Franck Courchamp est écologue, directeur de recherche au CNRS. Il justifie amplement dans sa présentation de l’écologie la devise de la série de livres pour les nuls, « Agir, c’est d’abord comprendre ». J’ai sélectionné deux thèmes, l’écologie profonde, assez bien traitée, et la démographie.
Sur ce dernier point, l’auteur relaye à juste titre les enseignements de Malthus, mais il ne montre pas suffisamment que les humains, non limités par les ajustements naturels qui pèsent sur la taille de la population des autres espèces, doivent faire nécessairement un effort de limitation volontaire de leur fécondité.
1/2) l’écologie profonde pour les nuls
1.1) La place et le rôle de l’homme dans la nature (p.39)
Les hommes ont toujours nourri des réflexions philosophiques. Leur place, voire leur rôle, dans la nature a naturellement fait partie du cortège de réflexions de toute civilisation et de toute époque. Du fait d’une domination technique sans précédent, ce domaine de réflexion a cependant presque disparu au XXe siècle. Les questionnements sur les rapports à la nature sont récemment réapparus alors que les crises environnementales nous rappellent que tout ce qui touche à notre environnement nous touche forcément.
L’éthique environnementale est une branche de l’éthique qui cherche à préciser le rôle de l’homme et de ses activités dans la biosphère et les spécificités du lien entre la nature et l’espèce humaine. En parallèle avec les notions de rejet de l’anthropocentrisme systématique, s’est développé une éthique de l’environnement, liée à la prise en considération de la valeur propre de toutes les espèces vivantes, seules ou au sein d’écosystèmes.
1.2) L’écologie profonde (p.41)
A la différence du préservationnisme, qui vise à protéger les espèces et les habitats en fonction de leur valeur pour l’homme, l’écocentrisme met l’accent sur l’interconnexion des formes de vie au sein d’un tout complexe et harmonieux. Poussant cette logique à l’extrême, l’écologie profonde considère que les espèces et leurs habitats, en plus de leur valeur pour l’homme et de leur valeur en tant qu’éléments essentiels d’un tout, ont une valeur dite « intrinsèque », c’est-à-dire inhérente, par elles-mêmes et pour elles-mêmes. Il devient alors essentiel de protéger chaque espèce par principe, indépendamment de ce qu’elle peut apporter à l’homme, ou au reste de l’écosystème.
Ce courant implique une nouvelle conception de tout notre système en la basant sur des valeurs et des méthodes qui préservent réellement la diversité écologique et culturelle. Plus que de simples économies d’énergie ou des gestes « verts » ponctuels (l’écologie superficielle), l’écologie profonde prône un changement radical vers une société qui privilégie la qualité de la vie à la surenchère matérielle. Arrêter le « plus » pour penser au « mieux ». S’ils admettent l’importance de l’homme, ce n’est qu’en tant qu’espèce, qu’ils ne placent plus au centre du monde, mais en son sein, parmi les autres espèces vivantes.
Certains extrémistes bruyants se sont réclamés de ce courant sans forcément en comprendre pleinement les principes. Ces environnementalistes irrationnels aux idées parfois abominables ne sont pas reconnus par ceux qui soutiennent l’écologie profonde. Cependant, les opposants aux pensées écologistes s’en servent pour discréditer l’ensemble des mouvances et justifier la poursuite des exploitations irraisonnées des ressources naturelles et des dégradations incontrôlées de l’environnement.
1.3) La valeur intrinsèque (p.145)
De nombreuses religions confèrent de la valeur aux espèces vivantes. C’est en général le cas lorsqu’elles sont supposées avoir été créées par une divinité. Certaines cultures octroient de la valeur aux espèces vivantes par simple respect de la vie : du moustique à l’éléphant, la vie est sacrée aux yeux des Indiens, même lorsque l’espèce ne leur est pas directement utile.
Dans nos sociétés, le type de valeur le plus couramment évoqué pour la protection de la biodiversité est la bio-empathie. En clair, les espèces ont de la valeur parce que nous y sommes émotionnellement attachés, même si elles ne sont pas directement utiles. Notons bien que ce type d’argument, s’il est le plus souvent avancé, est également le plus contestable. Avec ce type d’argument, un panda vaut plus qu’un papillon coloré, lui-même valant plus qu’une vilaine araignée noire, elle-même valant plus qu’une souche de champignons microscopiques. Si ce type de valeur peut être invoqué pour justifier des mesures de protection de certaines espèces charismatiques ou de sites naturels connus, il ne peut être retenu que comme anecdotique, subjectif et non rationnel. S’il permet de bien faire comprendre au public que la biodiversité a de la valeur, c’est clairement le type de valeur le moins important, et qui mérite le moins d’être mis en avant.
La valeur intrinsèque est la valeur de la biodiversité par elle-même et pour elle-même. Les organismes, les espèces et les écosystèmes ont une valeur qui leur est propre, indépendamment de l’utilité qu’elle peut avoir pour l’homme. C’est ce type de valeur qui est souvent invoqué en premier lieu pour protéger la biodiversité. Rappelons que les estimations économiques (marchandes) ne prennent pas en compte la valeur intrinsèque des espèces et de leur environnement, mais uniquement leur valeur utilitaire, instrumentale. Cette valeur utilitaire suffit déjà à démontrer la nécessité de protéger les écosystèmes et la biodiversité qu’ils abritent.
Parce qu’elle est la condition nécessaire à la vie sur Terre, la valeur de la biodiversité est infinie. Cependant nous vivons actuellement une phase de diminution particulièrement inquiétante de la biodiversité.
2/2) la démographie pour les nuls
2.1) la croissance de la population humaine (p.33)
Les problèmes environnementaux actuels viennent de la conjonction de trois facteurs : une croissance démographique explosive, les ressources naturelles en quantité limitée et un mode de gestion inadéquat.
La Terre compte aujourd’hui près de 6,7 milliards d’humains. C’est tout simplement… 6 milliards de plus en un siècle (ndlr : population mondiale en 1900 : 1,616 milliards). Aujourd’hui la population met moins de trente-cinq ans pour doubler ! En 1968, Paul Ehrlich tire la sonnette d’alarme en publiant La Bombe P (P pour population). Dans son introduction, il illustre l’absurdité d’une situation : même si on arrêtait immédiatement d’augmenter notre vitesse de croissance, la population humaine atteindrait en 900 ans… 60 millions de milliards. Cela ferait couvrir toute la Terre (terres et mers) à une densité de 100 habitants par mètres carrés. Absurde ? Oui. Et c’est d’ailleurs là son message. Il rejoint l’économiste Thomas Malthus qui deux siècles avant lui avait prévenu : si l’homme ne contrôle pas lui-même sa croissance démographique, celle-ci sera contrôlée naturellement, mais plus brutalement, par des famines, des épidémies ou des guerres.
Le problème que soulignent Malthus et Ehrlich est que l’homme a besoin de ressources et que les ressources ne sont pas infinies. Et c’est là le deuxième pan du problème actuel : notre planète est une sphère non élastique. Même en augmentant la quantité de ressources que l’on peut exploiter ou produire, cela ne suffira pas à suivre la vitesse de croisière de la population humaine. Malthus expliquait que la croissance démographique suit naturellement une croissance exponentielle, ou géométrique (elle augmente tellement vite qu’on peut la compter en doublant : 1, 2, 4, 8, 16, 32…) alors que dans le même temps, l’exploitation de ressources ne peut, sur le long terme, dépasser une croissance arithmétique (1, 2, 3, 4, 5, 6). Il s’ensuit qu’inévitablement, à un moment donné, la population humaine dépassera les ressources dont elle dispose. En d’autres termes, plus il y a de fous, moins il y a de riz. Malthus conclut à l’inévitabilité des catastrophes démographiques si les populations ne sont pas régulées de manière préventive. C’est ce qu’ont tenté de faire les Chinois. Cela ne les a pas empêchés de dépasser le milliard deux cent millions, mais cela a tout de même mis un frein à la vitesse de cette croissance.
Même en considérant des bonds en avant technologiques, comme celui de la « révolution verte », les ressources n’augmenteront jamais exponentiellement. Sur la base du repas moyen d’un français, on pourrait cultiver en bio de quoi nourrir 48 millions d’individus en France sur la surface cultivée actuelle (p.250).
2.2) la croissance des espèces (p.67)
Le potentiel de croissance de certaines espèces peut faire réfléchir. Certaines espèces ont ainsi le potentiel de couvrir la terre de leurs légions en un temps relativement court. Calculez donc : à raison de quatre à sept portées par an et de dix petits en moyenne par portée, chaque femelle rat produit une soixantaine de bébés tous les ans. Avec une maturité sexuelle à six semaines, chaque petit rat peut rapidement rejoindre sa mère dans la production frénétique de nouveaux petits rats. On estime ainsi qu’un couple de rats a le potentiel de produire, directement ou avec ses descendants, près de 450 rat en un an. Si rien n’est fait pour les arrêter, ces joyeux rongeurs peuvent approcher le chiffre colossal de 5 milliards de rats en seulement quatre ans pour une seule femelle.
Alors comment se fait-il que la Terre ne soit pas une immense forêt grouillante de rats ? Si l’on y réfléchit, la taille des populations des espèces ne change pas beaucoup au fil des ans : il y a probablement autant de rats maintenant qu’il y avait cinq cents ans. Il y a deux réponses à cette différence entre la croissance potentielle d’une population et sa croissance réelle. La première est celle de la chaîne trophique : chaque animal ou végétal est la proie d’une multitude d’autres qui empêchent un accroissement excessif de leurs populations. La seconde est celle de la compétition entre les individus d’une même population : la compétition intra spécifique (entre les individus d’une même espèce).
La croissance d’une population finit par ralentir pour finalement atteindre une taille de population maximale, qu’on appelle la capacité limite du milieu. Ce terme est explicite : au-delà de cette taille maximale, le milieu n’a plus la capacité de supporter des individus supplémentaires, et ceux-ci, par manque de ressources, se reproduisent moins et survivent moins bien, ce qui ramène la population à des niveaux plus raisonnables (pour le milieu). Plus la densité est forte, plus la survie et la reproduction sont faibles. On appelle cette relation la dépendance à la densité. Lorsque des organismes ont besoin d’un certain nombre de facteurs pour se multiplier dans un milieu, la quantité maximale de ces organismes sera dictée par le facteur limitant. C’est le facteur qui permet de supporter le moins d’individus, le maillon faible. Si la quantité d’azote du milieu permet de faire pousser cent cactus par hectare, mais que la quantité de souffre ne peut en faire pousser que cinquante, alors c’est le soufre qui limite la croissance des cactus.
2.3) les extinctions d’espèces (p.153)
L’impact de l’homme a grandi proportionnellement à la taille de ses populations et à son degré de développement technologique. Si l’on devait résumer en chiffres environnementaux une journée typique aujourd’hui, on obtiendrait cela : nous allons perdre 20 000 hectares de forêt tropicale. Nous allons aussi perdre à jamais entre 40 et 100 espèces vivantes. Nous allons en revanche gagner un quart de million de personnes. Et nous allons produire plus de 10 millions de tonnes de déchets et injecter 15 millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère. Chaque jour.
Concernant les ressources, un récent rapport de WWF calcule que l’humanité aura besoin en 2050 tous les ans du double de ce que produit la planète tous les ans. Nous devrons donc puiser dans les réserves. A force d’y puiser, les réserves qui ne seront pas encore épuisée à cette époque ne seront ni nombreuses, ni importantes, que ce soit en énergie fossiles, en eau potable ou en matière premières naturelles. La plupart des experts prédisent que les stocks de poissons commerciaux seront épuisés, des forêts presque totalement détruites et des réserves d’eau douce faibles et polluées. Il n’est pas raisonnable d’espérer que d’hypothétiques découvertes miraculeuses nous mettront à l’abri des effets de l’interaction entre une population une demi-fois plus nombreuse qu’aujourd’hui en 2050 (ndlr : soit 9 milliards d’êtres humains), des ressources rares et chères, des écosystèmes déréglés et un climat moins complaisant. Il est même assez probable que le tout génère des troubles sociaux, voire géopolitiques généralisés.
2050, ce n’est pas si loin. C’est une date que la plupart d’entre nous verront.
(édition First)