Ce numéro contient un dossier sur « Psychologies : peut-on penser et vivre autrement ? ». En voici un résumé :
1/3) Jean-Pierre le Danff, Qu’est-ce que l’écopsychologie
L’écopsychologie, c’est l’étude de la dimension psychologique de la crise écologique. C’est donc l’étude des processus psychiques qui nous lient ou nous séparent du monde non humain, processus dont les dysfonctionnements constituent la cause fondamentale de la crise écologique. En effet le monde extérieur que nous, les humains, façonnons, est largement le reflet de nos mondes intérieurs, qui peuvent être des désirs de domination, d’asservissement et de destruction. C’est pourquoi aussi la crise écologique reste encore une idée plutôt qu’une réalité. Sans compter que les médias, dans le flot interrompu d’informations au quotidien, noient et donc banalisent les problèmes d’environnement, souvent au milieu d’autres informations superficielles ou anecdotiques. En outre la division entre l’homme et la nature a été fortement confortée dans nos esprits par plusieurs siècles de cartésianisme ; phénomène d’ailleurs aggravé par le fait que nombre d’entre nous vivent dans des univers physiquement et culturellement anthropisé par l’urbanisation et de plus en plus virtuels avec l’omniprésence des écrans.
Dans ce contexte, croire que l’information argumentée peut contribuer à changer la perspective du public, à déclencher la prise de conscience et à susciter l’action paraît irréaliste. Lorsque nous ne percevons la nature qu’à travers nos idées, nous ne sentons plus la vie qui l’anime. Nous avons oublié que nous sommes concrètement inter-reliés et dépendants de la nature. D’autant plus que ce monde extérieur que nous détruisons nous affecte en retour : comment être psychiquement équilibré en vivant dans les banlieues désœuvrées de France, ou les bidonvilles horribles de Lagos. Comment pourrait-il y avoir une humanité en bonne santé mentale dans un monde qui ne le serait pas ?
Pour remédier à l’indifférence et au déni, nous pensons qu’il convient de retrouver un contact physique, sensible voire sensuel avec la nature. C’est probablement ce que recherchent les naturalistes et nombre d’adeptes de randonnées dans la nature. Mais nous pensons que les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne peuvent être résolus avec la façon de penser qui les a engendrés.
2/3) Philippe Gruca, Pouvons-nous compter sur une « prise de conscience » ?
Le psychosociologue Leon Festinger a appelé « dissonance cognitive » la situation de notre psyché lorsque se mettent à l’habiter deux croyances contradictoires. De ce sentiment d’inconfort, nous tendons inconsciemment vers un état de stabilité, d’apaisement, vers un état dans lequel cette tension puisse être résolue.
Lors d’une projection du film We Feed the World, une amie m’a dit avoir été particulièrement choquée par les images sur l’élevage des poulets en batterie : « Ecoute, pendant trois semaines, je n’ai plus mangé de viande. Et depuis, bon… j’en remange comme avant. » Sa conscience a refoulé les informations, elle nous fait éviter d’y penser. Un autre choix était possible, intégrer les informations nouvelles et veiller à ce que cette prise de conscience se traduise en actes. Mais la conscience ne joue pas à pile ou face : que valent vingt minutes d’images animées contre des journées, des mois et des années entières au cours desquelles nous nous mouvons dans des espaces qui n’ont que peu à voir avec la désagréable intrusion de l’élevage en batterie. Les vitrines brillent, les rues sont nettoyées, les publicités caressent de promesses, les intérieurs sont bien chauffés. Où est le problème ? Nos sociétés modernes se caractérisent par la maximisation du rapport entre l’internalisation des commodités et l’externalisation des nuisances.
Quant à mon amie, elle travaille depuis chez Total et, aux dernières nouvelles, l’ambiance dans son équipe est sympa et les conditions de travail plus que confortables.
3/3) Renée Lertzman, Comment peut-on être indifférents ?
Le déni viendrait-il d’enjeux trop pénibles à envisager ? Notre psyché a tendance à se protéger, à éviter ce qui est facteur d’angoisse. L’absence d’action n’est donc pas nécessairement un manque d’attention. Il ne s’agit pas tant d’une privation de sentiment mais d’une stratégie pour gérer de mauvaises expériences en s’en protégeant.
De plus l’étude sur les attitudes face au réchauffement climatique a montré que les gens cessent de montrer de l’intérêt pour un problème lorsqu’ils s’aperçoivent qu’il n’existe pas de solutions faciles… et ils estiment sérieux seulement les problèmes pour lesquels ils pensent que l’on peut agir.
Mais les gens changent lorsqu’ils sont soutenus, compris et mis au défi !