Ma philosophie : l'écologie profonde
Il me semble que nous devons porter en nous une vision fondamentale de ce à quoi nous croyons. Contre le marxisme et le maoïsme qui imprégnait mes camarades de jeunesse, j’ai choisi une voie marginale, celle de l’objection de conscience, donc un simple moyen, la non-violence. Cela ne constituait pas une doctrine globale qui puisse rayonner sur tous les engagements de mon existence.
Un jour, dans la revue « L'écologiste » n° 12 de 2004, j'ai découvert l'écologie profonde (deep ecology) qui avait été théorisée par le philosophe norvégien Arne NAESS dès 1973. Dans son livre Ecologie, communauté et style de vie, Naess expose les fondements d’une nouvelle ontologie (étude de l’être en soi) qui rend l’humanité inséparable de la nature. Si nous saisissons cette ontologie, alors nous ne pourrons plus endommager gravement la nature, sans nuire en même temps à une partie de nous-mêmes. Formidable, j’avais trouvé ma voie.
-----------------------------------------------------------------------------------------------
J’avais déjà commencé à percevoir dans les années 1970, alors que j’étais encore en fac, que l’individu est indissociable de son environnement global, humain et non humain. Je crois que la première approche de ce sentiment a eu lieu le 31 décembre 1970 quand j’ai écrit dans mes notules : « J’admire mon corps, les muscles de ma main, cette tendresse de la peau, la minutie de ses courbes, l’ordonnance de ses volumes, j’admire les cellules, leur imagination débridée de formes fantasques et de fonctions éclatées, mais j’admire encore plus le fait que cette multiplicité renferme en elle l’unicité de la matière, noyau et électrons, nous rattache à l’univers et à l’infini, nous rapproche de toute chose. » Sans le savoir encore, je me dirigeais vers la fin de mon anthropocentrisme, vers le début de mon sentiment d’unité avec l’univers.
Le 1er février 1971, j’ai recopié cette notule : « Comment, écrit Tchouang-Tseu, savons-nous si le moi et ce que nous appelons le moi ? Jadis moi, Tchouang-Tseu, je rêvai que j’étais un papillon, un papillon qui voltigeait, et je me sentais heureux. Je ne savais pas que j’étais Tchouang-Tseu. Soudain je m’éveillai, et je fus moi-même, le vrai Tchouang-Tseu. Et je ne savais plus si j’étais Tchouang-Tseu rêvant qu’il était un papillon, ou un papillon rêvant qu’il était Tchouang-Tseu. » Je ne sais plus où j’avais pris ces paroles fortes, je ne suis pas bouddhiste, mais il me semble toujours important de savoir éteindre la soif du moi. L’écologie profonde a correspondu à mon attente.
Arne NAESS a proposé avec George Sessions une plate-forme de l'écologie profonde en huit points clés que j’approuve totalement. Voici leur contenu, j’ai rajouté les trois titres pour y mettre une cohérence :
I) les principes
1) le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains.
2) la richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de ces valeurs et sont également des valeurs en elles-mêmes.
3) sauf pour la satisfaction de leurs besoins vitaux, les hommes n’ont pas le droit de réduire cette richesse et cette diversité.
II) le problème
4) l’interférence actuelle des hommes avec le monde non-humain est excessive et la situation s’aggrave rapidement.
III) les solutions
5) l’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution.
6) les politiques doivent changer, elles doivent affecter les structures économiques, techniques et idéologiques. La situation qui résultera du changement sera profondément différente de la situation actuelle.
7) le principal changement idéologique consistera en la valorisation de la qualité de la vie plutôt que de toujours promouvoir un niveau de vie supérieur.
8) ceux qui adhèrent aux points précités ont obligation de tenter de mettre en place directement ou indirectement ces changements nécessaires.
Paradoxalement, j’ai d’abord appris à mieux connaître l’écologie profonde par le plus féroce de ses contempteurs, Luc Ferry, dont le livre « Le nouvel ordre écologique » était sorti en 1992. C’était la seule approche un peu précise à l’époque. Luc Ferry pensait sans doute amoindrir la thèse de l’écologisme radical avec un procédé constant, celui d’exagérer les propos de cette pensée pour la disqualifier à partir de cette exagération même : « Après l’émancipation des Noirs, des femmes et des bêtes serait venu le temps des arbres et des pierres ». L’extrémisme de Ferry a éveillé mon radicalisme !
