L’idée générale est donnée par le sous-titre, « Eloge de la dénatalité » (éditions LME). C’est la même thématique que le livre précédent de 2008, co-écrit à l’époque avec sa femme, « Faire des enfants tue ». Comme le précédent, c’est écrit au fil de la plume, ce qui donne des répétitions et un aspect assez confus. Nous donnerons d’abord quelques citations, nous développerons l’idée de surpopulation liée à la perte de biodiversité et nous entrerons dans un débat de fond sur la conception de M.Tarrier du phénomène migratoire.
1/4) Quelques citations
- Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle fait de Malthus un maudit ? Pour augmenter et faire fructifier le stock de pauvres gens sur lequel la classe dominante s’engraisse ; chair à canon, chair à prostitution, chair à consommation, chair électorale… C’est à l’élite bien-pensante, dogmatique et « vertueuse » que profite le crime démographique.
- La dénatalité est le plus souvent vilipendée par le libéralisme, bien que les adeptes de la décroissance économique participent curieusement et de concert avec les fondamentalismes religieux au lynchage du désir de décroissance démographique. C’est affligeant.
- Contrairement à toute logique, la décroissance démographique reste un énorme tabou qui n’ose pas dire son nom, un scandale qui provoque tous les courroux ! C’est à peine si on peut l’ouvrir à propos de la décroissance démographique ! Et l’on s’inquiète même des nations qui, en Europe, ne montrent plus la même ardeur à procréer des enfants dix à vingt fois plus pollueurs que ceux des pays du Sud !
- L’Eglise catho s’oppose à la procréation médicalement assistée, et là elle a toute l’estime des dénatalistes pourtant étrangers à la sainte famille.
- Tout pacte écologique sous-tend l’idée d’un pacte antinataliste. Mais pourquoi les Verts restent-ils cois ? Yves Cochet se lança dans une croisade antinataliste, mais maman Cécile Duflot est une multipare récidiviste.
- Compte tenu de notre incapacité à une justice planétaire, à une plus juste répartition des ressources et des richesses, recourir à une double décroissance, tant de la natalité que de l’économie, serait l’unique voie que la raison commande.
- Ressembler à sa mère ou à son père n’est pas une assurance-vie. Il faut quelque chose de plus qu’un couple pour faire des enfants, il faut au moins une Planète viable.
- Aux racines françaises du militantisme antinataliste, on trouve une des pionnières de l’écoféminisme avant la lettre, Nelly Roussel (1878-1922). Elle revendiqua le droit des femmes à disposer de leur corps et prônait le contrôle des naissances. De même Madeleine Pelletier (1874-1939) : L’éducation féministe des filles ; Le Droit à l’avortement… Paul Robin (1837-1912), engagé dans l’action féministe et le néo-malthusianisme, diffusa des tracts sur les moyens de contraception, fonda un syndicat des prostituées et ouvrit une des premières agences pour l’union libre.
- Quand nous constatons que les couples homosexuels rêvent aussi d’un embryon (et pendant qu’on y est de convoler à la sainte église qui les bannit !), les bras nous en tombent. Un enfant peut-il naître de l’union de deux femmes ou de deux hommes : non. Mais les expériences se poursuivent !
- Deux milliards de personnes souffriront d’une carence en eau d’ici à 2050. Un milliard d’entre nous subsiste déjà dans des conditions infra-humaines. 40 millions de gens meurent de faim chaque année. 24 millions souffrent de la maladie d’Alzheimer. Pour beaucoup d’entre nous, la vie vaut-elle le coup d’être vécue ?
- Nous ne tuons plus nos nourrissons mais nous allons nous retrouver bientôt avec 3 ou 4 milliards de gens qui vont crier famine. Que ferons-nous ?
- La passivité devant le désastre annoncé n’a d’égale que la vie anormale des gens normaux.
- Encourage la surpopulation, c’est cautionner un crime volontaire contre l’humanité.
- Les programmes de stérilisation contrainte sont à vomir… Il serait plutôt question d’offrir aux pays dits en développement une éducation prônant le minimum de naissances (1 à 2 enfants) en s’articulant avec une contraception gratuite. Quant aux pays nantis, la plus dictatoriale des mesures ne serait qu’une écotaxe imposée au-delà de deux enfants par couple, en lieu et place des allocations familiales, devenues socialement et écologiquement parfaitement ridicules et scandaleuses.
- « Faites en un ou n’en faites pas, mais ne dépassez pas deux » serait le bon message.
2/4) Le conflit entre l’espèce humaine et les autres espèces.
- Les théorisations malthusiennes de réduction de la population étaient strictement économiques et ne portaient que sur les ressources alimentaires. A une époque où rien ne pouvait présager d’un déclin pour les écosystèmes (abattage abusif des arbres, épuisement des sols fertiles, surpompage, sur pâturage, surpêche, modification du climat, etc.), l’objectif de croissance ne portait aucun message susceptible de pérenniser une Planète dont la perte ne pouvait qu’être attribuable à une irrationnelle apocalypse.
- Nous sommes la seule et unique espèce à avoir envahi la Planète jusqu’à occuper les niches écologiques de la plupart des autres espèces, douteux privilège dû au volume encombrant de la merveilleuse éponge qui nous sert de cerveau.
- La notion anti-démographique n’est abordée que dans le contexte des intérêts universels de la planète, toutes vies et tous écosystèmes compris. Il n’y a pas d’écologie humaine qui puisse ignorer les interdépendances et les équilibres.
- Mettre un terme au fléau démographique humain pour alléger la pression anthropique qui s’exerce sans commune mesure sur les ressources et redonner leurs places aux autres espèces est une solution à adopter dans la plus grande urgence. Elle doit être doublée d’une décroissance économique sélective : identifier et favoriser les activités utiles, à fable pression environnementale et organiser simultanément un recul inconditionnel de celles qui conduisent à des désastres écologiques et humains.
- Le concept d’empreinte écologique n’a pas tenu compte que nous n’étions pas la seule grande espèce sur Terre. C’est un volet de plus à verser au dossier de notre cécité anthropocentriste. Nous ne sommes pas la seule espèce à jouir de la biosphère et toutes les espèces sont colocataires dans un mutualisme nécessaire. Revendiquer ce 1,8 hectares pour nous seuls, en expropriant la faune sauvage, n’est donc ni scientifique ni raisonnable.
- Il semblerait que pour s’inscrire dans un réel équilibre naturel et pérenne, l’effectif humain ne devrait pas dépasser tout au plus un milliard, voire seulement 300 millions selon d’autres points de vue. Comme nous n’étions que 250 millions en l’an 1, ce qui est proposé n’est qu’un « retour à la normale », très christique qui plus est !
- Pour ceux qui préfèrent la nature à l’humain (ce n’est pas dissocié !), la préservation du biopatrimoine, le militantisme à la cause animale, la défense des paysages, la reforestation, etc. sont de louables activités aptes à compenser l’instinct de reproduction, légitimant haut la main et justifiant socialement le fait de ne pas avoir enfanté.
- « L’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non humaine requiert une telle diminution », écrivait Arne Naess.
3/4) Une migration nécessaire
- Quand Malthus publia sa théorie, son pays comptait 8 millions d’habitants et 60 millions le peuplent aujourd’hui. Mais pas mal d’autres contrées ont vu s’enraciner plus de 50 millions de ressortissants anglais. Sans cette échappatoire, l’Angleterre étoufferait avec 120 ou 130 millions de citoyens, densité assurément disproportionnée avec le potentiel alimentaire et énergétique de cette nation.
- Le flot des baby-boomers est en rade. Il n’y a qu’un remède à cette dénatalité, un remède qui est aussi une morale : en appeler à de nouveaux arrivants pour faire de nouveaux cotisants (pour les retraités), justement tous ces écoréfugiés. Seule l’immigration compensera les pertes intérieures. Et puis on leur doit bien ça !
- L’éloge des frontières est revenu à la mode, mais seules des portes grandes ouvertes et des mentalités encore moins fermées seront susceptibles de réguler les aléas erratiques de la démographie planétaire.
- La xénophobie récurrente ne fera pas bon ménage avec les prochaines contraintes mondialistes, il faudra jouer notre destin commun portes largement ouvertes.
- La mondialisation induit un mondialisme qui saura absorber les trop pleins populationnels et les répartir comme une tache d’huile.
- Sans peur et reproche du métissage, le renouvellement des générations des pays développés se fera par les immigrants.
- Recevoir et se mélanger sera non seulement une obligation éthique, un juste retour des choses, mais on ne pourra lutter contre et la nécessité sera gouvernée par l’incontournable loi de la répartition de la démographie et des richesses : trop peu d’habitants dans les nations encore riches et une multitude grouillante sur des terres desséchées.
4/4) Les propos de Michel Tarrier en débat
1) la question migratoire
Malthus avait une approche très contemporaine du phénomène migratoire : « L’émigration, en supposant qu’on en pût faire un libre usage, est une ressource qui ne peut être de longue durée. » Nous savons en effet qu’il n’y a jamais eu libre circulation des personnes. Partout dans le monde ancien, les peuples donnaient un caractère sacré aux portes de leur territoire, village ou ville : aller au-delà impliquait toutes sortes de précaution. Même le roi de Sparte s’arrêtait à la frontière de la Cité pour y effectuer des sacrifices. A l’extérieur était le domaine de l’étranger et du combat. Jusqu’au XVIIIe siècle, seule une minorité de personnes se déplaçait : les soldats, les marchands, les aventuriers et les brigands. La masse de la population était peu mobile et le vagabondage proscrit ; on naissait, vivait et mourait dans le même village. Les frontières nationales érigées au XIXe siècle n’ont fait qu’actualiser cette constante humaine, la délimitation d’une appartenance territoriale.
Mais il est vrai aussi historiquement que l’expansion territoriale a été un déversoir pour l’expansion démographique. Les migrations traditionnelles étaient autrefois des guerres de conquête et la recherche de l’espace vital… jusqu’au Lebensraum des nazis. Car aucune terre n’était libre d’hommes, que ce soit l’Amérique du nord ou du sud et la plupart des îles. Sur ce point aussi, Malthus était perspicace : « On ne peut lire le récit de la conquête du Mexique et du Pérou sans être frappé de cette triste pensée, que la race des peuples détruits était supérieure, en vertu aussi bien qu’en nombre, à celle du peuple destructeur. » (…) « Si l’Amérique continue à croître en population, les indigènes seront toujours plus repoussés dans l’intérieur des terres, jusqu’à ce qu’enfin leur race vienne à s’éteindre. » Nous ne savons que trop que la colonisation par des nations dominantes a été une succession de massacres et d’atrocités. L’impérialisme anglo-saxon à la conquête du monde a été une abomination. Il est pourtant justifié par M.Tarrier.
En résumé, l’immobilité territoriale est une constante et l’émigration reste source de problèmes. Il n’y a pas de morale à mettre là-dedans : on ne peut vivre durablement que sur un territoire restreint dont on maîtrise collectivement les paramètres : potentiel alimentaire et énergétique, rapports humains de proximité et culture particulière. Si la population sur ce territoire délimité commence à excéder les possibilités du milieu sans qu’on puisse émigrer, c’est là une forte incitation à décider collectivement de la régulation des naissances. C’est ce qu’on peut appeler un phénomène de cocotte-minute, de mise sous pression, qui pousse les autorités à prendre des mesures conséquentes - à être responsable démographiquement -. Si l’émigration peut servir de soupape de sécurité, elle contribue alors à l’expansionnisme démographique mondial et va donc à l’inverse des thèses de M.Tarrier.
Quant à l’argument de M.Tarrier d’en appeler à de nouveaux arrivants pour faire de nouveaux cotisants (pour les retraites), il rejoint paradoxalement le raisonnement des natalistes qui veulent plus de bébés pour « payer les retraites ». Or pousser à de nouveaux arrivants sur le marché du travail ne dit pas s’il y aura ou non dans le futur suffisamment d’emplois, si l’actif ne sera pas chômeur, donc classé lui aussi dans la population à charge. Et puis c’est un cercle vicieux : accroître la population (par la natalité ou par l’immigration), c’est accroître le nombre futur de retraités, donc vouloir encore plus d’expansion démographique dans l’avenir ! Il y a bien d’autres solutions au problème des retraites que la pullulation humaine.
2) la question de l’empreinte écologique
M.Tarrier présente ainsi la question : « Le concept d’empreinte écologique n’a pas tenu compte que nous n’étions pas la seule grande espèce sur Terre. C’est un volet de plus à verser au dossier de notre cécité anthropocentriste. »
Mais les inventeurs de l’empreinte écologique, Mathis Wackernagel et William Rees, étaient bien au fait de cette critique possible et leur raisonnement allait bien au-delà : « Jusqu'ici notre recherche a été résolument anthropocentrique. Cependant l'empreinte écologique fait aussi prendre conscience de l'appropriation par l'humanité d'une part disproportionnée de l'approvisionnement en énergie, matériaux et habitats qui seraient autrement disponibles pour les autres espèces. Avons-nous le droit inhérent à une si grande part de la productivité de la nature aux dépens des millions d'autres espèces qui vivent sur la planète ? (…) Nous ne sommes pas entourés par un " environnement ", nous sommes une partie intime de l'écosphère. Encore une fois, la méthode de l'analyse de l'empreinte écologique peut nous aider à recouvrer la conscience que nous sommes inclus dans la nature ; contrairement à la majorité des analyses " environnementales " du courant dominant, elle ne montre par l'impact de l'humanité sur la nature, mais bien le rôle dominant de l'humanité dans la nature. »
En définitive Michel Tarrier a été un peu trop superficiel dans son analyse.