Avoir ou ne pas avoir des enfants
Le choix malthusien, c’est-à-dire le contrôle volontaire de la fécondité pour rendre compatible la population humaine et la capacité de charge de la planète, se heurte à tous ceux qui valorisent le « droit à la vie ». Par exemple le pape Jean Paul II s’exprimait ainsi : « Il n’y a pas de respect pour les lois dans un Etat (la Pologne en l’occurrence) qui laisse tuer les innocents. Un peuple qui tue ses propres enfants [par l’avortement] est un peuple sans avenir ». Mais la religion ne peut dicter sa loi à une société démocratique, l’avortement ne devrait pas être conditionné par une considération éthique, mais par les nécessités socio-économiques ou environnementales.
En France, les chutes les plus brutales de la natalité ont été enregistrées en 1975 et en 1983, deux périodes qui correspondent à une récession économique. Bien que l’avortement soit le signe d’un échec de la contraception, c’est un droit à autoriser dans un monde surpeuplé. Il y a le droit à la vie, il y a aussi le droit de l’enfant à s’insérer de façon harmonieuse dans une vie familiale, dans un biotope équilibré, donc dans une existence durable.
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Trop d’enfants, c’est un frein à l’amélioration de la société. Les néo-malthusiens associent systématiquement la limitation des naissances à la révolution sociale. Le néo-malthusianisme, mouvement d’émancipation très proche des féministes, s’est développé en France à la fin du 20ème siècle. Paul Robin fonde en 1896 la ligue de la régénération humaine qui se propose de faire connaître la loi de Malthus, ainsi que « les procédés anticonceptionnels qui permettent d’en faire une arme contre le malheur ». Mais en 1920, la majorité nationaliste issue de la Première guerre mondiale vote une loi condamnant « la propagande contre la natalité ou anti-conceptionnelle ». Cette loi criminalise aussi l’avortement, Marie Latour sera exécutée en 1943 sur ce motif. Les néo-malthusiens sont contraints de fermer leurs journaux et à cesser leur action. Dans ce contexte, on ne pouvait plus réfléchir. Pour ou contre l’avortement ? Ma mère était contre, comme sa génération née en 1925. Cela ne l’a pas empêché d’avorter trois fois. La loi n’est pas toujours en accord avec les consciences. Je suis né en 1947, j’ai aussi vécu au temps de la répression, je me suis auto-formé sur la question de la sexualité et de la contraception.
En janvier 1971 je trouve dans Partisans un dossier, Libération des femmes, année zéro. Je prends en note : « Du point de vue du danger, mieux vaudrait vendre les pilules dans des distributeurs automatiques et ne délivrer les cigarettes que sur ordonnance… L’utérus des femmes est la propriété de l’Etat… Actuellement en France à la suite d’avortements, il meurt tous les ans 5000 femmes, 10 000 à 15 000 demeurent stériles à vie et 200 000 souffrent de maladies infectieuses. En Hongrie où l’avortement est considéré comme une intervention chirurgicale normale, on ne compte que six cas mortels pour 100 000 avortements…» C’était l’époque du MLF (mouvement de libération de la femme) : « Qui est le plus apte à décider du nombre de nos enfants ? Le pape qui n’en a jamais eu ? Le président qui a de quoi élever les siens ? Votre mari qui leur fait guili guili le soir en rentrant ? Ou bien vous qui les portez et les élevez ! »
Mais la question démographique est bien plus complexe, il y a le droit de la femme à disposer de son corps et le droit de la planète à ne pas être envahie par les bébés. Il faut un compromis entre les libertés de l’individu et les contraintes écologiques. J’ai toujours pensé que la population humaine était trop nombreuse. Le 4 décembre 1970, j’écrivais dans mon carnet de notules comment je vois le monde tel qu’il va :
Un jour les gouvernements seront obligés de supprimer les voitures
Ils seront obligés de tuer des nouveau-nés bien portant
Il y aura pourtant des guerres civiles et internationales en même temps
Des gens mourront parce que l’eau potable manquera
Le ciel sera obscurci de bruits et de fumées
La terre sera sillonnée de bandes armées déchaînées
Notre vie ne tiendra qu’à un fil, la raison du plus fort
Les villes seront pillées et l’armée deviendra brigands
Car les gens ne sont pas préparés intellectuellement
A agir rationnellement contre surpopulation et pollution.
