Hervé Kempf rend responsables de la destruction de la planète la classe opulente (p.65), la classe dirigeante (p.73), les hyper-riches ou nomenklatura capitaliste (p.81), l’oligarchie et la classe moyenne mondiale (p.90-91). La fluctuation de ton vocabulaire montre la difficulté de cerner le phénomène des inégalités dans nos sociétés, d’autant plus qu’il y a de moins en moins de reproduction directe des puissants et qu’il existe une déstabilisation des stables avec la mondialisation libérale.
Nous pouvons désigner cette catégorie prédatrice (à laquelle, comme tu l’indiques justement, nous appartenons !) par une expression symbolique, celle de classe globale. Ce concept pourrait en effet se substituer à la notion de « classe sociale » issue de l’analyse marxiste. Il ne s’agit plus de considérer le point de vue du producteur, qu’il soit capitaliste ou prolétaire, mais le point de vue de l’écologie (scientifique et politique) qui souligne l’opposition actuelle entre les activités humaines et les cycles de la Nature. Cette classe globale regroupe tous les possesseurs d’une automobile particulière, qu’ils habitent dans un pays riche ou dans un pays pauvre. Elle compte 500 millions de ménages dans le monde, soit environ 1,5 milliards de personnes. Ce quart de la population mondiale, qui se permet de consommer plus de 80 % des ressources de la planète, rentre obligatoirement en conflit avec la Nature : la société thermo-industrielle entraîne inéluctablement l’épuisement des ressources fossiles et le réchauffement climatique. L’avidité de cette classe globale constitue la principale entrave à la décroissance soutenable.
Le problème de la prise de conscience du problème reste entier : « Les hyper-riches, la nouvelle nomenklatura, se laisseront-ils faire ? » D’autant plus qu’ils mettent la démocratie en danger. L’efficacité de l’analyse marxiste, c’est qu’il y avait deux classes en lutte, donc un adversaire bien délimité, une conscience de classe objectivée et un projet de transformation de d’appropriation du capital. A l’heure actuelle la classe globale n’a pas d’adversaire qui puisse lui imposer le changement et elle vit un sentiment d’abondance. Les peuples vernaculaires sont écrasés, ou ne veulent qu’une chose, accéder à leur tour à la classe globale ! Même le fait de souhaiter un revenu maximum autorisé paraît une utopie, les puissants qui mènent le monde n’en veulent pas et c’est eux qui décident. Alors il faudrait que cette classe globale, qui comprend aussi les ouvriers des pays développés, prenne conscience des conséquences de son propre comportement sur la planète. Difficile !
Deux choses peuvent cependant faire bouger les mentalités. D’abord l’usage de la pédagogie de la catastrophe, sachant que c’est plutôt la catastrophe qui nous servira de pédagogie. Dans le contexte actuel de perturbation climatique et d’épuisement des ressources fossiles, nous avons le soutien des scientifiques, que ce soit les membres du GIEC (groupe d’experts sur le climat), les naturalistes qui mesurent la perte de biodiversité, ou ceux qui évaluent les ressources en pétrole. Ensuite le quatrième pouvoir, celui des médias, sera essentiel. Il est symptomatique que chaque journal télévisé ou presque ait sa rubrique environnement. Il est symptomatique que le journal Le Monde ait intitulé une de ces pages environnement et science, puis consacré une à deux pages à la Planète. La conscience peut donc progresser au-delà de l’influence des lobbies. Je pense que, les catastrophes aidant, le débat va enfin entrer dans les instances politiques, internationales, nationales et locales. De plus en plus de citoyens se rendent compte qu’il va falloir changer de mode de vie.