éditions du Seuil, 162 pages
Ivan Illich (1926-2002) est un précurseur incontournable de l’écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle. De passage à Paris pour promouvoir son livre La convivialité, Ivan Illich avait refusé de parler à la télé. Mais il avait accordé un entretien à la Gueule ouverte (numéro 9, juillet 1973).Ceci peut faire une bonne introduction que nous ferons suivre de quelques définitions issues de son livre.
« Le discours télévisé est inévitablement démagogique. Un homme parle sur le petit écran, des millions d’hommes et de femmes l’écoutent. Dans le meilleur des cas, la réaction maximum du public ne peut être que bip bip je suis d’accord ou bip bip je ne suis pas d’accord. Aucun véritable échange n’est possible, mais je suis heureux de soumettre mon travail à la critique des lecteurs de La gueule ouverte, tous profondément préoccupés de ne se laisser enfermer dans aucun carcan idéologique.
Je distingue deux sortes d’outils : ceux qui permettent à tout homme, plus ou moins quand il veut, de satisfaire les besoins qu’il éprouve, et ceux qui créent des besoins qu’eux seuls peuvent satisfaire. Le livre appartient à la première catégorie : qui veut lire le peut, n’importe où, quand il veut. L’automobile, par contre, crée un besoin (se déplacer rapidement) qu’elle seule peut satisfaire : elle appartient à la deuxième catégorie. De plus, pour l’utiliser, il faut une route, de l’essence, de l’argent, il faut une conquête de centaines de mètres d’espaces. Le besoin initial multiplie à l’infini les besoins secondaires. N’importe quel outil (y compris la médecine et l’école institutionnalisées) peut croître en efficacité jusqu’à franchir certains seuils au-delà desquels il détruit inévitablement toute possibilité de survie. Un outil peut croître jusqu’à priver les hommes d’une capacité naturelle. Dans ce cas il exerce un monopole naturel ; Los Angeles est construit autour de la voiture, ce qui rend impraticable la marche à pied.
Une société peut devenir si complexe que ses techniciens doivent passer plus de temps à étudier et se recycler qu’à exercer leur métier. J’appelle cela la surprogrammation. Enfin, plus on veut produire efficacement, plus il est nécessaire d’administrer de grands ensembles dans lesquels de moins en moins de personnes ont la possibilité de s’exprimer, de décider de la route à suivre. J’appelle cela polarisation par l’outil. Ainsi chaque outil, au-delà du seuil de tolérabilité, détruit le milieu physique par les pollutions, le milieu social par le monopole radical, le milieu psychologique par la surprogrammation et la polarisation par l’outil. Aujourd’hui l’homme est constamment modifié par son milieu alors qu’il devrait agir sur lui. L’outil industriel lui dénie ce pouvoir. A chacun de découvrir la puissance du renoncement, le véritable sens de la non-violence. »
Avenir
Si, dans un très proche avenir, l’humanité ne limite pas l’impact de son outillage sur l’environnement et ne met pas en œuvre un contrôle efficace des naissances, nos descendants connaîtront l’effroyable apocalypse prédite par maint écologue. Il se peut que des technocrates soient chargés de conduire le troupeau au bord de l’abîme, c’est-à-dire de fixer des limites multidimensionnelles à la croissance. Cette gestion bureaucratique de la survie humaine doit échouer car une telle fantaisie suicidaire maintiendrait le système industriel au plus haut degré de productivité qui soit endurable. L’homme vivrait protégé dans une bulle de plastique qui l’obligerait à survivre comme le condamné à mort avant l’exécution. Pour garantir sa survie dans un monde rationnel et artificiel, la science et la technique s’attacheraient à outiller le psychisme de l’homme.
Mais l’installation du fascisme technobureaucratique n’est pas inscrite dans les astres. Il y a une autre possibilité : un processus politique qui permette à la population de déterminer le maximum que chacun peut exiger, dans un monde aux ressources manifestement limitées ; un processus d’agrément portant sur la limitation de la croissance de l’outillage, un encouragement à la recherche de sorte qu’un nombre croissant de gens puissent faire toujours plus avec toujours moins. Un tel programme peut encore paraître utopique à l’heure qu’il est. Si on laisse la crise s’aggraver, on le trouvera bientôt d’un extrême réalisme.