Ce sont mes études de fac au début des années 1970 qui m’ont fait découvrir Thomas Malthus. Cet économiste et néanmoins pasteur, a mis en évidence à la fin du XVIIIe siècle une sorte de loi démographique quand on laisse faire la nature : en l’absence d’obstacles, les couples peuvent en moyenne faire 4 enfants par génération, ce qui fait doubler la population tous les 25 ans. Par contre l’agriculture est contrainte par les rendements décroissants : « On n’obtiendra pas avec la même facilité la nourriture nécessaire pour faire face au doublement de la population. Lorsque tous les arpents ont été ajoutés les uns aux autres jusqu’à ce que toute la terre fertile soit utilisée, l’accroissement de nourriture ne dépendra plus que de l’amélioration des terres mises en valeur. Or cette amélioration ne peut faire des progrès toujours croissants, bien au contraire. ». En conséquence, la population croit selon une progression géométrique très rapide et l’alimentation seulement comme une progression arithmétique bien plus lente. Comme la population augmente bien plus vite que les ressources alimentaires, il y a un déséquilibre qui se résout par des obstacles naturels, famine et épidémies au niveau territorial, ou quand il y a migration, des invasions et des guerres. Une seule solution rationnelle, limiter les naissances.
En mars 1972 j’adhère de cœur et de conviction raisonnable au mouvement américain « Zero Population Growth ». Ne plus faire d’enfant, puisqu’il y a trop de personnes qui n’adhèrent pas au mouvement ! Je suis conscient qu’un enfant supplémentaire est une charge pour la famille (nourriture, éducation…) et pour la société (gonflement possible du chômage, boursouflure du secteur tertiaire…). Pour la planète aussi (surpopulation / ressources naturelles). Il me paraît donc convenable de supprimer les allocations familiales. Je trouve que le tourisme est un impérialisme des riches, la population doit être stabilisée dans l’espace, dans des cellules géographiquement circonscrites qui s’auto-suffisent. Le gouvernement impose bien à un homme de n’avoir qu’une seule femme, ne peut-il lui imposer de ne pas avoir plus de deux enfants ?
En 1972 je lis aussi le rapport du Club de Rome (The limits to growth): « Si les tendances à la croissance de la population du monde, l’industrialisation, la pollution, la production de nourriture et l’épuisement des ressources restent inchangés, les limites à la croissance sur cette planète seront atteintes un jour ou l’autre dans les cent prochaines années. Le résultat le plus probable sera une baisse plutôt soudaine et incontrôlable tant de la population que de la capacité industrielle. » J’avais même été subjugué par le titre d’un libelle : « Lettre à l’enfant que je n’aurai jamais ». C’est pour moi le signe d’une inconscience totale que de faire un enfant sans penser à son avenir. Mais il y a un gouffre entre la théorie malthusienne et la réalité du rapprochement des corps.
