EcoRev est une revue critique d’écologie politique. Ce numéro couvre la période hiver-printemps 2012. Nous trouvons dommage que ce numéro n’aborde pas la problématique des territoires en transition ou communautés de résilience. C’est à ce niveau local que la gestion des Communs pourrait être la plus efficace. Voici quelques extraits :
Editorial
Le Commun est un concept qui permet de dénoncer les processus de privatisation et de marchandisation des ressources naturelles – mais aussi de certains biens publics produits ou consommés collectivement.
Autrefois en Angleterre, le mouvement des Enclosures a stoppé la vie des communautés en déniant les droits collectifs sur les terres communales. Les Enclosures ont nourrit l’exode rural et contribué à alimenter le capitalisme des villes en force de travail. Nous pouvons faire le parallèle avec la situation présente. L’eau, la biodiversité, la connaissance sont devenus la cible d’un capitalisme prédateur et rentier, soucieux d’enclore les droits d’usage des biens communs pour mieux en capter les retombées financières.
Des communs sans tragédie : Elinor Ostrom vs. Garrett Hardin
Le texte de Garrett Hardin, « La tragédie des biens communs », est paru en 1968 : « Imaginez un pâturage ouvert à tous… Chaque homme est coincé dans un système qui le pousse à augmenter la taille de son troupeau sans limite, dans un monde qui est limité… La destination vers laquelle chaque homme se hâte est la ruine, chacun poursuivant son propre intérêt dans une société qui croit à la liberté des biens communs. » Hardin voit déjà les signes avant-coureurs de l’épuisement des ressources naturelles, notamment en raison de l’explosion démographique mondiale. Afin d’échapper à une issue tragique, il faut d’urgence, affirme-t-il, contrôler l’accès aux biens communs, soit par l’intervention étatique, soit par leur privatisation. C’est la deuxième option qui s’impose avec la victoire idéologique des thèses néo-libérales à la fin des années 1980.
En 1990 Elinor Ostrom, dans Governing the Commons, fait pourtant le récit de nombreux cas où des groupes réussissent à échapper à la tragédie des communs décrite par Hardin. Plutôt que des pièges qui se referment sur les individus, elle décrit des formes d’ingéniosité collective qui permettent de gérer de façon pérenne des ressources communes. Des massifs forestiers, des bassins versants, des zones d’irrigation ou de pêche font l’objet d’arrangements institutionnels divers. Aux théories du passager clandestin (free rider de Mancur Olson) qui postule que dans les grandes organisations anonymes les individus cherchent à bénéficier d’un bien collectif sans y apporter leur quote-part, Elinor oppose des situations, généralement des groupes de petite et moyenne dimension, où les utilisateurs d’un bien adaptent leurs choix au contexte socio-écologique local.
Dans un monde globalisé, les conditions d’une bonne gestion semblent difficiles à atteindre : « La gestion efficace et soutenable d’une ressource naturelle commune est réalisée lorsque les limites de la ressource sont faciles à identifier, lorsque ses changements d’état peuvent être surveillés à un coût relativement faible, lorsque le taux d’utilisation reste stable, lorsque les communautés maintiennent des interactions sociales fréquentes entre elles, lorsque les outsiders peuvent être empêchés d’accéder à la ressource et lorsque les infractions aux règles sont surveillées et sanctionnées. »
Reste que le prix de la banque de Suède en sciences économiques (le « prix Nobel » d’économie), décerné à Elinor Ostrom en 2009, a donné une légitimité inédite à l’approche polycentrique de la gouvernance des ressources naturelles. La tragédie des biens communs est en fait une tragédie des biens en accès libre, sans règles de gestion. Or les exemples de ressources en accès libre sont nombreux. Que pèse des petites communautés de pêcheurs face à des navires usines qui vident les océans de leurs poissons en toute impunité ?
Alice Le Roy
EcoRev n° 39, juillet 2012