Contraception
Il faut que chacun apprenne le pourquoi et le comment de la contraception. La raison en est claire ; l’homme est borné par les ressources de l’écosphère, son univers ne peut admettre qu’un nombre limité d’occupants. Par la technique, il a modifié les caractéristiques de sa niche écologique. L’écosphère peut maintenant accueillir plus de gens, chacun moins adapté vitalement à son environnement (chacun ayant en moyenne moins d’espace, moins de compétence, moins de tradition).
Sans la pratique d’une contraception volontaire et efficace, l’humanité sera écrasée par son nombre, avant même d’être écrasée par la puissance de son propre outillage. Le paradoxe est que l’homme oppose sa plus grande résistance à l’enseignement dont il aurait besoin au plus haut degré.
Convivialité
La convivialité sera restaurée au cœur de systèmes politiques qui protègent, garantissent et renforcent l’exercice optimal de la ressource la mieux répartie dans le monde : l’énergie personnelle que contrôle la personne.
L’homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l’emploi de l’outil convivial, je l’appelle austère. …Thomas d’Aquin définit l’austérité comme une vertu qui n’exclut pas tous les plaisirs, mais seulement ceux qui dégradent la relation personnelle. L’austérité fait partie d’une vertu plus fragile qui la dépasse et qui l’englobe : c’est la joie, l’eutrapelia, l’amitié.
Croissance
Dans une société riche, chacun est plus ou moins consommateur-usager ; de quelque manière, chacun joue son rôle dans la destruction du milieu. Le mythe transforme cette multiplicité de prédateurs en une majorité politique. En dépit de leur diversité individuelle, une commune adhésion à la croissance les réunit car leur satisfaction en dépend. Cette majorité silencieuse, gardienne des intérêts investis dans la croissance, paralyse toute action politique réelle.
La désaccoutumance de la croissance sera douloureuse. Elle sera douloureuse pour la génération de transition, et surtout pour les plus intoxiqués de ses membres. Puisse le souvenir de telles souffrances préserver de nos errements les générations futures.
Crise
Quand un peuple perd confiance dans la productivité industrielle, tout peut arriver, l’inversion devient vraiment possible. Les forces qui tendent à limiter la production sont déjà au travail à l’intérieur du corps social, des hommes et des femmes condamnent une croissance qu’ils jugent destructrice. Gageons que leurs voix se feront mieux entendre quand la crise de la société surproductive s’aggravera. Ce sera la première crise mondiale mettant en question le système industriel en lui-même et non plus localisée au sein de ce système. Cette crise obligera l’homme à choisir entre les outils conviviaux et l’écrasement par la méga-machine, entre la croissance indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. La seule réponse possible : établir, par accord politique, une autolimitation.
La survie du Bangladesh dépend du blé canadien et la santé des New-yorkais demande la mise à sac des ressources plantaires. Le passage à une société conviviale s’accompagnera d’extrêmes souffrances : famine chez les uns, panique chez les autres. Pour être possible, la survie dans l’équité exige des sacrifices. Elle exige un renoncement général à la surpopulation, à la surabondance et au sur-pouvoir, qu’ils soient le fait d’individus ou de groupes. Cela revient à renoncer à cette illusion qui substitue au souci du prochain, c’est-à-dire du plus proche, l’insupportable prétention d’organiser la vie aux antipodes.
Démographie
Paul Ehrlich souligne le fait que si l’on veut honnêtement contrôler la bombe démographique et stabiliser la consommation, on s’expose à être traité d’anti-peuple et d’anti-pauvre. Il insiste : « des mesures impopulaires limitant à la fois les naissances et la consommation sont le seul espoir qu’a l’humanité d’éviter une misère sans précédent. »
Le surpeuplement, la surabondance et la perversion de l’outil sont les trois forces qui se conjuguent pour mettre en péril l’équilibre écologique. L’honnêteté oblige chacun de nous à reconnaître la nécessité d’une limitation de la procréation, de la consommation et de la technique.