Fin 1973, je suis éducateur à Ambarès. Je rencontre une autre éducatrice que j’avais rencontrée en fac de sciences de l’éducation. Nous étions logés dans deux chambres proches. Nous nous sommes retrouvés dans le même lit, écoutant de la musique. Elle s’est endormie sur moi, nous n’avions rien conclu. Le matin, c’est elle qui a eu pitié de moi, elle a pris l’initiative. Nous étions devenus plus qu’ami, mais nous ne prenions aucune précaution. Je suis con. Je n’ai pas assez d’expérience. La loi Neuwirth qui autorisa la contraception orale était trop récente. Cette loi a été votée en 1967, elle ne sera appliquée qu’en 1972 à cause des freinages de l’administration ! Je ne savais même pas comment était fait un préservatif, à 25 ans ! Marie-Thérèse est tombée enceinte, j’avais été viré de mon boulot, elle a avorté. Non, plutôt, nous avons avorté ensemble. J’avais de la chance, et mon amie aussi, le MLAC (mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) était actif depuis avril 1973 et agissait pour changer la loi en pratiquant illégalement des avortements. Pas besoin d’aiguille à tricoter pour avorter, nous avons donc testé la méthode par aspiration. Je dis « nous » car toute une bande d’apprentis médecins et de membres du MLAC sont arrivés et ma présence était jugée indispensable, pour eux comme pour moi. Le mec est aussi responsable que la femme d’une naissance non désirée. L’intervention a eu des séquelles, mon amie a fait une hémorragie. Elle s’est retrouvée à l’hôpital. Que fait le gouvernement ?
Quelques mois après, le 26 décembre 1974, s’ouvrent à l’Assemblée nationale des débats sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Simone Veil, ministre de la santé, conduit les débats devant une assemblée d’hommes. Les détracteurs se succèdent : « Une nouvelle religion est née, son dieu s’appelle le Sexe ! Pour Satan, contraception et avortement sont les deux chapitres du même grand livre de la sexualité ! » ; « Le temps n’est pas loin où nous connaîtrons des avortoirs, des abattoirs parfaitement contraires à la mission la plus naturelle et la plus indispensable de la femme : donner la vie et non la mort. » Le Conseil de l’ordre des médecins exhorte à voter contre la loi, heureusement un médecin s’insurge : « Mille avortements clandestins sont pratiqués par jour, et chaque jour une femme en meurt. » La loi sur l’IVG sera adoptée par 277 voix contre 192, donnant aux femmes le droit de disposer de leur corps. Si l’avortement est bien l’échec de la contraception, la faute d’un couple, c’est aussi la responsabilité de la société ; on ne peut être malthusien que dans une société non répressive, ouverte à la contraception et à la réflexion.
En 1974 s’est tenu la première conférence mondiale sur la population (The World Population Conference) réunissant les gouvernements. On a mesuré l’impossible dialogue entre personnes concernées par les limites de l’œkoumène et personnes enrégimentées par leurs propres croyances. Dès le début de la conférence, de vives réactions se sont manifestées contre l’idée maîtresse de diminuer le nombre de naissances pour réduire les difficultés économiques. Ce débat renouvelait, presque de façon identique, celui qui a opposé Malthus, un siècle et demi plus tôt, à des économistes chrétiens et à tous les socialistes, d’Owen à Marx ; il n’y a pas de problème démographique, il y a seulement un problème de répartition des richesses. Les pays les plus pauvres ont pris à partie les pays riches en invoquant le souci d’équité mondiale. Les pays riches ainsi que les groupes sociaux favorisés devraient réduire leur consommation excessive pour un monde plus juste, plus égalitaire. On ne peut séparer la question démographique des questions éthiques et des problèmes de « développement ».
La deuxième conférence mondiale sur la démographie à Mexico en 1984 n’a laissé aucune trace, et la troisième en 1994, au Caire, est devenu « Conférence internationale sur la population ET le développement ». Les 179 pays signataires ont admis que la population et le développement sont inextricablement liés, qu’il est nécessaire d’autonomiser les femmes et de répondre aux besoins des couples et des individus en matière d’éducation et de santé. La conférence a adopté un Programme d’action sur vingt ans, axé sur les besoins et les droits des individus plutôt que sur la réalisation d’objectifs démographiques. Quand on sait qu’on prévoyait un passage de la population mondiale de 5,6 milliards en 1994 à 7,3 milliards en 2015 pour une stabilisation à 7,8 milliards en 2050, nous mesurons l’échec de cette troisième conférence. Les dernières statistiques projettent 9 milliards d’humains minimum en 2050…
Au XXIe siècle, la détérioration brutale des ressources de la planète ne peut que confirmer le diagnostic de Malthus. Après des décennies d’agriculture intensive, l’analyse de Malthus des rendements décroissants en agriculture se vérifie aujourd’hui. Et la population s’accroît de 1 milliard de personnes tous les douze ans en moyenne ! Notre nombre a dépassé la capacité de la biosphère, d’autant plus qu’un bébé occidental va vouloir rentrer dans la société de surconsommation et de gaspillage et que les classes émergentes ne veulent qu’une chose, imiter le standard de vie occidental. Mais de cette problématique, nulle trace dans les programmes de SES : l’étude de Malthus a été supprimée, que ce soit dans l’ensemble du programme ou même dans la spécialisation en terminale.
Malgré les tensions objectivement croissantes entre population et production alimentaire, le message malthusien a encore du mal à passer en France, même du côté de ceux qui on fait le journal « La Décroissance ». Leur organisme de théorisation, l’IEEDS (institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable) répond ainsi à la question, La décroissance est-elle malthusienne ? : « La décroissance pense qu’il n’y a pas trop d’êtres humains sur terre, mais trop d’automobilistes. » (décembre 2006, supplément inséré dans La décroissance n° 35). Voici mon dialogue en 2008-2009 avec l’administrateur du journal Bruno Clémentin, humaniste convaincu. Bruno va toujours se placer du côté de l’inquisiteur sans jamais développer sa propre conception de l’optimum de population :
Bruno Clémentin : « Comment envisager d'assurer la décroissance rapide de la population humaine ? »
Michel Sourrouille : Je précise d’abord que je n’ai jamais envisagé une décroissance « rapide » de la population parce que c’est impossible. Avec les guerres, les pertes humaines peuvent être très nombreuses. Mais ces événements conjoncturels sont suivis le plus souvent par un boom démographique, il n’y a donc pas globalement décroissance. Pour moi personnellement la « rapidité » n’est pas un enjeu car je ne vis pas dans l'attente de résultats ; il me suffit de vivre de façon intègre et en harmonie avec ce que je crois.
Bruno Clémentin : mais aucun des débatteurs ou "théoricien" de la dénatalité ne répond à deux questions fondamentales :
1 - par qui on commence ?
2 - comment on fait ?
Michel Sourrouille :
1) par qui on commence apporte beaucoup trop de réponses possibles ! En effet les humains ont tellement de façon de s’entretuer après s’être trouvé un ennemi que l’humain à abattre n’est pas désigné par avance. En tant qu’objecteur de conscience, je ne me sens pas concerné par ce type de solution militarisée (la guerre comme infanticide différé). Il faudrait donc commencer par soi, devenir objecteur de croissance : notre sens des limites devrait porter aussi bien sur nos consommations personnelles (simplicité volontaire) que sur notre fécondité.
2) comment on fait la dénatalité ? Par la limitation volontaire des naissances, on a tellement de moyens techniques pour cela. Ainsi les néomalthusiens actuels se sont exprimés en France et ailleurs de façon indirecte, par la création du planning familial, du MLAC et du MLF. Aujourd’hui le préservatif n’est pas d’abord un moyen de lutte contre le SIDA, mais un moyen de limiter sa fécondité naturelle.
Albert Jacquart a répondu à l’aspect limitation des libertés : « Devant les dangers d’une Terre saturée d’hommes, la tentation est grande de renoncer peu à peu à ce luxe inutile qu’est la liberté. Dans quelques siècles, la fécondité leur sera peut-être imposée, la gestion de leur effectif résultera des calculs de quelques ordinateurs. Le seul espoir est que les pays riches mettent une part de leurs ressources surabondantes à la disposition des systèmes éducatifs des pays pauvres ». (l’Explosion démographique d’Albert Jacquard - éd. Le Pommier, 2006).
L’éducation est une réponse possible pour une gouvernance démographique, à commencer par l’éducation des femmes : par exemple le taux de scolarisation entre garçons et filles est encore trop inégal dans les pays moins développés. Or les études montrent que des femmes mieux éduquées limitent le pouvoir des hommes et contrôlent mieux leur fécondité. Même dans les pays riches, le statut de « mère » est encore trop valorisé malgré les discours de Simone de Beauvoir.
Le point de vue d’Yves Cochet d’allocations familiales inversées se comprend aussi face à un Etat français ouvertement repopulateur. Mais si l’Etat était vraiment neutre en matière démographique comme je le voudrais, il n’imposerait aux couples voulant des enfants aucune bonification ou sanctions.
Bruno Clémentin : une "politique" ne peut se satisfaire du "on commence d'abord par soi", elle est la somme des actions en vue d'un but appliqué, avec ou sans leur consentement, à des collectifs : pour ceux qui veulent faire de la démographie une politique, il faut exprimer clairement le but : quelle quantité d'être humains, à quelle échéance, le reste est vraiment une perte de temps.
Michel Sourrouille : La politique ne consiste pas seulement à faire du chiffre. Le gouvernement chinois ne dit pas qu’il désire atteindre 1 milliard ou 600 millions de Chinois dans 5 ans ou dans trois générations. Il se contente d’appliquer l’article 25 de leur constitution : « L'État encourage la planification familiale pour assurer l'harmonie entre la croissance démographique et les plans de développement économique et social. » Comme la population chinoise a été jugée trop importante, la Chine a mis en place une politique de l’enfant unique, assorti de règles et de sanctions si on n’applique pas la norme.
Si j’avais à présenter un programme politique en France, je dirais que l’empreinte écologique des Français est telle que nous ne pouvons pas généraliser notre mode de vie et multiplier nos enfants. Que nos concitoyens comprennent enfin que n’avons pas trois ou quatre planètes à notre disposition ! Il faut donc construire à la fois une décroissance économique par la limitation de nos besoins et une décroissance démographique grâce à la neutralité de l’Etat en matière d’allocations familiales et de quotient familial (qui seraient donc supprimés) : pas de prime à des enfants surnuméraires. Dans l’éducation nationale, il sera mis en place une éducation à être ou non futurs parents. L’éducation sexuelle ne sera pas limitée à la présentation des moyens de contraception, mais à la responsabilité des couples par rapport aux limites de la planète. Face à une crise systémique, écologique et financière, il nous faut une éducation systémique.
Bruno Clémentin : Le « contrôle de la population » n'est PAS le contrôle des naissances.
Michel Sourrouille : Revenons à la base, ce que disait Malthus. Il constatait une rupture inéluctable entre notre ponction sur les ressources agricoles, soumise à la loi des rendements décroissants, et un accroissement exponentiel de la population dans les conditions naturelles de notre fécondité. Loin de lui l’idée de « contrôler la population », depuis le contrôle aux frontières jusqu’au fichage des autochtones ! Il suffirait de contrôler la natalité. Mais comme Malthus ressemblait aux papes actuels, il refusait les moyens de contraception pour ne retenir que la limitation de notre sexualité. Selon Malthus, si nous ne contrôlons pas notre natalité, alors il y aura contrôle de la population par augmentation de la mortalité (famine, épidémies et guerres).
Bruno Clémentin : Le contrôle des naissances n'est pas réduit à l'éducation et la liberté des femmes mais autant par la liberté et l'éducation des hommes, c'est pour avoir méconnu (et méconnaître) cette évidence que les "malthusiens" tourne en rond.
Michel Sourrouille : il s’agit bien sûr d’éduquer à la fois les hommes et les femmes. Pour Malthus, cela passait par l’intériorisation par les couples du nécessaire retard à l’âge du mariage et à l’acceptation d’une abstinence prolongée. Tu ne peux pas reprocher au discours de Malthus, ponctuel et daté historiquement, d’être incomplet.
Bruno Clémentin : L'éducation et la liberté des hommes et des femmes n'est pas "négociable" et ne doit pas être assujetti à des demandes annexes, sauf à se conduire comme les colons et les missionnaires religieux.
Michel Sourrouille : je ne comprends pas à quoi tu fais implicitement référence dans cette phrase…
Bruno Clémentin : pour illustrer mes propos montrant que se focaliser sur le contrôle des naissances est inopérant, lorsque René Dumont visite la Chine (en 1975), il sort cette énormité (vu d'aujourd'hui) et Dumont n'était pas un plaisantin et connaissait le sujet : "... cette baisse du taux de croissance [de la population, mais il ne parle que de la baisse contrôlée de la natalité...] va se poursuivre sans doute de plus en plus rapidement ; la Chine ne dépassera peut-être pas le chiffre fatidique d'un milliard d'habitants..." ; il ne s'est trompé que de 500 millions... sur moins de deux générations ; c'est là une démonstration s'il en fallait une de l'échec absolu du contrôle de la population par le contrôle des naissances. »
Michel Sourrouille : La Chine grâce à sa politique de l’enfant unique a économisé 400 millions de naissance. Cela ne veut pas dire que c’est un succès, cela ne veut pas dire non plus que c’est un échec. Une gouvernance démographique est très difficile à mettre en place. En Chine il y a la préférence pour les garçons, le travail de la terre, l’absence de régime retraite… et même la volonté des riches chinois de faire autant d’enfants qu’ils le veulent puisqu’ils peuvent assumer les amendes. En France, les résistances seraient aussi fortes pour d’autres raisons : il y a le lobby des démographes, le soutien d’une grande partie des intellectuels...
Bruno Clémentin : Enfin il y a un préambule, si on parle de contrôle de la population dans un "cadre" écologique ou de soutenabilité ou de "capacité de charge", c'est la limite posée du nombre optimal d'être humains sur terre. Sauf à parler dans le vide, tu dois donc donner le nombre que tu juges optimal.
Michel Sourrouille : en 1970, une étude des Nations unies répondait à la question suivante : « Etant donné la capacité agricole et industrielle mondiale, le développement technologique et l’exploitation des ressources, combien de personnes pourrait-on faire vivre sur Terre avec le niveau de vie actuel de l’Américain moyen ? La réponse était : 500 millions tout juste. » Actualisons.
Selon Yves Cochet, « Il existe une corrélation historique entre la quantité totale d’énergie dans le monde et, d’un autre, le niveau démographique et le niveau de vie. Cette corrélation est si forte qu’on peut émettre l’hypothèse d’une causalité : moins il y aura d’énergie disponible, moins la planète pourra accueillir d’individus à un certain niveau de vie. Si cette hypothèse est vraie, comme je le crois, le nombre maximal d’humains sur terre, au niveau de vie moyen actuel, déclinera d’environ 7 milliards vers 2025 à environ 5 milliards en 2050, puis 2 à 3 milliards en 2100. En résumant dans l’expression « niveau de vie moyen » de la Terre le rapport entre la consommation d’énergie par personne et le nombre de la population, on pourrait énoncer que plus le niveau de vie est élevé, moins la planète peut accueillir de personnes. »
A part le blocage énergétique, il y a bien d’autres signes qui montrent que la capacité de charge de notre planète ne peut suffire à notre population actuelle : stress hydrique, désertification des sols, déforestation, épuisement des ressources halieutiques, perte de biodiversité, etc. De toute façon, je n’ai pas à donner un nombre optimal car la meilleure chose qui soit possible est la résultante de déterminants innombrables, y compris des jugements de valeur. Pour résumer, il faut à la fois parler du nombre d’habitants à un moment donné sur un territoire donné, de leur taux de croissance démographique, des échanges durables ou non avec les autres territoires, de leur volonté de puiser plus ou moins fortement dans les ressources de la planète (niveau de vie), c’est-à-dire de l’évolution des besoins économiques qui dépendent aussi de considérations sociologiques, etc.