Pour l’écologisme radical vu par Ferry, alors que les femmes ne sont plus considérées dans le monde moderne comme la propriété des hommes, il n’y a toujours pas d’éthique traitant de la terre ainsi que des animaux et des plantes : ces éléments de la Biosphère sont encore considérés comme des esclaves. Il faut alors prendre la nature au sérieux et la considérer comme douée d’une valeur intrinsèque qui force le respect. Cette conversion suppose une véritable déconstruction du préjugé anthropocentrique qui conduit à considérer l’univers comme le simple théâtre de nos actions. Selon le principe de l’égalitarisme biosphérique, il s’agit de protéger le tout avant les parties. Le holisme, thèse philosophique selon laquelle la totalité est moralement supérieure aux parties, est donc assumée de façon tout à fait explicite par l’écologie profonde, et s’oppose complètement à l’individualisme propre à la modernité occidentale. L’écosphère est la réalité dont les humains ne sont qu’une partie, ils sont nichés en elle et totalement dépendants d’elle. Mais le principe de liberté donne aux humains la possibilité de façonner le monde conformément à leur volonté, d’où la destruction massive de l’environnement que seule la reconnaissance des droits et de la valeur intrinsèque de la nature pourrait contrecarrer.
Contre cette nouvelle approche, Ferry veut garder une position qu’il appelle humaniste : il ne faut respecter la terre qu’en fonction des fins de l’homme, en ne lui laissant que le statut d’environnement (ce qui est autour). Selon Ferry, l’écologisme réformiste est acceptable, l’autre qui se voudrait révolutionnaire discutable. Mais il admet aussi que l’écologie profonde présente une cohérence systématique assez impressionnante pour séduire nombre de tous les déçus par le vide politique et la fin des utopies. Pour lui, ce mouvement de pensée pourrait devenir une puissance moralisatrice de première grandeur pour peu qu’une dose de contrôle social, même relativement faible, lui assure un réel pouvoir sur les individus..Ferry avoue en fin de livre que l’écologie profonde pose de vraies questions : « Personne ne fera croire à l’opinion publique que l’écologisme, si radical soit-il, est plus dangereux que les dizaines de Tchernobyl qui nous menacent. Et l’on pourra disserter tant qu’on voudra sur l’inanité des thèses anti-modernes agités par les nouveaux intégristes, il n’en reste pas moins insensé d’adopter aujourd’hui encore l’attitude libérale du « laisser faire, laisser passer ». Il faut, dit-il, admettre que les écosystèmes sont mieux agencés par eux-mêmes alors que la plupart des constructions humaines s’avèrent le plus souvent si fâcheuses qu’elles requièrent la plus grande prudence. Il faudrait donc élaborer une théorie des devoirs envers la nature.
De toute façon on ne peut qu’être en accord avec Luc Ferry quand il constate que toute valorisation, y compris celle de la nature, est le fait des humains et que, par conséquent, toute éthique normative est en quelque sorte humaniste et anthropocentriste. Mais c’est là enfoncer des portes ouvertes. Ferry m’avait révélé une autre façon de philosopher, j’ai depuis lors multiplié mes lectures pour approfondir ce qu’écologie profonde veut dire.
Dans « Thinking Like a Mountain », John Seed raconte : « En 1979, je vivais dans une communauté située aux abords de la forêt. Alors que l'État s'apprêtait à abattre les arbres, des voisins ont organisé une manifestation, la première du genre en Australie, et m'ont appelé à l'aide. Je ne me sentais pas particulièrement concerné par la situation. Durant la manifestation cependant, j'ai tout à coup senti que j'agissais non seulement pour moi-même, en tant qu'humain, mais aussi au nom de la forêt dont je faisais partie intégrante. Celle-ci se défendait à travers moi, je me suis senti appelé à parler en son nom. En devenant profondément conscient de mon lien avec la forêt, je me suis éveillé à toute la Terre. J'étais renversé par cette révélation. Encore aujourd'hui, je n'arrive pas à expliquer ce qui s'est passé, mon expérience demeure pour ainsi dire miraculeuse. À partir de là, ma vie a pris une toute nouvelle direction… Humblement, nous pouvons nous rappeler que nous ne sommes pas le pilote ou le contrôleur de la Biosphère, mais plutôt un être parmi les dix millions d'espèces différentes sur la Terre. On peut alors prendre conscience de toute la beauté de la nature, on peut trouver l'inspiration et se sentir guidés dans notre action. » John Seed pensait à l’inverse de Luc Ferry.
