Le marché carbone est l’aboutissement d’une construction libérale de l’écologie, théorisée dès les années 1960 par des économistes comme Ronald Coase et mise en œuvre par les gouvernements occidentaux depuis les années 1980. Cette « finance carbone » correspond à un choix de société qui s’est opéré sans aucun débat public et que nous devrons subir pendant des décennies. Il ne s’agit plus seulement de falsifier les bilans environnementaux et sociaux des entreprises pour les rendre présentables, mais de se servir de la crise écologique pour ancrer encore plus profondément les logiques néolibérales dans la société. Déjà le marché carbone se structure, les investisseurs se préparent, les multinationales se précipitent sur les technologies dites « propres », sans rien changer par ailleurs à leurs pratiques tournées exclusivement vers la recherche de profits à court terme. Il est plus que nécessaire de briser le mythe d’un protocole de Kyoto présenté comme une formidable avancée.
Ronald Coase, dans un article intitulé The Problem of Social Cost explique que l’Etat est un intermédiaire superflu. Il faut attribuer des droits de propriété sur l’environnement. Une telle détermination des droits est, pour Coase, la seule intervention de l’Etat qui soit tolérable. Ensuite les droits sont échangeables par transactions privées. Les « droits à polluer » sont donc, d’un point de vue économique, tout aussi efficaces que les droits à ne pas être pollué. Ronald Reagan avait inauguré sa présidence le 20 janvier 1981 par un discours d’investiture dans lequel il avait déclaré : « L’Etat n’est pas la solution à nos problèmes… L’Etat est le problème. » En 1990, un volet est ajouté au Clean Air Act afin d’intégrer le problème des pluies acides. En fonction d’un objectif de réduction fixé à l’avance, le pouvoir politique attribue aux industriels ce que l’on peut concevoir comme des tickets de rationnement de SO2, appelés pudiquement « permis d’émission », valables pour une période donnée. Cette technique des quotas échangeables est souvent appelée cap and trade : l’objectif est fixé par les pouvoirs publics, il se traduit par l’attribution de quotas (cap), puis le marché (trade) intervient.
Séduits par le principe du marché du dioxyde de soufre et par son efficacité supposée – mais jamais démontrée -, les négociations sur le CO2 acceptent en 1998 qui soit créé une bourse du carbone. Le protocole de Kyoto entre en vigueur en février 2005. Les Américains refusent in fine de ratifier le texte, mais Washington aura façonné et imposé une grande partie du dispositif, et en particulier le marché des droits à polluer. L’UE décide d’anticiper, le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre débute officiellement le 1e janvier 2005 dans la Communauté européenne. (in Le climat otage de la finance d’Aurélien Bernier)