Droite/gauche
La dictature du prolétariat et la civilisation des loisirs sont deux variantes politique de la même domination par un outillage industriel en constante expansion. Une interprétation exclusivement industrielle permet aux communistes et aux capitalistes de parler le même langage. La politique économique socialiste se définit bien souvent par le même souci d’accroître la productivité industrielle que le chantre de la libre entreprise. Aussi longtemps qu’on attaquera le trust Ford pour la seule raison qu’il enrichit Monsieur Ford, on entretient l’illusion que les usines Ford pourraient enrichir la collectivité.
La solution ne réside pas dans un certain mode d’appropriation de l’outil, mais dans la découverte du caractère non convivial de certains outils.
Education
La surproduction industrielle d’un service a des effets seconds aussi catastrophiques que la surproduction d’un bien. Les nouveaux systèmes éducatifs sont des outils de conditionnement puissants et efficaces qui produiront en série une main d’œuvre spécialisée, des consommateurs dociles, des usagers résignés. Leur séduction cache la destruction, de façon subtile et implacable, des valeurs fondamentales. L’individu scolarisé sait exactement à quel niveau de la pyramide hiérarchique du savoir il se situe, et il connaît avec précision sa distance au pinacle.
Qu’apprend-on à l’école ? On apprend que plus on y passe d’heures, plus on vaut cher sur le marché. On apprend à accepter sans broncher sa place dans la société.
Effondrement
Je crois que la croissance s’arrêtera d’elle-même. Un événement imprévisible et probablement mineur servira de détonateur à la crise, comme la panique de Wall Street a précipité la Grande Dépression. Une coïncidence fortuite rendra manifeste la contradiction structurelle entre les fins officielles de nos institutions et leurs véritables résultats. Ce qui est déjà évident pour quelques-uns sautera tout à coup aux yeux du plus grand nombre : l’organisation de l’économie tout entière en vue du mieux-être est l’obstacle majeur au bien-être.
La crise dont je décris la venue prochaine n’est pas intérieure à la société industrielle, elle concerne le mode industriel de production en lui-même. La paralysie synergique des systèmes nourriciers provoquera l’effondrement général du mode industriel de production.
Médecins aux pieds nus
En 1971, un million de paysans en Chine ont suivi des cours accélérés : ils apprennent la dissection sur un cochon, réalisent les analyses de laboratoire les plus courantes, acquièrent des connaissances élémentaires de bactériologie, de médecine clinique, d’hygiène et d’acupuncture.
Après cette formation, ces médecins aux pieds nus conservent leur travail antérieur, mais s’en absentent si nécessaire pour s’occuper de leurs camarades.
Mégamachine
Les institutions dominantes optimisent la production du méga-outillage et l’orientent vers un peuple de fantômes. Le charme discret du conditionnement abstrait par la méga-machine remplace le claquement du fouet à l’oreille de l’esclave-laboureur et l’avance implacable de la chaîne déclenche le geste stéréotypé de l’esclave-ouvrier. L’homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle… Peu importe qu’il s’agisse d’un monopole privé ou public : la dégradation de la nature, la destruction des liens sociaux, la désintégration de l’homme ne pourront jamais servir le peuple… L’homme devient l’accessoire de la méga-machine, un rouage de la bureaucratie.
Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction. Les administrations croient stabiliser et harmoniser la croissance en affinant les mécanismes et les systèmes de contrôle, mais elles ne font que précipiter la méga-machine institutionnelle vers un seuil de mutation. Essayer de susciter une ère à la fois hyperindustrielle et écologiquement réalisable, c’est accélérer la dégradation des autres composantes de l’équilibre multidimensionnel de la vie ; le coût de la défense du statu quo monte en flèche.
Monopole radical
J’entends par monopole radical un type de domination exclusif d’un bien ou d’un service. Les transports peuvent ainsi prendre le monopole de la circulation. Les voitures façonnent la ville, éliminant pratiquement les déplacements à pied ou à bicyclette, comme à Los Angeles. Que les gens deviennent impuissants à circuler sans moteur, voilà le monopole radical. A Mexique, il y a encore une génération, l’ouverture de la fosse et la bénédiction du corps étaient les deux seules opérations effectuées par des spécialistes : le fossoyeur et le prêtre. Maintenant une loi est passé qui rend obligatoire le recours aux bons offices des croque-morts. Le patron des pompes funèbres a pris le monopole radical de l’enterrement, de même que le médecin est sur le point de prendre celui de la mort. Or les hommes ont la capacité de soigner, de réconforter, de se déplacer et d’enterrer leurs morts par eux-mêmes.
Les satisfactions élémentaires se raréfient lorsque l’environnement social est transformé de telle sorte que les besoins élémentaires ne peuvent plus être satisfaits hors commerce. La défense contre le monopole radical est possible à une condition : que se dégage, au plan politique, un accord unanime sur la nécessité de mettre un terme à la croissance.
Menaces
Je distinguerai 5 menaces portées à la population de la planète par le développement industriel avancé :
- La sur-croissance menace le droit de l’homme à s’enraciner dans l’environnement avec lequel il a évolué.
- L’industrialisation menace le droit de l’homme à l’autonomie dans l’action.
- La sur-programmation de l’homme en vue de son nouvel environnement menace sa créativité.
- La complexification des processus de production menace son droit à la parole, c’est-à-dire à la politique.
- Le renforcement des mécanismes d’usure menace le droit de l’homme à sa tradition et son recours au langage, au rituel.
Outil
L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place. Or il est manifeste aujourd’hui que c’est l’outil qui de l’homme fait son esclave. L’outil simple, pauvre, transparent est un humble serviteur ; l’outil élaboré, complexe, secret est un maître arrogant. L’outil maniable est conducteur d’énergie métabolique (endosomatique) ; la main, le pied ont prise sur lui. L’énergie qu’il réclame est productible par quiconque mange et respire. L’outil manipulable est mû, au moins en partie, par l’énergie extérieure (exosomatique). Il peut dépasser l’échelle humaine ; l’énergie fournie par le pilote d’un avion supersonique ne représente plus une part significative de l’énergie consommée en vol. L’outil maniable appelle l’usage convivial.
L’outil reste convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent qu’il le désire. Personne n’a besoin d’un diplôme pour avoir le droit de s’en servir. L’outil juste répond à trois exigences : il est générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclaves ni maîtres, il élargit le rayon d’action personnel. J’appelle société conviviale une société ou l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.
Politique
Lorsque je parle de l’apparition de groupes d’intérêts et de leur préparation, je ne fais référence ni à des noyaux de terroristes, ni à des dévots, ni à des experts d’un nouveau genre. Et plus particulièrement je ne fais pas référence à un parti qui prendrait le pouvoir au moment de la crise. L’angoisse me ronge quand je vois que notre seul pouvoir pour endiguer le flot mortel tient dans le mot, plus exactement, dans le verbe, venu à nous et trouvé dans notre histoire. Seul, dans sa fragilité, le verbe peut rassembler la foule des hommes pour que le déferlement de la violence se transforme en reconstruction conviviale.
Les partis soutiennent un Etat dont le but avoué est la croissance du PNB, il n’y a rien à attendre d’eux lorsque le pire arrivera. Il est temps de centrer le débat politique sur les façons dont la structure de la force productive menace l’homme. L’équité demande qu’on partage à la fois le pouvoir et l’avoir.
Pollution
Juguler la pollution créée localement par une grande industrie exige des investissements, en matériel et énergie, qui recréent, ailleurs, le même dommage à plus large échelle. Si on rend obligatoires les dispositifs antipolluants, on ne fait qu’augmenter le coût unitaire de production. Certes, l’on conserve un peu d’air respirable pour la collectivité, dès lors que moins de gens peuvent s’offrir le luxe de conduire une voiture, de dormir dans une maison climatisée, ou de prendre l’avion pour aller pêcher en fin de semaine ; au lieu de dégrader l’environnement physique, on accentue les écarts sociaux.
La crise écologique est traitée superficiellement lorsqu’on ne souligne pas que la mise en place de dispositifs antipolluants n’aura d’effets que si elle s’accompagne d’une diminution de la production globale. Autrement ces mesures transfèrent nos ordures chez nos voisins, les réservent à nos enfants, ou les déversent sur le tiers-monde.
Prévision du futur
Je ne fais que conjoncturer l’aggravation de la crise. Mais je peux exposer avec précision la conduite à tenir devant et dans la crise. Je crois que la croissance s’arrêtera d’elle-même… En un temps très court la population perdra confiance non seulement dans les institutions dominantes, mais aussi dans les gestionnaires de la crise… Un évènement imprévisible et probablement mineur servira de détonateur à la crise… Ce qui est déjà évident pour quelques-uns sautera tout à coup aux yeux du plus grand nombre : l’organisation de l’économie tout entière au service du mieux-être est l’obstacle majeur au bien-être. Comme d’autres intuitions largement partagées, celle-ci aura la vertu de retourner complètement l’imagination populaire.
Les pays pauvres entameront plus facilement leur reconstruction sociale grâce à leur mode de production pré-industriel et convivial. La convivialité accessible dès maintenant aux « sous-développés » coûtera un prix inouï aux « développés ».
Révolution
Il n’y a qu’une façon de liquider les dirigeants, c’est de briser la machinerie qui les rend nécessaires – et par là-même la demande massive qui assure leur empire. La profession de PDG n’a pas d’avenir dans une société conviviale, comme le professeur n’a pas de place dans une société sans école : une espèce s’éteint quand elle perd sa raison d’être. Mais il ne servirait à rien de massacrer les dirigeants si c’est pour se borner à les remplacer.
Il faudra des groupes capables d’analyser avec cohérence la catastrophe et de l’exprimer en langage ordinaire. Un groupe de gens lucides peut inspirer confiance à leurs concitoyens. Ils devront savoir plaider la cause d’une société qui se donne des bornes, et le faire en termes concrets, compréhensibles par tous, désirables en général et immédiatement applicables. A la vérité, la formation d’une élite organisée, chantant l’orthodoxie de l’anticroissance, est concevable. Cette élite est probablement en formation. Sa crédibilité dépendra de son habilité à démontrer qu’il est non seulement nécessaire, mais possible d’instaurer une société conviviale. Que l’application de cette procédure soit baptisée Révolution culturelle ou socialisme de participation n’est qu’une question de dénomination.
Surprogrammation
Spécialisation de l’outil et division du travail sont en interaction, et requièrent, au-delà d’un certain point, une surprogrammation de l’opérateur et du client. La plus grande part du savoir de chacun est dès lors l’effet du vouloir et du pouvoir d’autrui. Les gens n’apprennent plus par eux-mêmes, le savoir est devenu un bien marchand. L’éducation, c’est la préparation programmée à la vie active moyennant l’ingurgitation d’instructions massives et standardisées produites par l’école. La santé dans une économie de croissance est aussi devenue une marchandise. Dans un certain sens, c’est l’industrialisation, plus que l’homme, qui a profité des progrès de la médecine. Des mourants peuvent végéter longtemps emprisonnés dans un poumon d’acier, dépendants d’un tube de perfusion, ou suspendus au fonctionnement d’un rein artificiel.
Il y a certains seuils à ne pas franchir. Car, passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société conviviale devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement.
Télévision
Une société conviviale n’est même pas tenue de refuser la télévision, bien que celle-ci laisse à la discrétion de quelques producteurs et beaux parleurs le soin de choisir et de fabriquer ce qu’on fera « avaler » à la masse des téléspectateurs. Il faut choisir entre distribuer à des millions de personnes, au même moment, l’image colorée d’un pitre s’agitant sur le petit écran, ou donner à chaque groupe humain le pouvoir de produire et de distribuer ses propres programmes dans les centres vidéo.
Vélo
La vélocité du vélo peut servir de critère à la détermination du seuil critique de vitesse. Cette considération nous conduira peur-être à proscrire tous les transports publics à vitesse supérieure à celle de la bicyclette.
Voiture
L’Américain type consacre plus de 1500 heures par an à sa voiture : il y est assis, il travaille pour la payer, pour acquitter l’essence, les péages, l’assurance, les contraventions et les impôts. Il consacre donc 4 heures par jour à sa voiture, qu’il s’en serve, s’en occupe ou travaille pour elle. A cet Américain, il faut donc 1500 heures pour faire 10 000 kilomètres de route ; environ 6 kilomètres lui prennent une heure. Et encore ne sont pas prises en compte toutes ces activités orientées par le transport : le temps passé à l’hôpital, au tribunal ou au garage, etc.