Recension de René HAMM (Bischoffsheim - Bas-Rhin) le 30 novembre 2012
Je vous recommande cette lecture, « Emprise et empreinte de l’agrobusiness » par l’ONG Entraide & Fraternité (Bruxelles) et le Centre Tricontinental (Louvain-la-Neuve)
Éditions Syllepse à Paris, août 2012, 184 pages, 13 €.
En voici quelques éléments :
Dix majors contrôlent 82% du négoce mondial des semences: Monsanto, DuPont, Land O’Lakes (USA), Syngenta (Suisse), Limagrain (France), Bayer, KWS Saat AG (Allemagne), Sakata, Takii (Japon) et DLF Trifolium (Danemark). Dix dont quatre (Monsanto, DuPont, Bayer, Syngenta) de cette liste auxquels s’ajoutent BASF (Allemagne), Dow AgroSciences (USA), Makhteshim Agan (Israël), Nufarm (Australie), Sumimoto Chemical et Arista Lifesciences (Japon), se répartissent 89% des pesticides. Une centaine d’entreprises domine à 74 % le marché des breuvages et des mets solides transformés. Dans le peloton de tête, Nestlé, PepsiCo, Kraft Foods, Coca-cola, Unilever, Cargill, Danone … Avec le consentement ou l’appui des États et des organisations internationales (Banque mondiale, FMI, OMC), ces firmes accentuent leurs stratégies de concentration et d’expansion, propageant «un modèle de développement socialement excluant et écologiquement destructeur» (l’historien et sociologue belge Laurent Delcourt dans l’éditorial).
Globalisées, intégrées, financiarisées, elles fonctionnent conformément aux impératifs de la rentabilité immédiate. Mues par la quête d’un profit maximal, elles saccagent les forêts, accaparent les ressources naturelles qui s’amenuisent, épandent massivement des agents défoliants, confisquent les terres, objets, tout comme le travail des petits paysans, d’une marchandisation effrénée. Prétendant vouloir combattre la faim, décideurs et consortiums, secondés par des fondations privées auxquelles j’hésiterais à accoler l’adjectif «caritatives», comme celle de Melinda et Bill Gates, imposent sans vergogne les « solutions » qui ont engendré le fléau. La famine (1), les épidémies au Sud, mais aussi la malbouffe au Nord, résultent directement des plans «d’ajustement structurel» dictés aux gouvernants sous la pression des groupes tentaculaires, parfois en exerçant d’odieux chantages aux coupes dans les subsides!... «La reconnaissance de la primauté des droits humains sur les règles du commerce» demeure la condition sine qua non du «scénario de rupture par rapport aux orientations privilégiées jusqu’ici». À défaut d’une concrétisation rapide, elle irrigue les luttes contre la tyrannie des trusts et les politicards qui se satisfont de leur servir de vassaux dociles.
Pour contrecarrer le «naufrage» que provoque le capitalisme, Elisa Da Vià, sociologue du développement à la Cornell University à Ithaca (État de New-York), insiste sur des réformes agraires redistributives, la diffusion de l’agriculture biologique, l’activation des voies démocratiques et participatives, vecteur essentiel pour quantifier les besoins alimentaires.
Les coordinateurs de cet ouvrage très instructif ont illustré leurs thèses en focalisant leur attention sur quelques pays. Une étude très fouillée du Centre africain de la biosécurité de Johannesburg retrace les manœuvres de Monsanto à partir de 1988 pour annexer l’agriculture sud-africaine. La compagnie si controversée, domiciliée à Saint-Louis (Missouri), a conquis dans la patrie de Nelson Mandela 60% du marché du glyphosate (2), l’ingrédient actif du Roundup. Il y a obtenu l’autorisation pour cinq variétés de maïs transgénique dont le NK 603 tolérant à l’herbicide non sélectif précité.
Rodrigo Simão Camacho, doctorant en géographie à l’Université de São Paulo, indexe la «barbarie moderne» de l’agrobusiness au Brésil. La monoculture, une des constantes de cette industrie aux mœurs des plus perverses, nuit souvent irréversiblement à la biodiversité. Le pays, qui s’enorgueillit d’accueillir du 12 juin au 13 juillet 2014 le Mondial de football et du 5 au 21 août 2016 les 31èmes Jeux olympiques d’été à Rio de Janeiro, apparaît comme le plus grand glouton planétaire en substances chimiques.
Récemment, d’aucuns ont évoqué chez nous une «taxe Nutella» (3). La contribution additionnelle de 300 euros la tonne eût porté sur les huiles de coprah et de palme. Cette dernière entre non seulement dans la fabrication, par Ferrero (4), de la mélasse marron à vague goût de noisette, mais également dans celle de 12% des articles alignés sur les gondoles. Shunsuke Rai, professeur d’économie politique à la Faculté de Hautes Études internationales de l’Université chrétienne privée Meiji Gakuin à Yokohama (Japon), examine l’oligopole en Indonésie des grands planteurs de cet oléagineux.
(1) Jean Ziegler martèle inlassablement l’ampleur quant à l’assassinat par la faim de trente-six millions d’êtres humains par an (toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans).
(2) L’exposition à ce perturbateur endocrinien augmenterait les risques de fausse couche, de naissance prématurée, de cancer, en particulier le lymphome de Hodgkin qui affecte les ganglions.
(3) Le 21 novembre, la commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale a repoussé l’amendement déposé par les députés d’Europe Écologie/Les Verts. Sept jours auparavant, le Sénat avait adopté par 212 voix contre 133 le texte présenté par le socialiste Yves Daudigny. Mais comme la «chambre haute» avait rejeté le budget 2013 de la Sécurité sociale, la disposition devenait nulle et non avenue.
(4) Son usine française est sise à Villers-Écalles (Seine-Maritime).