224 pages, 19 euros, aux éditions EDP Sciences
La réputation des géologues Pierre Mauriaud et Pascal Breton ne semble pas avoir atteint le petit monde des pétroliers, ils sont surtout au service de Total. Peut-on alors craindre le conflit d’intérêt dans ce livre ? OUI. A l'échelle mondiale, le pic du pétrole conventionnel est déjà dépassé depuis 6 ans maintenant. Ce livre en tient-il compte ? NON.
Pourtant ce livre est bien présenté, agréable à lire, avec des encarts, des photos et beaucoup de dessins humoristiques. Il relate tous les événements qui comptent, chocs pétroliers, contre-choc, liens des pétroliers avec des régimes non démocratiques, pollutions pétrolières Mais la géologie est étrangement marginale dans ces pages et l’Aspo, association pour l’étude du pic pétrolier, n’est même pas citée. Par contre l’AIE (Agence internationale de l’énergie) est présentée comme un organe « autonome » qui œuvre pour la production d’une énergie « propre ». En fait ce livre s’intéresse à la faim du pétrole et certainement pas à la fin du pétrole. Les auteurs postulent que l’augmentation exponentielle de la consommation d’énergie est liée à une volonté « naturelle » de développement qui ne peut donc être remise en question. Cette hypothèse ne peut que satisfaire un grand groupe pétrolier, dont la vocation est de faire du profit. Il n’est donc pas étonnant que les auteurs accumulent les attaques contre l’écologisme tout au cours du livre et fassent l’apologie des gaz de schiste. Pourtant on sent bien le malaise des auteurs, ils ressentent aussi que nous allons dans le mur. Voici quelques extraits du livre :
1/6) Des attaques incessantes contre l’écologisme
- L’idée d’Anthropocène est géologiquement discutable, cela reste à prouver. Un fin niveau géologique riche en plastiques sera vraisemblablement notre seule trace de passage.
- La tendance à rabaisser l’homme au rang de nuisible est une posture dangereuse et inacceptable.
- Certains essayent de nous culpabiliser, de lier notre comportement de consommation sans retenue des ressources à une sorte de péché originel de l’Homme et voient venir comme une vengeance de la Terre.
- Ce raisonnement – c’est la fin du pétrole -, appliqué à la courbe démographique humaine, pourrait conduire à assimiler de façon caricaturale le début de la décroissance de la population à sa disparition.
- Les ruminants transforment l’importante biomasse végétale en protéines animales qui constituent la base de l’alimentation humaine. Cet aspect doit contrebalancer les aspects négatifs liés à la production de méthane par ces animaux.
- Si le retour à la campagne est perçu comme la panacée en termes de qualité de vie, son impact écologique (énergétique) est clairement négatif. C’est même l’inverse qui serait plus écologique : la consommation énergétique au centre de New York est 30 % inférieure à celle qui est constatée en banlieue, dans les habitats dispersés.
- On peut toujours poser la question de savoir où l’on serait plus tranquille : au pied d’un barrage, à proximité d’une centrale à charbon ou d’une centrale nucléaire ? Tout le monde ne peut pas vivre au pied d’une éolienne, qui s’effondre parfois en plein champ.
- L’énergie d’origine hydroélectrique vient juste derrière le charbon en termes de dangerosité, très loin devant le gaz, le pétrole et le nucléaire.
- Il est étonnant du constater la faiblesse du nombre de décès des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki. Moins de 1 % des survivants sont reconnus comme souffrant d’une maladie causée par les radiations. Bien entendu ces chiffres sont contestés par les opposants du nucléaire, qui font état de complots d’Etats, complot de l’OMS…
- Les tenants du nucléaire avancent des ressources d’énergie importantes en tenant compte de la surgénération et des centrales à fusion, mais surtout une production électrique très faiblement génératrice de CO2 (hors construction et démantèlement des installations bien sûr).
2/6) L’apologie des gaz de schiste
p.67. Les technologies de production de gaz de schiste, en constante évolution, font l’objet d’innovations depuis leur essor dans les années 2000. De nombreuses voies de recherche sont explorées pour permettre une meilleure acceptabilité par les populations riveraines.
p.69. Les gaz de schiste ont été littéralement diabolisés.
p.71. Il s’agit d’interdire a priori et en vertu d’un principe de précaution poussé à l’extrême toute exploration.
p.80. Les Etats-Unis sont en passe de redevenir aujourd’hui avec les gaz et pétrole de schistes un pays producteur majeur.
p.125. Les gaz de schiste peuvent-ils à moyen terme remplacer le charbon pour l’électricité et le pétrole pour les transports ? La transformation en cours des camions américains de l’essence vers le gaz ne fournit-elle pas déjà une sérieuse indication ?
p.165. La production de gaz de schistes en particulier aux Etats-Unis a mis en évidence des ressources très importantes qui modifient profondément la donne énergétique et géopolitique.
p.166. Qui aurait imaginé que les Etats-Unis deviendraient exportateurs de gaz ! Cet exemple illustre l’ensemble de notre propos, à savoir que les ressources fossiles restent immenses à condition qu’on accepte d’y mettre le prix. A-t-on d’ailleurs vraiment le choix ?