Approfondissant mes recherches, j'ai aussi rencontré les écrits d'Aldo Leopold (mort en 1948) avec l’Almanach d'un comté des sables (publié en 1949 à titre posthume). J’ai apprécié sa pensée : « Il n’existe pas à ce jour d’éthique chargée de définir les relations de l’homme à la terre, ni aux animaux, ni aux plantes qui vivent dessus. Une éthique (écologiquement parlant) est une limite imposée à la liberté d’agir dans la lutte pour l’existence. Il faut valoriser une éthique de la terre et montrer sa conviction quant à la responsabilité individuelle face à la santé de la terre, c’est-à-dire sa capacité à se renouveler elle-même… La montagne qu’il faut déplacer pour libérer le processus vers une éthique de la terre, c’est tout simplement ceci : cessez de penser au bon usage de la terre comme à un problème exclusivement économique. Une chose est juste quand elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique, elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse. » Aldo Leopold pensait à l’inverse de Luc Ferry.
Je voyais d’ailleurs tout autour de moi ce que les humains avaient fait de ma planète, un immense dépotoir visible ou invisible. Je commençais à ressentir de plus en plus profondément que les frontières de ma communauté n'étaient pas délimitées par les membres de ma famille ou les frontières françaises, ni même par ma citoyenneté européenne ou mon petit côté cosmopolite. J'étais membre à part entière d'une Biosphère qui inclue le sol, l'eau, les plantes et les animaux, en termes savants le biotope et la biocénose, l’ensemble des écosystèmes. J'ai pris conscience que si j'avais des droits et des devoirs dans la communauté humaine, j'avais aussi des obligations envers tout ce qui permettait à la vie (toute la vie, celle des humains et des non-humains) de durer sur cette Terre le plus longtemps possible. Je n'étais plus anthropocentré ni même sans doute « humaniste », le tout devenait pour moi plus important que les parties quand le tout était mis en péril par les parties : puisque les humains avaient déclaré la guerre à la Nature, des humains devaient se lever et s'opposer à cette folie humaine, notre propre folie interne. Cette démarche a été longue et difficile : on m'avait toujours répété que mes obligations morales, en tant que membre d'une communauté interdépendante, étaient limitées aux seuls rapports humains, on m'empêchait de prendre conscience de mon appartenance à la Biosphère.
Il m’est devenu évident qu’il fallait représenter une Biosphère sans représentants officiels, comme d’autres ont représenté les intérêts des femmes, des noirs ou des indiens quand ces êtres humains étaient persécutés. Il me fallait alors oublier la petitesse d'une solidarité limitée à une ethnie ou même à l'espèce humaine actuelle. Car il y aussi le respect des non-humains, il y a le nécessaire maintien de l'équilibre des écosystèmes ; la vie est un tout, le durable ne consiste pas à se limiter au court terme et à ses propres enfants. Mon état d’esprit s’est progressivement modifié, j'étais « born again », certainement pas « né à nouveau » dans un cadre religieux, mais tout au contraire révélé à une nouvelle conscience telle que pouvait la vivre autrefois les animistes grâce à leur culture. Pour moi dorénavant, il devenait absolument nécessaire que les humains se détournent d'une affirmation individualiste, égoïste et anthropocentrique pour découvrir le sentiment de la communauté des choses vivantes. La sagesse commande en effet de ne pas se prétendre maître de toutes choses, il faudrait laisser aux écosystèmes suffisamment de ressources propres pour être capables de perdurer. Mais je ne peux obéire à une soi-disant loi de la Nature qui n’existe pas, je ne peux qu'interpréter les conditions de la durabilité. La condition humaine demande, paradoxalement, que l'homme demeure le fondement de cette nouvelle éthique de la Terre ; c'est le cerveau humain, c’est moi, qui décide de ce qui doit être ou non.
