Le rapport Brundtland de 1987, Notre avenir à tous, introduit le concept de développement durable et brouille les cartes. Il mélange des considérations qui peuvent rallier des militants écologistes et d’autres qui rassurent les milieux industriels : « Bien des voies suivies par les pays industrialisés ne sont pas durables… Nombreux sont les problèmes de survie qui sont liés à un développement inégal, au paupérisme et à la croissance démographique… Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance économique, une croissance rigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement durable. » Ce ne sont plus les pratiques des pays industrialisés qui vont être au cœur de la critique, mais les malheurs liés à la pauvreté. On se contente de parier que la technoscience trouvera forcément des solutions : « La notion de développement durable implique celle de limites. Il ne s’agit pourtant pas de limites absolues, mais de celles qu’impose l’état actuel des techniques et de l’organisation sociale ainsi que de la capacité de la biosphère de supporter les effets de l’activité humaine. Mais nous sommes capables d’améliorer nos techniques et notre organisation sociale de manière à ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique. » Cette approche optimiste et non justifiée se retrouve dans les documents de la deuxième conférence sur l’environnement de Rio en 1992 : les pays développés sont un modèle à suivre. C’est nier les difficultés nées du sur-développement, sous prétexte qu’il existe aussi un sous-développement. (Frédéric Durand, La décroissance, Rejets ou projets ? Croissance et développement durable en questions)
La dernière trouvaille de la théorie économique est sa mutation publicitaire en « développement durable », souvent représenté par trois cercles séparés – figurant l’économique, le social et l’environnemental (mais assez proches pour qu’ils aient des intersections communes censées indiquer les relations entre ces trois domaines). Lorsqu’un arbitrage doit avoir lieu entre ces trois conceptions pour prendre une décision, c’est l’économique qui l’emporte aux dépends des deux autres. Cette représentation est une contre-vérité dans la mesure où elle suggère une autonomie de l’économique par rapport au social et à l’environnement. Elle n’est qu’une des nombreuses modalités de la propagande du productivisme pour perpétuer l’illusion du cycle production-consommation. Une plus juste représentation des domaines économique, social et environnemental eût été celle de trois cercles concentriques : le petit cercle économique au milieu, inclus dans le moyen cercle du social, lui-même contenu dans le grand cercle de l’environnement naturel. (Yves Cochet, Antimanuel d’écologie, 2009)