Jean- Patrick Costa est à la fois pharmacien spécialisé en pharmacocinétique, c'est à dire dans l'étude des processus d'absorption et d'élimination des médicaments. Avec Pharmaciens Sans Frontières, il a ouvert une mission en Amazonie Equatorienne auprès des Indiens Shuar et Achuar, plus connus en France sous le nom de Jivaros Il est aussi spécialiste du chamanisme. Il imagine une symbiose entre la plante et l'homme : « Cette symbiose va même au-delà du biologique, nous sommes l'air que nous respirons, nous sommes les aliments que nous mangeons, nous sommes le soleil que nous captons tous les jours. On peut penser que le règne végétal qui, historiquement et biologiquement nous a enfanté, se comporte un peu comme une mère pour nous… Inutile de dire que cette hypothèse va a l'encontre de notre rationalité et qu'elle est donc irrecevable pour le monde scientifique. En tout cas, il me plait à la présenter partout où l'on m'invite et notamment dans des congrès scientifiques, ne serait-ce que pour montrer à tous que rien ne doit être figé dans nos têtes... » Voici un extrait de son dernier livre (ecolopr.canalblog.com/archives/2012/11/04/25500694.html) centré sur la comparaison anthropocentrisme/biocentrisme :
Critiquer la technoscience et le progrès est une chose mal vue en Occident. Il est aisé de le comprendre puisqu’il constitue à la fois son culte et sa culture. […]
Ainsi, l’une des causes du progrès me paraît être le concept occidental de lutte contre la nature. Il prend sa source dans l’anthropocentrisme chrétien plaçant l’être humain au-dessus de la Nature, puis se développe autour de l’anthropocentrisme moderne situant l’homme au centre du monde ou à la pointe de l’évolution, selon le cas. Ce choix volontariste l’accable d’une charge phénoménale et l’engage dans une sorte de fuite en avant désespérée et sans fin.
Les peuples de la Nature se sont bien gardés d’une telle erreur. Même si beaucoup d’entre eux se représentent comme étant les uniques hommes sur Terre, ils n’ont jamais osé concevoir qu’ils en étaient les maîtres. […] ils ont à cœur de s’allier à l’œuvre de la Nature qui leur a donné naissance. Selon eux, on ne combat pas celui qui vous a donné la Vie, on se bat pour lui ou mieux encore, on vit en paix avec lui. Par cette analyse, les indiens se réclament du biocentrisme, amour de la Nature.
Le biocentrisme ne se retrouve aujourd’hui en Occident que chez les écologistes radicaux, volontiers qualifiés de…fondamentalistes. Ils sont l’objet d’une avalanche de critiques acerbes lorsqu’ils exposent leurs idées.
La première d’entre elles serait que les écologistes biocentriques seraient contre l’homme et pour la Nature. Une telle critique illustre parfaitement le gouffre qui les sépare de leurs détracteurs car ceux-ci sont aveuglés par leur indéracinable séparation Homme/Nature : ils ne peuvent concevoir que l’homme est Nature et que par conséquent, le biocentrisme ne conduit pas s’attaquer à l’homme, bien au contraire, il est pour l’homme en tant qu’élément d’un ensemble plus vaste.
D’autres détracteurs parlent volontiers d’un étouffement des exceptionnelles qualités de l’homme. Ils perçoivent le biocentrisme comme une dictature de la Nature sur l’homme. Là aussi, ils veulent voir une sorte de nivellement par le bas, une triste histoire de retour à la vie sauvage sous la contrainte des lois naturelles. Comment leur expliquer de manière si transparente que si l’homme se fond à la Nature, il n’a plus de raison de s’en libérer. De ce point de vu-là, il est libre parce qu’il est en accord avec une forme de représentation du monde en paix avec lui-même. Ainsi, il n’est pas nécessaire de protéger la Nature pour que l’homme survive, mais il faut seulement la protéger pour elle-même. En un mot, il suffit de l’aimer. À l’opposé dans la conception anthropocentrique, l’homme s’est inventé des contraintes naturelles extérieures ; il se bat contre sa propre représentation de la Nature.
Enfin, certains détracteurs assimilent le biocentrisme à une forme d’ascétisme. Et là, je puis leur dire que de mon point de vue, ils ont tout à fait raison car le biocentrisme relève d’une pratique spirituelle d’essence holistique . D’ailleurs, à bien des égards, la pensée biocentrique se rapproche des pratiques philosophiques telles que le bouddhisme. La seule différence notable qu’il m’a été donné de discerner est que si les indiens s’enivrent de Nature jusqu’à toucher son essence, les bouddhistes prônent une voie pour s’en détacher et ainsi accéder au Vide, une autre essence présente dans la nature. […]
Depuis sa création jusqu’à nos jours, l’Occident mène un combat contre la Nature sur la base d’un concept centralisateur d’opposition Homme versus Nature. Très certainement espère-t-il un jour accéder à la paix et il a choisi de livrer une succession de batailles chaque fois plus intenses pour éliminer cette dernière en tant qu’entité indépendante. Sa voie est clairement tracée : « intérioriser » la Nature, l’humaniser pour en devenir l’unique possesseur et maître, en un mot, redevenir Un. […] Écologistes au plus profond de leurs âmes, les hommes-nature ne sont ni centrés sur la grandeur de l’homme ni sur la toute-puissance de la Nature. Ils se sont attachés à mettre à profit l’espace laissé libre par la Vie pour tenter d’en extraire leur bonheur. Peut-être est-ce cela le biocentrisme : vivre et non survivre !
Jean-Patrick Costa, L’Homme-Nature ou l’alliance avec l’univers, pp 84-89, 2011, éd. Alphée