En définitive, j'avais beaucoup réfléchi pour en arriver à ce résultat d’évidence : je ne suis rien, juste une infime partie de l'humanité qui s'est répandue quelque peu dans le temps et beaucoup trop dans l'espace terrestre, humanité elle-même infime fraction de la Biosphère, Biosphère à son tour infime élément de l'Univers. Je ne me considère plus au centre, le soleil ne tourne plus autour de la race humaine. Le soleil est d'abord là pour les plantes et pour les herbivores, pour les carnivores et tout le reste de la vie sur cette Terre. Les humains ne sont que des passagers parmi d'autres alors qu'ils se veulent les parasites ultimes qui prennent toute la place au détriment de la faune et de la flore. Il ne s'agit plus de déterminer une liste des espèces à protéger et des territoires à sanctuariser, il me parait au contraire essentiel de redonner à la planète tout entière la liberté de déterminer de façon la plus libre possible son propre équilibre dynamique. Réintroduire l'ours dans les Pyrénées n'est qu'invention humaine, lui laisser ainsi qu'à toutes les autres espèces son espace vital devient une nécessité morale.
Cela présuppose que le poids de l'humanité se fasse de plus en plus léger, ce qui remet en question l'évolution quantitative de la démographie humaine, et pose aussi un problème plus qualitatif, l'empreinte de l'activité humaine sur l'écologie de la planète. L'évolution démographique exponentielle de l'espèce homo sapiens est une terrible remise en question de la sélection naturelle, la généralisation de l'autoroute et du mode de vie qu'elle représente est une atteinte grave aussi bien à la diversité culturelle des sociétés humaines qu'à la diversité biologique. Il nous faut de la décroissance, décroissance démographique, décroissance du niveau de vie des riches, acceptation d’une société conviviale ou pauvreté ne rime pas avec misère matérielle et morale. Il nous faut un engagement personnel de tous. Sans le savoir encore, je devenais un disciple d’Arne Naess.
Contrairement à la confusion que fait Luc Ferry dans son livre, la notion de deep ecology n’est pas américaine, elle a été forgée par le philosophe norvégien Arne Naess en 1976. Mais son livre Ecologie, communauté et style de vie n’a été traduit en français qu’en 2008 : aussitôt paru, aussitôt acheté ! Arne a construit cette notion de deep ecology pour créer une différence théorique et politique avec une position écologique qu’il appelle « superficielle » (shallow ecology). Par-là, il opposait au type d’action « luttant contre la pollution et l’épuisement des ressources » le fait de repenser radicalement notre mode de vie, notre mode de consommation comme notre conception du monde – politiques, morales et ontologiques. Cette distinction est proche de celle que l’on peut trouver aujourd’hui chez les intellectuels qui s’attachent à distinguer l’écologie politique de ce qu’ils appellent le « capitalisme vert », c’est-à-dire une façon de prendre en compte la nouvelle donne écologique à l’intérieur du capitalisme, plutôt que d’y voir une nouvelle invitation à le combattre. La distinction faite par Naess est donc politique et porte principalement sur la différence que crée le fait d’accepter ou non de changer nos modes de vie comme notre manière de pensée. Cette distinction peut être considérée comme un opérateur posant la question de l’articulation de la morale et de l’économie. En ce sens, comme en bien d’autres, Naess est un précurseur. Il a proposé cette distinction écologie profonde/superficielle en 1973, en pensant déjà aux récupérations dont l’écologie serait de plus en plus l’objet dans le futur. J’ai aussi trouvé formateur les entretiens d’Arne Naess avec David Rothenberg (1992, traduits en 2009, Wildproject). Depuis je n’ai de cesse de combattre les énormes contre-sens que font la plupart des auteurs français sur l’écologie profonde.
Voici par exemple un échange que j’ai eu avec l’auteur de La tentation de l’île de Pâques (2010).
Le texte de Jean Aubin : « La disparition prématurée de l’espèce humaine n’est pas totalement exclue. Tant mieux répondent certains tenants de l’écologie profonde… Pour ceux-ci, l’homme, superprédateur, est devenu une espèce malfaisante. Le mieux qui puisse arriver est qu’elle disparaisse pour laisser vivre la planète. Cette attitude de haine contre l’homme s’oppose totalement à notre regard. Nous partons ici d’un a priori humaniste… » (page 27)
- Notre analyse, envoyée à Jean Aubin : L’expression « certains tenants » (de l’écologie profonde) permet de pouvoir relayer n’importe quelle rumeur, mais ce n’est pas très moral vis à vis de ceux qui savent vraiment ce que deep ecology veut dire. Jean Aubin reprend des accusations qui se retrouvent chez des gens comme Luc Ferry ou Claude Allègre dans l’intention de nuire.
