Sandrine Delorme n’est pas née végétarienne, elle l’est devenue. Voici quelques extraits recomposés de son livre :
C’est bien rassurant d’être omnivore : on possède une alimentation adaptable en fonction du milieu. Pas comme les félins qui, sans la taurine contenue dans la viande, contractent de graves maladies. Mais selon le rapport Campbell, la santé des humains est très corrélée avec l’alimentation, et le régime végétalien est de loin le meilleur pour la conserver ou tenter de la recouvrer.
Le fil de mon parcours est mon refus de cautionner la souffrance animale. Une association comme L214 se fixe comme objectif premier de dévoiler la réalité des élevages et des abattoirs, et de soulever le débat sur la place accordée aux animaux. Les veaux sont séparés de leur mère afin qu’ils ne nous volent surtout pas notre lait. Avec les laitages, je pense illico au calvaire des veaux, aux vaches hurlant de désespoir pendant des jours, cherchant en vain leur petit. Et puis le miel : pour les abeilles aussi, il ne fait pas bon être exploité par l’homme. Les abeilles se trouvent très affaiblies par la confiscation de leur miel, qui est leur nourriture de base. Afin qu’elles ne meurent pas de faim en hiver, l’apiculteur leur donne une eau sucrée pauvre en nutriments essentiels, responsable d’affaiblissement et d’une vulnérabilité accrue aux maladies dégénératives.
Quant au véganisme, ce n’est qu’une étape logique de plus : si la viande implique un massacre effroyable, d’autres activités commerciales tuent à grande échelle. Je fais donc attention à mes vêtements, cosmétiques, produits ménagers. Sur le site One Voice, on trouve une liste régulièrement mise à jour de produits non testés sur animaux. En fait, je crois que tout végane est profondément écolo. Mon amie Coraline détourne en permanence le regard : des vitrines où s’étalent les cadavres, qu’ils soient chair, poils ou peau, des gens croisés dans la rue vêtus de cadavre – partout du cuir, du cuir, du cuir – des affiches publicitaires qui vantent la viande, le foie gras pour les fêtes, sans compter le cirque Bouglione, avec ses animaux esclaves.
Modifier son alimentation n’est pas si compliquée. En revanche, le regard des Autres, affronter tu devras ! Les syllogismes, tellement éloignés de mon ressenti, me laissaient invariablement coite :
- Si les animaux ont des droits, alors les végétaux en ont aussi, ce qui est absurde ;
- Où faut-il placer la limite ? Si les primates et les rongeurs ont des droits, alors les limaces et les amibes en ont aussi, ce qui est absurde ;
- Les animaux se mangent bien entre eux…
Quel est le principal problème des végétariens ? Les protéines ? Les carences ? Non. Le principal problème, c’est le cri de la carotte. C’est la remarque la plus entendue par un végé au cours de sa vie : et le cri de la carotte, t’as pensé ? Les salades aussi souffrent quand on les arrache ! » A la différence des animaux, les plantes ne possèdent pas de système nerveux. Il est peu plausible qu’elles puissent éprouver des sensations. Mais si vous croyez les plante sensibles, c’est une raison de plus pour arrêter de manger les animaux : pour les nourrir dans les élevages, on doit leur fournir plus de végétaux que vous n’en consommeriez si vous vous nourrissiez directement de plantes. Qu’il n’y ait pas de frontière clairement définie entre les êtres conscients et non conscients est sans importance. Entre le froid et le chaud, la richesse et la pauvreté, le juste et l’injuste, il n’y a pas non plus de limites clairement définies. Mais cela ne nous empêche pas de manipuler ces concepts sans difficulté majeure, et, quand on parle de plats chauds, de gens riches ou bien d’actions injustes, nous savons de qui ou de quoi il s’agit.
Je formule le rêve d’un mondé végane : la viande et ses sous-produits, peu à peu, auront perdu tout symbolisme positif. Mais mon expérience comme mes lectures me laissent volontiers croire que ce qui bloque le plus le changement, c’est la crainte de déroger à la règle du groupe. Il faut avoir en tête que nous sommes tous, dès notre petite enfance, plongés dans une idéologie spéciste, c’est-à-dire une idéologie qui affirme que l’espèce humaine a des droits sur les autres espèces pour la seule raison qu’elles sont jugées « inférieures ». Cette idéologie est fondée sur une conception anthropocentriste des relations entre êtres vivants. Tout ce que les nazis ont fait aux Juifs, nous le pratiquons aujourd’hui sur les animaux. Auschwitz commence lorsque quelqu’un regarde un abattoir et se dit : « ce ne sont que des animaux. » Chaque jour en France, environ trois millions d’animaux tués dans les abattoirs ! Vous avez bien lu : 3 000 000. Et 60 milliards par an dans le monde !!! Sans compter les poissons, tellement nombreux qu’on ne les décompte même pas : on ne parle d’eux qu’en termes de tonnes.
Il ne suffit pas d’évoluer personnellement, il me faut aussi militer. Avec mon pin’s « 100 % végétalienne » et un autre « Ni racisme, ni sexisme, ni spécisme », me voici parée, prête à l’attaque. Je me demande s’il faut choquer, et de quelle manière. Manier la rhétorique ne s’improvise pas. Certaines rares militantes gueulent carrément, remettant presque de force les tracts dans les mains des passants : « Arrêtez les meurtres ! Devenez végétariens !!! » Moi, ma seule question aux passants se bornait à : « vous souhaitez des informations ? » Brigitte Marquet, elle, questionne à la manière d’une psy, et amène son interlocuteur à découvrir ses propres réponses. C’est formidable !
Certains rares militants, excédés par les sévices perpétrés sur les animaux, se recommandent de l’Action Liberation Front pour détruire des vitrines (boucheries, magasins de fourrure…) ou libérer des animaux de laboratoire, commettant des actes qui ne blessent personne mais portent atteinte aux biens d’autrui et, par le fait, revêtent tout de même une grande violence. Pour cette raison, je ne pense pas que de telles actions puissent servir aux animaux. Elles génèrent incompréhension et sentiment d’injustice. Sans compter le bêtes libérées, qui seront remplacées par d’autres dès que possible.
(les points sur les i éditions)