Pour certains, la cause est entendue. Malthus n’a pas vu la révolution industrielle et ses extraordinaires potentialités. Avec lui, l’économie politique est irrémédiablement la « science du lugubre » comme la désignait Carlyle après avoir lu l’Essai.
Mais si l’on pense, au contraire, que la substance de l’Essai réside dans l’avertissement que la Terre constitue un espace clos et un fonds borné, alors Malthus précède d’un siècle et demi le Club de Rome et ses courbes exponentielles. La catastrophe démographique n’est pas survenue, non pas parce que la Terre pourrait nourrir n’importe quelle population, mais parce que, jusqu’à présent, le développement économique a pu suivre la croissance des besoins. Or, il apparaît depuis quelques années que cette expansion que l’on croyait indéfiniment perpétuable butte sur la double limite de l’épuisement des ressources naturelles et des capacités de régénération du milieu. Et l’on découvre, surexploitation pétrolière, micropollutions, pollutions globales et déforestation à l’appui, que la sphère des activités économiques est dépendante de la reproduction de la biosphère.
Le principe de population resurgit là où on l’attendait le moins : dans l’air, dans l’eau et dans les sols. Malthus l’empiriste contre Ricardo le théorique prend une revanche qu’il n’aurait sans doute jamais imaginée. Au moment où l’homme met en péril les conditions de sa propre survie, Malthus rappelle la nécessité d’une pensée des limites, d’une interrogation de la finitude face à l’extension du royaume de la marchandise et à l’hybris techno-scientifique de cette fin de millénaire.