Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
Le terme « décroissance » a été popularisé par la revue Casseurs de pub quand elle devient le bimestriel « La décroissance, journal de la joie de vivre » en mars 2004. En titre, CROISSANCE = SUICIDE :
« La décroissance est le journal du XXIe siècle, car la question n’est pas de savoir si décroissance il y aura, car décroissance il y aura, mais de savoir si celle-ci se déroulera dans le totalitarisme et la barbarie, ou si celle-ci sera voulue et maîtrisée, dans un cadre humaniste et démocratique. A l’heure actuelle, 20 % de l’humanité consomment 80 % des ressources naturelles. Nous consommons deux planètes… Il est temps de remettre les pieds sur terre. Première étape, arracher ce clou de la croissance, enfoncé dans les têtes. La croissance est un suicide écologique et humain, alors vive la décroissance ! »
Je me suis bien sûr abonné à cette revue dès l’origine. Ma disposition d’esprit et de pratique, tournée vers la simplicité volontaire, était déjà une objection de croissance.
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Je suis objecteur de conscience, réfractaire à toutes les armées car le massacre de masse est une absurdité. Je suis objecteur de croissance car la volonté d’augmenter le PIB dans un monde fini est une absurdité. Mon parcours d’objecteur de conscience, donc de réfractaire à l’ordre existant, m’avait préparé à être réfractaire à l’ordre économique dominant, le croissancisme. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Alors que la thématique émergente des limites de la croissance était déjà connue depuis 1972 (rapport du club de Rome), j’ai animé en septembre 2002 un débat montrant que seule la décroissance du niveau de vie de la classe globale pouvait sauver la planète. Devant la surprise et l’incompréhension de mon assistance (tous des encartés chez les Verts), j’ai compris que l’écologie ne pouvait pas encore passer par l’abandon raisonné et volontaire de la voiture individuelle, même quand on est politiquement très Vert, c’est-à-dire très jeune en matière environnementale.
Le mot « décroissance », à l’inverse de l’oxymore développement durable, est irrécupérable par l’écologie superficielle, type croissance verte. Ce mot résonne comme un avertissement ultime avant le redoutable choc pétrolier structurel qui nous attend, la crise ultime, la longue catastrophe. Mais il faut attendre la motion ponctuelle 17 des Verts en 2004 pour voir enfin défini politiquement le concept de décroissance. On prend des précautions, il s’agit de « décroissance sélective ». Mais le parti Vert devient tout autre chose qu’une composante « bobo » de la nébuleuse « gauche ». Les Verts sont désormais porteurs d’une critique anti-productiviste qui préconise une décroissance ciblée sur des objectifs concrets, à savoir la décroissance :
- des hauts revenus
- de l’exploitation des ressources non renouvelables
- de la production et de la vente de pesticides
- des transports aériens et routiers.
Malheureusement ce n’était là qu’une toute petite motion dont personne chez les Verts, à part Yves Cochet et son livre de 2005 sur la « Pétrole-apocalypse » (Fayard), n’a prolongé les prémices. De mon côté l’idée de décroissance me parlait. J’étais devenu directement visible sur mon site biosphere.ouvaton.org à partir du 28 avril 2005. La page d’accueil telle que je vivais les choses à l’époque : « Biosphère nous dit : décroissance humaine ». J’étais tellement conscient de la lutte sans issue entre les humains et la plnaète que je m’exprimais ouvertement « au nom de la biosphère ». Le titre prévu pour le bouquin dans lequel je voulais récapituler mes article quasi-quotidien de mon site, « Journal de la Biosphère 2005 ». Mes préoccupations englobent la décroissance démographique, mais aussi l’anthropisation, la biodiversité, le « développement durable », l’effet de serre, le problème énergétique, l’épuisement des ressources, les religions, les sciences et techniques, et même les sports et loisirs. Tout est dangereux et contestable, la biosphère est en péril. Peu importe que je ne trouve pas de maison d’édition, Internet permet de trouver des lecteurs.