Le terme d’écologie profonde a été introduit par Arne Naess dans un article de 1973 « The shallow and the deep, long-range ecology movements ». On peut maintenant lire Arne Naess en langue française (éditions MF et wildproject). Cette philosophie repose sur l’épanouissement de Soi, ce n’est pas un anti-humanisme mais au contraire un humanisme élargi. Loin de vouloir la disparition de l’espèce humaine, elle repose sur l’art de débattre et convaincre selon les méthodes gandhienne de la non violence.
- Réponse de Jean AUBIN à cette analyse : « Reproche mérité ! L'expression, "certains tenants" permettait, me semblait-il, d'apporter une distinction suffisante, mais cela ne semble pas être le cas : ma phrase reste maladroite et peut sembler jeter le discrédit sur ce courant de pensée. Peut-être aurais-je dû écrire certains déviants, ou mieux, ne rien écrire du tout sur un courant de pensée que je connais trop mal pour en parler... ça m'apprendra à ne pas faire le malin en parlant de ce qu'on connaît mal. Je vais essayer de trouver le temps de me familiariser davantage avec l'écologie profonde… »
Les moyens de l’écologie profonde reposent sur la non-violence, ce qui correspond à mon engagement constant d’objecteur de conscience. Arne Naess, dans Ecologie, communauté et style de vie (p.63 et suivante, éditions MF 2008), est clair sur cette question : « L’expérience accumulée ces dernières années indique que le point de vue écologique avance grâce à une communication politique non-violente qui mobilise à la racine. Historiquement, les voies de la non-violence sont étroitement associées aux philosophies de la totalité et de l’unicité. Maximiser le contact avec votre opposant est une norme centrale de l’approche gandhienne. Plus votre opposant comprend votre conduite, moins vous aurez de risques qu’il fasse usage de la violence. Exemple, nous ne devons pas émettre de slogan général contre la technologie. Les technologies doivent être essentiellement légères ou « proches » ; les choses sont faites dans le voisinage, ou du moins de régions aussi proches que possibles. Vous gagnez au bout du compte quand vous ralliez votre opposant à votre cas et que vous en faites un allié. La violence à court terme contredit la réduction universelle à long terme de la violence. »
Je pense que le XXIe siècle sera le moment où nous abandonnerons notre anthropocentrisme actuel pour ce postulat philosophique à la base de l’écologie profonde : « Il y a égalitarisme biosphèrique de principe. Les ressources du monde ne sont pas seulement des ressources pour les êtres humains. Légalement, nous pouvons posséder une forêt, mais si nous détruisons les conditions de vie en forêt, nous transgressons une forme de l’égalité. L’égalité de droit à vivre et à s’épanouir est un axiome éthique intuitivement évident. Sa restriction aux humains est un anthropocentrisme aux effets négatifs sur la qualité de vie des humains eux-mêmes. Cette qualité dépend en partie de la satisfaction que nous recevons de notre étroite association avec les autres formes de vie. Tenter d’ignorer notre dépendance, établir avec la nature un rôle de maître à esclave, a contribué à l’aliénation de l’homme lui-même. » (Ecologie, communauté et style de vie d’Arne Naess)
Alain Hervé, cet historique de l’écologie, m’a tenu le même discours en 2011 sans même connaître le terme écologie profonde : « L’écologie n’est pas une prise de position religieuse ou politique, c’est admettre que nous sommes de simples éléments de la nature, c’est une nouvelle philosophie. Il nous faut abandonner notre anthropocentrisme pour ressentir profondément notre appartenance à la communauté des vivants. L’humanisme qui donne la priorité absolue à l’homme ne me satisfait absolument pas. L’humanisme devrait consister à nous faire accéder à des stades supérieurs d’intelligence de la coévolution. Sinon nous devenons des destructeurs terrifiants, nous enfantons beaucoup plus de Hitler que de Mozart. On fait des parcs naturels, ce sont des alibis pour répandre la merde autour. L’homme a été doté d’une capacité de transformation trop brutale de l’environnement. Nous sommes devenus des dictateurs assassins du vivant. Nous échappons aux régulations naturelles comme les épidémies. Pasteur a conjuré la mortalité infantile naturelle. Il ne savait pas qu’il contribuait ainsi à rompre l’équilibre démographique. Maintenant le milliard d’hommes qui naissent et meurent affamés n’accède plus vraiment à l’état humain, il en reste à un état infra-animal... »
Que faire ? A mon avis, désacraliser la mort !
Pour lire la suite, au choix :
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde