Quelques extraits du livre :
« C’est une chronique sur ceux qui s’obstinent à ne pas y croire. Des politiques de tous bords ont longtemps considéré les dégâts environnementaux comme négligeables. Les médias manifestaient au mieux une indulgence amusée et sceptique pour les « protecteurs des petits oiseaux », mais le plus souvent un mépris affiché sans vergogne. Le vieux refrain scientiste est même de retour sous la poussée des écolosceptiques. Je m’interroge dans ce livre sur les motivations de toutes ces personnes. Pourquoi instiller le doute dans l’opinion publique ? Ces écolosceptiques sont sans doute poussés par la peur que les écologistes aient finalement raison. Et s’il nous fallait inéluctablement changer de vie et de modes de consommation !
Les protecteurs de la nature doivent désormais faire face à une authentique opération de communication : les éléments de langage sont minutieusement élaborés. Les rôles des idéologues, des pseudo-scientifiques, des polémistes, des économistes libéraux et des bouffons du progrès sans limites sont parfaitement répartis. Il y a connivence entre tous les prophètes du tout va bien, dormez tranquilles braves gens, n’ayez pas peur. Il suffit de parcourir la presse pour retrouver les phrases ronflantes recopiées sans le moindre recul par certains journaux. Il est tellement plus facile, pour beaucoup d’Américains et de Français, de se persuader qu’ils ne sont responsables de rien, individuellement et collectivement.
Début mars 2011, Jean de Kervasdoué, un des auteurs les plus déchaînés contre le principe de précaution, interrogé par Denis Cheissoux qui lui demandait pourquoi il semblait haïr les écologistes, a répondu : « Je ne les hais pas, je les méprise. » Or cet ingénieur agronome se réclame de l’Académie des technologies, un cénacle créé à la fin de l’année 2000, présidé par un ex-vice-président de Dassault Aviation et soutenu par des sociétés aussi écolo-compatibles qu’EDF, le CEA ou Total. Les membres de la secte des écolosceptiques ne sont jamais gênés par les conflits d’intérêts avec les entreprises. Jacques Attali dans un rapport sur la relance du pouvoir d’achat remis à Sarkozy, a demandé au gouvernement de retirer le principe de précaution de la Constitution. Il arguait, comme tant d’autres, qu’il représentait un frein à la croissance. Ces glapissements criminels des objecteurs de précaution incitent les politiques à retarder le moment d’agir sérieusement contre l’émission de gaz à effet de serre.
Les sectaires retournent les valeurs des écolos. Il suffit de lire les publicités des marchands d’engrais et de pesticides, tous réunis dans l’UIPP, l’Union des industries de protection des plantes. Monsanto, BASF, Syngenta ou Bayer se sont transformés en industries « protectrices » des plantes n’ayant recours qu’à des « produits phytopharmaceutiques ». Des « écologistes » sont désormais partisans de l’énergie nucléaire pour limiter les émissions de carbone ! L’association des écologistes pour le nucléaire est créée en 1996 avec les sous de Framatome. Les nouveaux croisés du paysage ont su instaurer une sorte de sentiment d’insécurité autour des éoliennes. L’ex-président Valéry Giscard d’Estaing lutte contre les éoliennes depuis un courrier du 9 novembre 2005. Il y explique qu’il « souffre des atteintes importantes aux paysages ». Dans l’imaginaire des partisans des jolies centrales nucléaires, les éoliennes sont largement plus laides que les pylônes des lignes à haute tension. Ces groupes de pression ne s’intéressent pas aux écosystèmes.
Les climatosceptiques sont des professionnels du mensonge et de la désinformation. A l’automne 2009, les « objecteurs » du climat ont activement participé à l’opération de déstabilisation lancée quelques semaines avant la conférence de Copenhague après piratage de milliers de courriels échangés entre scientifiques participant aux travaux du GIEC. Claude Allègre, au cours d’un journal télévisé de 20 heures sur France 2, à l’automne 2010 : « Comment voulez-vous qu’il soit possible de prévoir les températures pour dans trente ans ou dans un siècle quand votre bulletin météo n’est pas capable de nous assurer des prévisions fiables dans quelques jours » Comme si les scientifiques du GIEC faisaient de la prévision météo alors qu’ils construisent des modèles d’évolution du climat en comparant des millions de données. Pour Allègre et d’autres, il y a ce désir forcené de vivre intensément un flash médiatique qu’il faut prolonger par tous les moyens. Newt Gingrich, candidat à l’investiture présidentielle américaine, a affirmé en décembre 2011 que le réchauffement climatique a été inventé « par les communistes et les cosmopolites des Nations unies ».
L’Académie nationale de médecine, qui n’a pourtant aucune compétence en ce domaine, nie les effets néfastes de la baisse de la biodiversité et méprise les travaux des scientifiques du Muséum d’histoire naturelle, dont la compétence est reconnue dans le monde entier ! Ces « négationnistes » (oui, je sais, il ne faut plus trop employer ce mot à terrible connotation) organisent, avec une délectation morose mais jubilatoire, le risque de faire notre malheur et celui d’autres peuples, s’ils parviennent à convaincre un maximum de politiques que les écologistes ont inventé les craintes que beaucoup de scientifiques justifient pourtant depuis des années. Le rocher de Sisyphe doit être sans cesse remonté par les écologistes : une perte de temps cruciale.
Les écolosceptiques caricaturent les écologistes afin de rendre les choix du développement forcené irréversibles. Les écologistes sont brandis comme des épouvantails qui veulent supprimer la liberté d’aller et venir avec des voitures individuelles ; de dangereux extrémistes qui prônent l’usage intensif de la bicyclette ; des irresponsables qui annoncent de nouvelles taxes pour freiner les gaspillages. Des agences de communication ont inventé le greenbashing, des publicités qui tournent en ridicules les écologistes en les présentant comme des individus rétrogrades. Les prêches des écolosceptiques se font sans arrêt l’écho de la dictature verte qui nous menacerait tous. Non pas pour contester arguments contre arguments, mais simplement pour nier tous les risques. Les « marchands de peur » ne sont pas ceux que l’on désigne comme tel, mais les sceptiques qui entretiennent les craintes envers le changement. Aux Etats-Unis, les écolos sont traités de marxistes ou de communistes par une partie des républicains amis de nos sceptiques de l’environnement. Ils sont même soupçonnés de visées terroristes ! Mais les forçats de la croissance mettent soigneusement de côté l’interrogation lancinante que les écologistes renvoient aux sceptiques professionnels : et demain, la Terre ?
Trop de politiques cultivent le consensus le plus mou, celui qui permet de dire bonjour à tout le monde sur le marché du dimanche matin. Le temps politique ne coïncide pas, ou plus, avec le temps électoral. La bataille entre les écologistes et la secte des écolosceptiques se trouve plus que jamais au cœur des prochains affrontements électoraux. »
(delachaux et niestlé)