Le 8 juin 2005, je titre sur mon blog biosphere.ouvaton Marche pour la décroissance : « Partis de Lyon le 7 juin pour aller vers le circuit de Magny-cours, les militants de la décroissance veulent lutter contre les grands prix de formule 1, ce loisir anachronique réservé à une vingtaine de gosses de riches alors que le déclin de l’extraction pétrolière commence aujourd’hui et que le climat sera complètement déréglé demain. Plus généralement les décroissants désirent plus de liens et moins de biens car il n’y a pas de libre choix possible entre un changement des mentalités pour une adaptation maîtrisée ou une crise brutale et incontrôlée suite à la pétroapocalypse. La Biosphère pense que la décroissance n’est pas l’idéalisation du passé, mais un simple constat de réalité : la croissance dans un monde fini constituait l’impossible rêve de la classe globale, celle qui possède personnellement une automobile. »
J’écrivais sur mon blog le 14 juillet 2005 : « Le bimestriel La décroissance est le nouveau périodique de Casseurs de pub, il résume tout ce que la Biosphère voudrait que les humains pensent. Dans son numéro de juin-juillet 2005, le grand titre nous engage à « Vivre après le pétrole », avec dessin de la bagnole transformée en poulailler. Il nous montre tout ce qu’il faut savoir sur la marche des décroissants pour supprimer le Grand prix de France de F1, il fait une biographie du père de la décroissance, le mahatma Gandhi et indique qu’il faut aussi décroître l’armée. Une page entière sur le pic du pétrole (nous y sommes presque), c’est-à-dire le commencement de la fin, et un encadré sur la saloperie que nous n’achèterons pas, ce mois-ci la tondeuse à gazon. A chaque fois un petit reportage sur les éco-citoyens qui pratiquent la simplicité volontaire : on y voit Elke et Pascal vivre sans voiture et sans télé, ce qui donne le temps de s’occuper d’un jardin, mais qui vivent aussi dans le péché parce qu’ils ont un ordinateur et pratiquent la sexualité libre. Les humains sont faits pour penser et pour vivre ce qu’ils pensent, mais la porte d’un avenir durable est très étroite quand on touche à la Biosphère ; elle se referme aujourd’hui de plus en plus rapidement avec l’expansion de la société thermo-industrielle. Seule la généralisation de la décroissance ouvre à nouveau la porte de l’avenir. »
Le 15 octobre 2005, je signale sur mon blog l’apparition d’un Parti pour la décroissance ? : « Suite aux Etats-généraux de la décroissance équitable qui vient de se dérouler à Lyon en rassemblant plus de 300 personnes, le « Parti pour la décroissance » annonce sa naissance. Le mouvement pour la décroissance prend de l'ampleur dans la société et il se concentre maintenant sur son indispensable articulation politique. Au moment où nous atteignons le pic d'extraction du pétrole, le choix ne se pose pas entre croissance et décroissance mais entre récession ou décroissance, c'est-à-dire entre le chaos ou une décroissance soutenable et équitable préservant et renforçant la démocratie et l'humanisme. Le Parti pour la décroissance s'attelle dès aujourd'hui à présenter des candidats dans toutes les circonscriptions françaises en 2007 pour présenter la décroissance à l'ensemble de nos concitoyens. » Alors que le Parti pour la décroissance appelle toutes celles et tous ceux qui souhaitent que la décroissance soit portée dans le champ politique à le rejoindre, j’ai une autre démarche, l’entrisme. Je veux modifier la ligne politique du parti socialiste ! J'ai juste réussi à faire passer par consensus une motion sur la simplicité volontaire lors d’une réunion à Paris le 29 mai 2010 : « Le Pôle écologique du PS invite ses membres et l’ensemble des citoyens à faire preuve le plus possible dans leur vie de sobriété énergétique et d’autolimitation pour construire ensemble une société plus conviviale et plus égalitaire. » Le PS de François Hollande reste croissanciste en 2012, ignorant de la question écologique qu’il sous-traite aux écolos.
Je reproduisais sur mon site cette comparaison frappante : « Imaginons une France où il n’y aurait plus que 200 000 chômeurs, où la criminalité serait réduite des quatre cinquièmes, les hospitalisations pour troubles psychiatriques des deux tiers, les suicides de jeunes divisés par deux et où il y aurait une absence quasi totale de cannabis, de cocaïne et d’héroïne : ce serait un merveilleux progrès s’il ne s’était déjà accompli dans le passé. Les chiffres ci-dessus sont en effet propres à la France des années 1960. Aujourd’hui tous les indices convergent pour montrer que, plus les Français courent après la croissance économique, plus le bien-être de la population diminue ! Il y a un os quelques part… On croirait que les humains se sont réunis en société non pour assurer leur bonheur, mais pour produire à meilleur marché des voitures de métal, des tissus artificiels et du chômage. »
Je fais la chasse aux croissancistes dès que je peux, et souvent c’est pas triste. Ainsi cette passe d’arme avec Eric Le Boucher, à l’époque chroniqueur au MONDE, devenu depuis directeur de la rédaction du magazine économique Enjeux-Les Echos.