Le problème avec les humains, c’est qu’ils adaptent le milieu et qu’ils savent s’adapter. Des rats dans une cage, même bien nourris, ne supportent pas une densité trop forte ; on peut entasser des humains dans des trains à cause de l’idéologie du lebensraum allemand, ils ne diront rien ou presque. Car le problème essentiel, c’est que nous avons restreint dans de fortes proportions notre espace vital et que nous subissons tous les désagréments d’une surpopulation absolue sans agir sur notre fécondité. Cela est d’autant plus dangereux que la méthode ancestrale de migration à cause de la surpopulation relative d’un territoire ne peut plus servir de soupape de sécurité.
Bruno Clémentin : quand tu confronteras ces deux données physiques (le nombre actuel et celui à obtenir), il te faudra alors choisir par qui tu commences.
Michel Sourrouille : Tu te répètes ! Comme je me situe dans une perspective de contrôle de la natalité librement choisi par les individus et les communautés, je t’ai déjà expliqué par quoi on commence : on agit d’abord sur soi-même et sur sa propre fécondité, on fait aussi de l’éducation, l’apprentissage des contraintes (empreinte écologique, réchauffement climatique, pic énergétique, capacité de charge, problème migratoire…). Si les humains préfèrent la famine, la guerre ou les épidémies pour contrôler leur population de façon non choisie (par la mortalité), moi cela ne me concerne plus.
Mais au moment où l’homme met en péril les conditions de sa propre survie, le souvenir de Malthus nous rappelle la nécessité absolue d’une pensée des limites.
Je pense raisonner juste. Le problème, c’est qu’il y a un monde entre la théorie et mon propre vécu personnel. Avoir aucun, un seul ou plusieurs enfants découle d’un tas de paramètres que nous maîtrisons mal. Personnellement mon idéal serait « un seul enfant par couple ». Mais je me suis mis en ménage avec une femme qui en avait déjà deux d’un premier mariage. Nous en avons fait un autre, le seul enfant biologique que j’ai eu. Comment on compte, trois enfants pour trois personnes, déjà deux pour deux ? Mais l’autre père s’est remarié, il a eu d’autres enfants : comment on compte ? J’ai adopté un enfant de père inconnu, mais qui avait un géniteur ayant fait par ailleurs d’autres enfants : comment on compte ? A l’heure de la fugacité des sentiments et de la croyance en sa liberté toute puissante, le modèle chinois d’un enfant « par couple » semble donc difficile à généraliser. Pourtant cela reste mon modèle. J’ai passé mon existence à éduquer les enfants des autres comme si c’était les miens. Cela seul compte dans la vie vécue.
Je veux ajouter une réflexion importante pour qui veut défendre les intérêts de la Biosphère. Jusqu’à présent nous n’avons envisagé que la taille de la population humaine face aux ressources limitées de la planète. Il ne faudrait pas oublier que l’expansionnisme humain (démographique et économique) réduit l’espace vital de toutes les autres espèces, d’où la dramatique perte de biodiversité que nous connaissons à l’heure actuelle. C’est aussi pour cela que la philosophie de l’écologie profonde est pour moi incontournable. Ainsi ce point de la plate-forme formulée par Arne Naess : « L’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution. »
Sur mon blog biosphere.lemonde.fr, j’ai reçu en novembre 2009 le commentaire suivant : « Ne pensez-vous pas que l’homme fait partie de la nature et que sa population s’autorégulera (comme toute population animale) ». Le problème, c’est que l’animal humain sait modifier son milieu pour l’épuiser au maximum et donc proliférer sans commune mesure avec les possibilités de son écosystème. La régulation naturelle intervient bien sûr à un moment ou à un autre, mais trop tard, pas de façon raisonnée (guerre, épidémies, famine…). La nature ne raisonne pas… Plus nous attendrons pour maîtriser notre croissance démographique, plus la réponse de la biosphère sera violente. Les microbes et les virus commencent à se révolter contre l’élevage en batterie des animaux et des pauvres. Malthus est toujours d’actualité.
Mais mes charges de famille m’ont assez longtemps éloigné du centre de mes préoccupations militantes. Le jeu d’échecs a eu une place importante dans ma vie pendant de longues années.
Pour lire la suite, en choisissant son propre chemin :
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde