« L’espace vécu traditionnel est un espace connexe : deux points quelconques peuvent toujours être reliés par un chemin continu qui ne sorte pas du territoire. La société industrielle est la première à avoir brisé cette connexité. Les espaces personnels y sont éclatés en morceaux disjoints, éloignés les uns des autres : le domicile, le lieu de travail, les commerces, les loisirs. Entre ces domaines, des déserts de sens, déserts que l’on vise à franchir le plus rapidement possible. Il ne faut jamais poser le problème du transport isolément, il faut toujours le lier au problème de la ville, de la division sociale du travail et de la compartimentation que celle-ci a introduite entre les diverses dimensions de l’existence. L’agencement de l’espace continue la désintégration de l’homme commencée par la division du travail en usine. « Il coupe l’individu en rondelles, en tranches bien séparées afin qu’en chacun vous soyez un consommateur passif livré sans défense aux marchands » (André Gorz).
L’automobile privée semble la mieux adaptée à son rôle d’une société destructrice de son espace et de son temps. Championne du mensonge et de l’aveuglement, elle réussit à donner d’elle-même une image en tout point contraire à la réalité : l’image est faite de mobilité, d’autonomie, d’indépendance ; la réalité, d’encombrements et de dépendance radicale vis-à-vis des servitudes de la route et du comportement des autres. « Les usagers, écrivait Illich, briseront les chaînes du transport surpuissant lorsqu’ils se remettront à aimer comme un territoire leur îlot de circulation, et à redouter de s’en éloigner trop souvent. » L’autonomie implique un rapport à l’espace fondé sur des déplacements à faible vitesse, recourant pour l’essentiel à l’énergie métabolique de celui qui se meut. » (in Pour un catastrophisme éclairé de Jean-Pierre Dupuy)