Universitaire, agrégée de philosophie, spécialiste d’Auguste Comte, Juliette Grange n’échappe pas aux codes de son sérail, abrité des réalités de notre monde et allergique aux évolutions profondes. Son livre est donc une attaque en règle contre les différentes branches de l’écologie, mais elle n’a comme alternative qu’un projet vaseux européano-centriste. Nous commencerons cependant par présenter quelques extraits dont nous pouvons partager les considérants.
1/4) quelques fondements sur lesquels nous sommes d’accord
- Avec l’écologie politique, il s’agit de protéger l’humain de lui-même, ce qui est le but essentiel de la politique moderne.
- Il s’agit de considérer comme Bien premier un certain nombre d’éléments sans lesquels la liberté individuelle et collective n’est rien. Les conditions du maintien de la vie future de l’humanité doivent être sanctuarisées comme des biens publics. Il s’agit donc de faire des Biens premiers des propriétés collectives ou biens communs de l’humanité : la capacité d’absorption du CO2 de l’atmosphère, la réserve halieutique des océans, l’air, la pluie, la biodiversité. Il s’agit de leur reconnaître une valeur intrinsèque, qui ne dépend pas de leur relation à d’autres objets ou produits du marché.
- Détruire des plans d’OGM peut être par conséquent la forme de revendication d’un Bien public que les nouveaux féodaux (les grands groupes semenciers) compromettent. Il y a de toute façon une racine « terroriste » (insurrectionnelle) à l’ordre républicain.
- L’injustice du sort du citoyen tué à petit feu par les pesticides qu’une agriculture chimique ont imposés n’est pas d’une autre nature que celle infligée au prolétaire accidenté du fait de machines dangereuses.
- Qui croit encore que de la recherche biologique ou chimique surgiront à la fois des remèdes à la faim et à la maladie et une plus grande égalité sociale due à la prospérité collective ?
- La privatisation de l’eau par des grands groupes nous éloigne à grand pas de la constitution en bien commun de l’humanité de l’eau potable. On voit donc clairement qu’écologie politique et mondialisation marchande s’opposent absolument.
- La transformation en marchandise du vivant dans son ensemble, en particulier des semences et des gènes, est absolument contraire aux principes de l’écologie politique.
- Il est clair que la garantie juridique et politique des biens premiers profitera prioritairement aux plus pauvres, les plus exposés aux nuisances.
- le phénomène NIMBY est à double tranchant : les classes sociales élevées refusent à juste titre les installations polluantes, d’où leur implantation dans des zones où la population n’a pas la capacité de protester.
- L’organisation politique de la société humaine et la vie des vivants sur Terre ne peuvent plus être pensé indépendamment. Le problème majeur de l’ère industrielle, ce n’est pas simplement l’organisation du travail.
- L’éthique environnementale est traversée par un débat qui oppose les tenants d’un utilitarisme anthropocentrique (élargi à la prise en considération des générations futures) et les promoteurs d’une éthique biocentrique, accordant une valeur intrinsèque à toute forme de vie. Ces deux prises de position théoriques ne sont pas forcément inconciliables.
- L’urgence est de mettre à l’abri du marché les biens communs fondamentaux que sont par exemple l’air, l’eau, la sécurité sanitaire, et pourquoi pas, dans certains cas du moins, les loups et les montagnes, la beauté des paysages et la qualité de la vie.
- La croissance verte et autre développement durable considèrent comme compatibles l’arrêt du pillage de la planète et la poursuite d’une logique économique sans entrave qui est à l’origine de ce même pillage. Le développement durable, c’est polluer moins pour polluer plus longtemps.
- Günther Anders en appelle au refus de produire des armes, de les transporter, de garder le secret sur les industries de guerre. Il suggère un serment d’Hippocrate élargi aux ingénieurs, chercheurs et fonctionnaires internationaux consistant à s’engager à respecter l’humanité dans les biens premiers qui lui sont indispensable (l’eau, la santé, l’éducation, la connaissance, etc.).
- Les luttes sur le terrain de la découverte scientifique sont devenues les instruments de la valorisation des Etats en tant que tels, loin de la république cosmopolitique des savants dont rêvèrent certains penseurs. Politique de la science et politique extérieure s’arc-boutent désormais mutuellement. Le traité de Maastricht stipule : « La Communauté a pour objectif de renforcer les bases scientifiques et technologiques de la Communauté et de favoriser le développement de sa compétitivité internationale. »
- L’écologie politique, qui a besoin d’une recherche scientifique indépendante, à l’inverse de ce qui s’est mise en place nationalement et internationalement, depuis un demi-siècle au moins, a beaucoup à faire et à penser dans le domaine de la politique de la science et des techniques.
- La sortie du capitalisme n’est plus le renversement révolutionnaire de la division du travail, mais tient à la subordination des activités économiques à des objectifs sociétaux et écologiques. La reconquête des temps de cerveau disponible demande bien autre chose qu’une autre forme d’organisation du travail.
- Bien que non révolutionnaire au sens classique, l’écologie politique a des airs de réforme radicale qui heurte de plein fouet les féodalités les mieux armées et les plus puissantes du monde actuel.
- La libre abondance qui passe par le savoir-faire, la vie locale et l’hospitalité peut être frugale. Le luxe d’une somptueuse simplicité est d’une remarquable convivialité. L’autolimitation, le refus du superflu (André Gorz) permet du temps pour la sociabilité et la gratuité.
- Il convient de désigner des limites, d’instituer un nouveau sacré.
2/4) quelques attaques injustifiées contre l’écologisme
- Les atteintes à la santé publique provoquées par certaines productions industrielles sont prouvées (cancers, etc.), mais elles ne sont pas liées comme le croient certains écologistes au mode de production lui-même.
- Nombre de défenseurs actuels de la « Nature » supposent avec rapidité que l’homme est un animal parmi d’autres. Ainsi Aldo Leopold pour qui l’Homme est inclus dans la Nature comme « membre à part entière de la communauté biotique ».
- Nous nous situons loin de la deep ecology. Selon cette philosophie, aucune espèce n’a de droit particulier à s’étendre plus qu’une autre espèce. Il s’agit d’une pensée récusant tout anthropocentrisme et tout humanisme. Il n’y a pas de droit de la Nature, non plus que d’ailleurs à la Nature. Le destin de la nature fait partie du destin de l’humanité.
- On renoncera avec le républicanisme écologique à sortir de l’anthropocentrisme, à donner des droits politiques au non-humain (Michel Serres).
- La prise en compte du « non-humain » dans un « Parlement des choses » proposé par Bruno Latour est politiquement inefficient, antimoderne, et n’appartient pas à notre cadre théorique. Latour, tout à ses gesticulations antimodernes, ne saisit pas que le monde commun est à instaurer. La démocratie écologique, le parlement des choses ne sont que fariboles.
- On peut préconiser de sortir de décennies de spéculations éthico-philosophiques stériles pour s’attaquer aux vrais problèmes. Le point de vue de l’éthique environnementale nous semble inefficace.
- Ce n’est pas une heuristique de la peur (Hans Jonas), mais la résistance sinon la révolte qui doivent permettre la préservation des biens premiers.
- L’idée de justice environnementale que nous défendons tendrait à envisager non la décroissance, mais une meilleure répartition. Le terme de décroissance est un slogan plus qu’une idée, même s’il est plus exigeant que celui de développement durable. Il s’agit dans la plupart des cas pour les « décroissants » de réorganiser ce qui est déjà en place dans un cadre qui est toujours défini en référence au PIB.
- Le développement durable, la croissance verte et leur compagne de route (l’éthique environnementale) sont dangereux parce que beaucoup supposent trouver en eux une solution.
- Les écologistes se trompent de cible lorsqu’ils dirigent leur vindicte contre l’Etat ou bien mettent en cause l’industrialisation.
- L’écologie politique repose sur le préalable d’une politique industrielle originale, sa préoccupation n’est pas la protection d’une nature sauvage.
- Les écologistes n’ont pas à être les contempteurs du progrès technique.
- Le rêve utopique et séduisant d’une forme « holistique » de travail n’a pas lieu d’être, il imposerait de renoncer à l’efficacité industrielle (une division du travail très poussée) et repose sur la fiction d’un retour à une communauté non moderne, où la complémentarité des activités se règle spontanément dans un cercle restreint.
3/4) un projet illusoire pour l’écologie
- La nature est propriété commune et patrimoine de l’humanité.
- C’est la « Nature », la Terre et les vivants qui permettent la vie des hommes, mais ce sont aussi les hommes qui font vivre un nouvel équilibre naturel sur Terre.
- L’Etat national ou l’Europe doivent devenir des républiques au sens où elles exercent la puissance publique protégeant les biens communs fondamentaux
- On préconisera un « keynésianisme européen ».
- C’est par une politique industrielle publique, nationale ou européenne (y compris en termes nanotechnologique ou microbiologique) qui redynamise l’économie que pourrait être conciliées écologie et industrie.
- Il faut des institutions européennes qui innovent face à la criminalité verte.
4/4) commentaires de BIOSPHERE sur ce livre
Juliette Grange est d’accord pour donner une valeur intrinsèque et même sacraliser certains aspects de ce qui extérieur à la société humaine. Alors pourquoi attaquer ceux qui vont dans la même direction, Aldo Leopold, Arne Naess (deep ecology), Hans Jonas, Michel Serres, Bruno Latour, l’éthique environnementale ? Ces attaques sont d’autant plus injustifiable qu’elles ne sont par argumentées, ce qui est un comble pour une universitaire qui se pique de philosopher.
Juliette Grange n’a pas conscience de la complémentarité entre une écologie radicale, souvent teintée de spiritualisme, qui ne peut que conforter la recherche de l’appropriation commune des Biens premiers. Elle reconnaît que l’écologie politique cherche à « protéger l’humain de lui-même », ce qui implique que l’humanité en devenir doit chercher à se forger d’autres instruments d’évaluation de sa place dans la Nature, moins anthropométrique, faisant preuve d’un humanisme élargie à l’ensemble des vivants.
Juliette Grange valorise le niveau national et européen comme projet écologique. D’abord pourquoi ignorer le niveau international quand on est aussi centralisateur ? Ensuite pourquoi mépriser le niveau des communautés de base ? Juliette se contente de cette affirmation : « Fiction d’un retour à une communauté non moderne, où la complémentarité des activités se règle spontanément dans un cercle restreint. » D’abord la « modernité » a un sens très relatif, chaque époque forge sa propre perception de la modernité. Ensuite le retour à la vie communautaire n’est pas une fiction, il y a actuellement des tas d’expériences concrètes de villes en transition et de communautés de résilience aux chocs énergétiques et climatiques. Enfin prétendre que la forme de division du travail dans une communauté retreinte se règle « spontanément », c’est faire fi des analyses de la prix Nobel d’économie Elinor Ostrom !
Nous conseillons aux lecteurs de Juliette Grange de faire un détour par les différents liens Internet que nous mettons sur ce résumé de livre pour se faire une meilleure idée de la complexité des différentes approches de l’écologie et de ses fondements philosophiques…