- Nous dépendons de la communauté. Pour faire un homme, le tailleur ne suffit pas, c’est aussi le prédicateur, le marchand, le fermier. Où doit aboutir cette division du travail ? Et quel objet finalement sert-elle ? Si l’on vivait simplement et ne mangeait que ce que l’on a fait pousser, ne faisait pousser plus que l’on mange, et ne l’échangeait contre une quantité de choses autant luxueuses que coûteuses, on n’aurait besoin de cultiver que quelques verges de terre ; que ce serait meilleur marché de les bêcher que de se servir de bœufs pour les labourer. Il n’est pas un habitant de la Nouvelle-Angleterre qui ne puisse aisément faire pousser tous les éléments de son pain de seigle et de maïs, sans dépendre de marchés distants et flottants. J’ai appris que le commerce est la malédiction de tout ce à quoi il touche ; et que commerceriez-vous des messages du ciel, l’entière malédiction du commerce s’attacherait à l’affaire. (in L’utopie de Thomas More, 1516)
- Les progrès matériels que nous avons faits tiennent à la mise en œuvre de forces naturelles : car il est bien vrai que nos moyens physiques sont très faibles et, relativement à notre taille, bien plus faibles que ceux des fourmis. Aussi J.B. Say avait-il raison de noter qu’Adam Smith s’égare « lorsqu’il attribue une influence gigantesque à la division du travail, ou plutôt à la séparation des occupations ; non que cette influence soit nulle, ni même médiocre, mais les plus grandes merveilles en ce genre ne sont pas dues à la nature du travail : on les doit à l’usage qu’on fait des forces de la nature ». (in Arcadie, essai sur le mieux vivre de Bertrand de Jouvenel, 1968)
- L’être humain se caractérise par sa capacité de faire des détours pour mieux atteindre ses fins. Il sait faire un détour pour aller plus vite, se retenir temporairement de consommer et investir pour accroître sa consommation globale, etc. Dès lors que le travail est divisé, il constitue le détour de production par excellence. L’esprit du détour de production a été si bien perverti par la division du travail extrêmement poussée qui caractérise la société industrielle que le détour, l’énergie dépensée à le parcourir, deviennent des objectifs recherchés pour eux-mêmes. Des productions jugées superflues ou même nuisibles sont légitimées par le travail qu’elles fournissent à la population. Aux gaspillages destructeurs de ressources naturelles non renouvelables, personne n’ose remédier car ils garantissent l’emploi. Un syndicat ouvrier, en France, exigeait à l’époque que le programme Concorde fût poursuivi ; doit-on penser qu’il cherchait ainsi à hâter l’avènement de la société sans classes dans laquelle tous les ex-prolétaires voleraient en supersonique ? Non, bien sur, c’est le travail qu’il défendait. Pour quel résultat ? (in Pour un catastrophisme éclairé de Jean-Pierre Dupuy, 2002)