La thématique est importante, mais l’ouvrage reste confus et superficiel, consacrant trois pages au yoga et trois lignes à Gandhi. Arne Naess ne se retrouve qu’en appendice alors que l’écologie profonde est à la base d’une refondation de l’Homme et de la Nature. Ses aphorismes zen n’ont ni queue ni tête. Heureusement il y a de nombreuses fulgurances dont nous nous faisons l’écho avec ces morceaux choisis :
- L’écologie est une science indisciplinée car elle ne cherche pas à se placer dans l’une des catégories connue du savoir, mais à les chevaucher ensemble.
- Agir dans ce monde n’est pas contradictoire avec une démarche spirituelle, au contraire. Je crois que l’important est de dépasser les dualités.
- Les urbains passent plus de 85 % de leur temps à l’intérieur d’enceintes closes : voiture, métro, maison, bureau… Donc sans contact direct avec la nature.
- Après avoir appris que l’Homme est un être de culture, nous devrons réapprendre qu’il fait avant tout partie de la Nature.
- Avant le néolithique, l’Homme vit dans un monde horizontal où il se considère comme une espèce parmi d’autres. Avec le néolithique, le monde commence à se déployer sur un axe vertical. L’Homme ne s’adapte plus à la nature, il se place en haut de la hiérarchie animale et végétale.
- Avec les nouvelles techniques agricoles, c’est plus de nourriture qui peut être produite, avec bien plus de travail et aussi de dommages causés à l’environnement.
- Les esprits désertent les arbres, les fleurs et les rivières, ils cèdent le pas à des dieux aux pouvoirs surhumains.
- La tendance de l’écriture à devenir de plus en plus phonétique va contribuer à séparer le signifiant du signifié, et à séparer le monde et l’Homme : les mots vont servir à se représenter abstraitement le monde.
- Avec les religions monothéistes, Dieu se place dans le ciel, et l’Homme aspire à la rejoindre, se détachant de la Terre.
- Avec le terme d’humaniste, on déclare sans scrupule que l’humain devient le centre des préoccupations.
- L’humanisme introduit la négation de tout principe supérieur à l’individu. La pensée est devenue purement anthropocentrique.
- Si l’on préconise d’aimer son prochain, cet altruisme n’est pas supposé s’étendre aux êtres vivants non humains.
- Dans les faits, cet humanisme s’est traduit davantage par un sectarisme que par un altruisme.
- L’ordre naturel devient quantifiable par la mesure dont toute finalité est exclue. La nature n’est plus perçue comme un tout, mais comme une somme d’éléments dont l’Homme se veut « maître et possesseur ».
- La relation à la nature s’en trouve modifiée, elle devient objet de manipulations à la manière d’une femme soumise. La nature deviendra l’environnement naturel.
- La perte de la notion des limites se déploie par la puissance surgie de la révolution industrielle. L’absence de limites se traduit par la perte de notions de seuils (à ne pas franchir).
- L’excès démographique est l’une des causes majeures des problèmes environnementaux et sociaux. Il existe probablement un seuil à ne pas dépasser. Il ne revient à aucun philosophe de dire combien d’enfants il faut avoir. Mais il peut dire : « Prenez conscience du problème de la natalité. »
- La plupart des réticences à l’écologie, la spiritualité ou la décroissance, ont quelque chose à voir avec l’idéologie de croissance et implicitement de progrès.
- L’Européen parle de progrès parce qu’à l’aide de quelques découvertes techno-scientifiques, il a établi une société qui a confondu le confort avec la civilisation.
- Le développement du « progrès » technique introduit un instrument toujours plus présent entre l’Homme et son milieu (la voiture, le tracteur, l’urbanisation…). La vision d’une Nature vivante s’estompe.
- Les lampadaires font oublier aux urbains que les étoiles brillent la nuit et qu’ils sont inclus dans un univers plus vaste.
- Dans les peuples de l’extrême (Inuits, Shuars, Aborigènes, Bushmen), les erreurs de comportement envers la nature sont directement sanctionnées par l’hostilité du milieu et la rareté de ressources. Dans les sociétés de consommation, l’excès n’est pas sanctionné mais au contraire valorisé, l’équilibre avec l’écosystème est disloqué.
- Il nous faut faire comme si l’on ne pouvait se nourrir que de notre territoire. L’approche biorégionale préconise un rayon de 20 à 40 km. La décroissance aspire à cela, les peuples indigènes le vivent.
- L’anthropologue Marshall Sahlins, dans son ouvre de référence Age de pierre, âge d’abondance, a montré que les peuples « primitifs » produisaient juste assez de taro pour satisfaire leurs besoins. Tout contribue à limiter le gaspillage.
- Quand une compagnie étrangère veut creuser une colline pour y chercher des diamants, les Aborigènes d’Australie ne s’y opposent pas en disant qu’il y a un risque d’érosion mais parce que cela va « briser la chaîne du rêve ».
- Et nous, que pouvons-nous faire de l’expérience des peuples premiers ? Voir le monde comme un grand « mouvement cosmique » peut nous aider.
- Dans les textes sacrés de l’Inde, le Soi n’est jamais isolé, séparé des autres et du vivant, au contraire de l’approche occidentale dont les sociétés ont agressé les écosystèmes sans comprendre qu’elles en faisaient partie.
- L’exercice de la méditation quotidienne vise à cela : la purification de la conscience jusqu’à ce qu’elle devienne le miroir dans lequel se reflète l’univers, la nature.
- Cela nous revoie vers un concept majeur de l’écologie : l’interdépendance, la solidarité de tous les êtres.
- La permaculture s’attache aux connexions entre les éléments. Elle n’étudie pas séparément les arbres, les insectes, les bactéries, le sol, etc., mais les relations fonctionnelles entre eux, qui font de cet espace non une somme de plantes comestibles, mais un véritable écosystème autorégulé.
- Il n’est pas bon d’avoir trop de biens, ça prend trop de temps. Si tu passe ton temps à t’occuper de tes biens, où trouveras-tu le temps de réfléchir, de méditer, de t’instruire, de faire du bien à la communauté ?
- L’acte de non-consommation est parfois plus fécond que l’acte de consommation. Replanter les consciences n’a de sens qu’en s’incarnant dans des pratiques : nouveaux modes de vie, de travail, de déplacement, de consommation…
- Beaucoup de personnes se sentent incapables de jeûner, et l’envisagent comme une privation, alors qu’il suffit de franchir un certain stade pour se sentir si bien qu’on ne songe plus qu’à recommencer.
- L’attitude écologique est liée à une capacité à l’autocritique car les défis écologiques viennent de moins en moins d’une menace extérieure, mais de plus en plus de l’intérieur, des attitudes individuelles.
- La volonté de résoudre les problèmes s’auto-entretient car elle apporte du plaisir. L’écologie en tant que problème à résoudre peut être stimulante, source de joie et de bien-être.
- Reste le terreau social. La dynamique du débat public est un élément clé des évolutions de l’opinion. Agir pour l’écologie, qui est une action collective, peut être une manière de vivre intensément.
- Il n’y a pas qu’une seule voie, une seule solution. Mais s’il ne devait y avoir qu’une solution, qu’elle soit dédiée à la beauté et à l’incertitude, à condition de s’autoriser à en rire.
(éditions Yves Michel)