l'humanité.
Paul Robin, isolé et sans moyens, entame une oeuvre de propagande qui rencontre le plus souvent l’indifférence, voire railleries et injures. Même les théoriciens anarchistes de l'époque ont condamné et combattu sa doctrine, seuls les pédagogues libertaires sympathisent. Usant de provocations multiples, Paul mène pendant près de six ans une action souterraine et sème inlassablement les ferments du néo-malthusianisme dans les milieux les plus divers, socialistes, féministes, francs-maçons, etc. En 1902, sa rencontre avec Eugène et Jeanne Humbert, qui prennent en main l'organisation matérielle de la Ligue, apporte une impulsion nouvelle à son militantisme : une équipe d'orateurs brillants et populaires multiplie les conférences publiques. La Ligue de la régénération humaine connaît alors ses plus belles heures. Mais la rupture survient entre Robin et Humbert en 1908 ; ce dernier fonde son propre groupe de "Génération consciente". Paul Robin saborde alors la Ligue de la régénération humaine, puis choisit en 1912 de se suicider : une fin digne d’un anarchiste en avance sur son temps, qui avait même tenté de créer un syndicat de prostituées et une agence d'union libre.
En définitive, plus portés par des individus que par des forces sociales, les néo-malthusiens ont été peu entendus. L’absence d’unité du mouvement le rend fragile face à une opposition des milieux conservateurs et cléricaux plus solide et moins divisée. L’arrivée de la première guerre mondiale met le mouvement en veilleuse. La propagande antinataliste est alors considérée comme une trahison. Les néo-malthusiens avaient plus de chances d'être suivis sur la notion d'éducation sexuelle et c'est grâce à elle qu'ils apportent leur particularité.
Pour Paul Robin, parler de sexualité devient impératif dès la puberté des enfants afin de les préserver des grossesses non désirées et des maladies. Il introduit aussi la notion de plaisir féminin, la sexualité ne devant plus demeurer une jouissance uniquement masculine. Le néo-malthusianisme prépare donc l’émergence du féminisme. Le Planning familial, le Mouvement de libération des femmes (MLF) et le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) doivent beaucoup à Paul Robin. La Biosphère aussi !
un texte de 1896 de Paul Robin : Femmes, sœurs bien-aimées !
« Si vous jugez que votre santé, votre situation matérielle ou les circonstances ne vous permettent pas d’avoir un enfant dans de bonnes conditions, de lui donner les soins de toute nature et l’éducation attentive dont il aurait besoin, vous avez le droit et le devoir de vous abstenir d’être mères. Si vous avez déjà des enfants, vous pourrez mieux les nourrir et les élever qu’en ajoutant imprudemment à leur nombre. Si vous n’en avez pas encore, choisissez sagement le temps où vous et votre conjoint, vous vous trouverez dans des conditions favorables de santé, de bien-être et de sécurité.
Cela dépend de vous, vous êtes absolument maîtresses de votre destinée. Il ne faut pas que vous ignoriez, ni vous ni vos compagnes de souffrance, que la science vous a émancipées de l’épouvantable fatalité d’être mères contre votre volonté. »