- Au chroniqueur au journal LE MONDE (2 janvier 2008) : « Bonjour Monsieur Le Boucher. Ce n’est pas parce que je suis un ayatollah vert que je ne sais pas reconnaître de vrais arguments. Dans votre chronique dite « du beurre », vous dites qu’ « il n’y a pas de problème de pouvoir d’achat, car en fait il y a trop de pouvoir d’achat ». Vous avez parfaitement raison. Par contre l’autre aspect de votre raisonnement, qui repose sur une hausse de la production, me paraît non fondé. Vous restez un fervent adepte de la croissance économique dans un monde fini, croissance relancée par une politique libérale plutôt que par une pratique keynésienne. Il ne me semble pas que le résultat va différer, cela entraînera de la même façon une détérioration accentuée de notre planète. La situation est d’autant plus critique que, comme vous le soulignez, beaucoup de travailleurs souffrent. J’ajoute que ce n’est pas seulement en France que des personnes souffrent, et que ceux qui vont le plus souffrir sont ceux dont on est en train de détériorer le milieu environnant avec notre croissance quantitative. Cordialement,… »
- Réponse d’Eric Le Boucher : « Je ne partage pas votre avis. La croissance est la seule façon de résoudre le problème social et elle peut être propre. Mais merci de me lire. »
- La seule réponse possible, envoyée en retour : « Monsieur Le Boucher, vous avez tout à fait raison. D'ailleurs la Terre est plate comme vous l'avez déjà remarqué. Merci de m'avoir répondu, amicalement. »
Le supplément Développement durable (LE MONDE du 3 avril 2008) me permet de comparer l’argumentaire d’Eric Le Boucher et d’Hervé Kempf. Je leur envoie mon analyse par courrier électronique :
« Eric pense en page II que « l’écologie n’est pas une contrainte négative qui force à ralentir la croissance et à consommer moins, mais une chance positive de trouver des innovations qui dynamisent la croissance ». Hervé dit en page III que « la croissance a beau être invoquée tous les jours comme le reflet de la santé économique du pays, elle n’en est pas moins contestée par nombre d’économistes et de politiques ». Qui raisonne juste ?
Eric est transparent, il se retranche derrière les milieux économiques pour qui l’écologie peut être une source fabuleuse de profits. Il défend le libéralisme et la croissance parce qu’il défend le capitalisme et ses privilégiés. Les biens autrefois libres car offerts gratuitement, l’air, l’eau, la température, les bienfaits de la planète devront être dorénavant payés puisque telle est la loi du marché qui a provoqué la rareté actuelle. De son côté Hervé démontre que la mesure de la croissance par le PIB est un leurre. Le produit intérieur brut n’enregistre pas le coût de la dégradation de l’environnement, il n’entraîne pas automatiquement une diminution du chômage, il ne se traduit pas par une élévation du bonheur. Dans un autre article du même supplément, Hervé nous indique que la meilleure mesure écologique consiste à réduire les inégalités.
Nous pouvons déduire de cette comparaison qu’Eric est un conservateur au service du capital, Hervé un progressiste au service d’une humanité réconciliée avec la Biosphère. Le long terme donnera raison à Hervé, il est préférable pour l’avenir des générations futures qu’Eric change d’avis le plus rapidement possible. »
Commentaire électronique d’Hervé Kempf : « On ne saurait mieux lire. Merci de votre attention. Hervé K.
Commentaire électronique d’Eric Le Boucher : « Vive la pensée simple, les noirs et les blancs ! ah ah ah !!! »
Bien entendu, je n’ai pas d’analyse manichéenne, toutes les nuances de gris imprègnent la réalité. Mais il est vrai que trop d’analystes dans les médias s’expriment au nom du court terme et des intérêts immédiats, pas au nom des acteurs absents lors de nos délibérations : les générations futures, les habitants des autres territoires, les non-humains. Pour construire un avenir meilleur, il nous faut changer à la fois notre vision du progrès économique et du progrès technique.
Pour lire la suite, en choisissant son propre chemin :
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde