Le philosophe Hans JONAS (1903-1993) a fait éditer son livre « le principe responsabilité » pour la première fois en 1979, juste au moment du deuxième choc pétrolier. Il pensait que le marxisme poursuivait les mêmes buts que le capitalisme, l’extension de la sphère marchande et la croissance économique, c’est-à-dire une « utopie » dangereuse. C’est pourquoi selon lui la Nature ne fait pas de différence entre le fait que l’attaque vienne de « droite » ou de « gauche ». Voici un bref résumé de cet ouvrage en utilisant le plus possible les expressions de Hans Jonas. Les termes en caractère gras (dans le texte ou mis entre parenthèses) qui actualisent ses propos sont dans le lexique.
(éditions du Cerf, 1990)
1/3) la dynamique du progrès technique
Dès l’origine, ce fut une thèse marxiste que par son travail l’homme « humanise » la nature et qu’une fois la révolution accomplie, le marxisme réalisé humanisera l’homme lui-même. Manifestement cette conception donne au terme « humaniser » deux interprétations contradictoires : pour l’homme, il veut dire que l’homme n’est plus soumis à la nature et c’est ainsi seulement qu’il peut être pleinement lui-même. Pour la nature, le marxisme implique qu’elle est totalement au service de l’homme et qu’elle ne peut donc plus être elle-même. Par exemple la monoculture réduit un habitat écologique diversifié à la présence exclusive d’une culture unique qui peut seulement se maintenir sous les conditions artificielles imposées par l’agriculteur (# agriculture biologique).
De plus l’agir technologique n’a pour objectif que de réaliser des objectifs à court terme. L’expérience prouve que ces développements techniques ont tendance à se rendre autonome, échappant ainsi à la volonté humaine et même à la planification de ceux qui agissent (technicisme). Le mouvement d’expansion est trop rapide et ne laisse aucune place pour des stabilisations automatiques ou concertées (sur-programmation). Même la source d’énergie la plus permanente et la plus pure de toutes ne pourra satisfaire qu’une fraction de la voracité de la civilisation moderne. Cependant (à l’heure actuelle) la disponibilité de l’abondance matérielle permet la satisfaction des besoins de tous (la classe globale), ce qui favorise l’acceptation de ces processus techniques de reconstruction de la nature et de mécanisation de l’organisation du travail (méga-machine).
Le progrès technique et la recherche de l’abondance entraîne la détérioration du milieu naturel au risque de notre perte. Le châtiment des techniques de maximisation agraire commence déjà à se manifester par la contamination chimique des eaux avec tous les effets néfastes que cela entraîne pour l’interdépendance des différents organismes (biocide). De plus il existe une barrière plus fondamentale, l’élaboration d’engrais synthétiques est une forme d’utilisation de l’énergie, ce qui pose non seulement le problème de l’obtention de ressources, mais aussi l’irréalisme d’utiliser l’énergie à l’intérieur du système fermé de la planète : la combustion des matières fossiles entraîne en effet l’augmentation de l'effet de serre et le réchauffement global. C’est là une limite implacable aux rêves extravagants d’une humanité plusieurs fois démultipliée qui vivrait dans l’exubérance technologique. La thermodynamique est intraitable, la loi infrangible de l’entropie veut que lors de chaque production de travail, l’énergie se dégrade en chaleur et que la chaleur se disperse.
Un héritage dégradé dégradera nos héritiers. En dernière instance, la question n’est pas de savoir combien l’homme sera encore à même de faire, mais celle de savoir ce que la Nature peut supporter (empreinte écologique). Cette question fait partie du champ de la science encore jeune de l’environnement.
2/3) l’éthique du renoncement
Le fait que tant de choses, à commencer par l’état de la biosphère, dépendent de ce que l’homme peut faire a quelque chose d’effrayant. Mais le pouvoir, associé à la raison, entraîne de soi la responsabilité. Dans l’homme, la nature s’est perturbée elle-même, et c’est seulement dans notre faculté morale qu’elle a laissé ouverte une issue : mon agir ne doit pas remettre en question l’intérêt entier des autres également concernés, c’est-à-dire les générations futures (développement durable). Les pays riches ont la possibilité d’inverser la tendance à la croissance en consommant moins et réduisant ainsi les capacités de production (simplicité volontaire). Pour les pays développés, cela signifie des renoncements car l’ascension des pays sous-développés ne peut se faire qu’à leurs dépens. Mais il n’y a objectivement aucun doute que dans les pays sur-développés, il existe une marge confortable pour des restrictions qui nous placeraient encore loin devant nos grands-parents, et même nos parents (décroissance soutenable).Cependant la réaction subjective de la population en l’absence d’une nécessité visible est une autre affaire, et pour les Etats-Unis par exemple une résistance spontanée à la baisse du niveau de vie serait pratiquement certaine et inclurait la classe ouvrière.
La conception libérale dominante dans le monde occidental laisse l’espace le plus large possible au libre-jeu des forces, mais la revendication de droits qu’il faut garantir occulte l’exigence des obligations à respecter. Néanmoins la solution, de plein gré si possible, forcée si nécessaire, se trouve dans la direction d’une éthique du renoncement.
pour un pouvoir fort
Aussi avons-nous trouvé un principe qui interdit certaines expériences dont la technologie est capable : comme jamais l’existence ou l’essence de l’homme ne doivent être mis en péril par les paris de l’agir, il faut dans toute décision accorder la préférence aux pronostics de malheur sur les pronostics de salut (principe de précaution).
Notre thèse est que les nouvelles dimensions de l’agir réclament une nouvelle éthique de la responsabilité et la prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle ne se réalise. On ne pourra contester à l’homme politique le droit de mettre en jeu l’existence de la nation au profit de l’avenir si vraiment l’extrême est en jeu. Le péril qui menace la communauté devient une puissante impulsion de l’homme de courage à proposer sa candidature et à s’emparer de la responsabilité.
Pour appliquer cette nouvelle éthique, un système libertaire serait préférable pour des raisons morales, mais les systèmes moralement bons sont des systèmes précaires ; l’Etat peut seulement être aussi bon que le sont les citoyens. De plus l’homme politique peut supposer idéalement dans sa décision l’accord de ceux pour qui il décide en tant que leur chargé d’affaires, mais des générations futures on ne peut obtenir de facto un accord (acteurs-absents). Par conséquent « La tyrannie communiste paraît mieux capable de réaliser nos buts inconfortables que le complexe capitaliste-démocratique-libéral » ».
3/3) Commentaire :
Hans Jonas, qui écrivait avant la chute du mur de Berlin (1989), se trompait lourdement sur l’efficacité d’un système centralisé. Cette thématique à la fois anti-libérale et anti-marxiste doit donc être reprise par des partis socialistes démocratiques si vous ne voulez pas que le socialisme soit rejeté pour avoir ignoré l’enjeu du XXIe siècle : la Biosphère. Seul un parti social-écologiste qui prendrait démocratiquement en compte les limitations de l’activité humaine par les contraintes environnementales pourrait durablement gérer les pays et la planète. Un parti libéral, au service des entreprises et donc du pillage de la planète, au service du marché et donc du court terme, ne peut avoir un tel objectif.
Non seulement il faudrait que les partis socialistes acquièrent cette fibre écologique qui leur manque tant, mais il reste encore à mettre en œuvre ce que Hans Jonas envisageait incidemment : « Naturellement il serait préférable qu’on puisse confier la cause de l’humanité à une conscience authentique qui se propagerait » (éco-citoyen ; consomm’acteur).