Lévi-Strauss identifie dans le culte humaniste du sujet un vice rédhibitoire de la culture occidentale. Il définit d’ailleurs le sujet comme cet « insupportable enfant gâté qui a occupé trop longtemps la scène philosophique et empêché tout travail sérieux en réclamant une attention excessive ». Il fait profession d’anti-humanisme par sa critique radicale de la tradition métaphysique. « Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres avant l’amour-propre ».
Lévi-Strauss a donc contribué à déconstruire la conviction judéo-chrétienne et cartésienne selon laquelle la créature humaine et elle seule a été crée à l’image de Dieu. C’est le rapport de l’homme et de la nature qui a conditionné le rapport des hommes entre eux. Lévi-Strauss rejette un humanisme usurpateur qui a fait de l’homme le seigneur absolu de la création, un humanisme qui est incapable de fonder chez l’homme l’exercice de la vertu. N’est-ce pas le mythe de la dignité exclusive de l’homme qui a fait essuyer à la nature une première mutilation, dont devaient s’ensuivre d’autres mutilations ? On a commencé par couper l’homme de la nature, et par le constituer en règne souverain ; on a ainsi cru effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ libre à tous les abus. En s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, l’homme occidental ouvrait un cycle maudit.
Devons-nous absolument choisir : l'homme OU la nature ? Sommes nous condamnés à humanisme = anthropocentrisme ? L'homme ET la nature est-ce vraiment la catastrophe ? Un humanisme incluant le respect des formes de vie non pour leur utilité immédiate mais parce qu'elles existent et que nous sommes tous, humains et non humains, dans la même galère de l'Evolution, est-il impossible par essence ? Relisons Claude Lévi-Strauss pour qui notre humanisme est « dévergondé » : « …Que règne, enfin, l'idée que les hommes, les animaux et les plantes disposent d'un capital commun de vie, de sorte que tout abus commis aux dépens d'une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l'espérance de vie des hommes eux-mêmes. Ce sont là autant de témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d'un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l'homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu'il s'en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui. »