Commentaire de biosphere : pour avoir une meilleure idée des gaz de schiste, lire notre annexe en 6/6…
3/6) durabilité du pétrole ?
- Il semblerait qu’il n’y aura pas une chute brutale de la production mais plutôt un plateau légèrement décroissant. On est donc loin de la contrition nécessaire et du « repentez-vous, la fin est proche ! » suggérés par certains. Il n’en reste pas moins qu’il semble difficile d’envisager de produire plus qu’environ 100 millions de barils/jour. Néanmoins ce faux plat descendant pourra durer très longtemps car les réserves sont très grandes. Ce ne sont pas les réserves qui feront défaut, mais les investissements et les ressources humaines pour les développer.
- En fin de compte, il ressort que ce n’est pas le pétrole qui va manquer et le cheikh Yamani avait raison : « L’âge de pierre ne s’est pas arrêté par manque de caillou, l’âge du pétrole ne s’arrêtera pas par manque de pétrole ! » Il veut ainsi dire que du pétrole sera laissé en terre quand on sera déjà passé à d’autres sources d’énergie. Le pétrole est utilisé aujourd’hui parce que l’on ne dispose pas d’une autre énergie avec la même capacité, à un prix aussi dérisoire, pour le remplacer.
- En résumé, on aurait 1000 milliards de barils produits, 1000 milliards de barils prouvés, 1000 milliards de baril à découvrir.. et l’on n’aurait pas encore touché au pétrole « non conventionnel » (sables bitumineux, huiles de schistes et schistes bitumineux). Le fait que l’exploitation de sables bitumineux ait lieu dans un pays comme le Canada reste un garant d’un contrôle fort pour obtenir un comportement acceptable dans les conditions d’extraction.
- Nous aurons beau multiplier par dix les sources d’énergie renouvelables, leur pourcentage en termes de réponse à la demande mondiale restera faible par rapport aux énergies fossiles. Aussi serait-il erroné de considérer le charbon, le pétrole et le gaz comme des énergies du passé.
- Si le charbon est utilisé pour répondre à la demande croissante d’électricité, il y aura automatiquement une augmentation corrélative de CO2. Aussi convient-il de se donner les moyens de le capturer et de le stocker. De nombreux essais pilotes existent, il est crucial que toutes les composantes sociétales travaillent en partenariat.
Commentaire de biosphere : nous signalons la parution récente chez Springer d'un "Atlas du pétrole" écrit par un très grand géologue pétrolier, Colin Campbell, qui décrit la situation pays par pays. Il ne s'agit donc plus d'histoires romancées, mais de données. On se rend compte que la très grande majorité des pays producteurs a dépassé son peak oil. La production totale est encore en légère hausse, mais seulement grâce au non-conventionnel : liquides de gaz naturel (LGN), pétrole de schistes, extralourds (Canada, Venezuela).
4/6) La fin du pétrole
- On va vers la fin du pétrole car nous puisons dans notre bas de laine à toute vitesse.
- Dans les années 1970, la taille moyenne des nouveaux gisements était de l’ordre de 300 millions de barils. A partir des années 1975-1980, elle avoisine les 50 millions… Toutefois l’objectif principal de toutes les sociétés reste de trouver des gisements de grande taille (500 millions de barils).
- Par accord entre eux, les pays de l’OPEP ne produisent qu’au prorata de leurs réserves et ils ont donc tendance à surestimer celles-ci pour augmenter leur quota de production et, par conséquent, leurs revenus.
- On sait bien extraire aujourd’hui les pétroles conventionnels, mais il n’en est pas de même pour les huiles extra-lourdes, que ce soit au Canada ou ailleurs.
- En tout état de cause, l’âge du pétrole peu cher est bien terminé.
- Le déficit de production vis-à-vis de la demande entraînera forcément une hausse des prix et conduira à une évolution nécessaire des comportements. C’est un doux euphémisme : les changements devront être profonds.
- Sans une énergie abondante et peu chère, telle qu’elle l’est actuellement, notre mode de vie quotidien ne peut perdurer.
- Un pays importateur doit faire en sorte que les gens ne gaspillent pas l’énergie en favorisant les voitures à faible consommation, le covoiturage, etc. Un des moyens d’encourager cette attitude est bien entendu d’augmenter les taxes (comme pour le tabac)… Mais augmenter sans cesse les taxes seraient pour les classes moyennes et populaires difficilement supportables.
- En économisant, on en a encore pour 50 à 150 ans pour le pétrole, 100 à 300 ans pour le gaz et pour plus de 500 ans pour le charbon. On a de l’énergie à revendre, tout va bien ! Mais plus le monde se développe, plus il utilise de l’énergie et plus il produit de CO2. Cette augmentation de CO2 est source de problèmes pour l’avenir proche : le climat réagit, et il réagit d’autant plus fortement que l’on se développe rapidement.
5/6) conclusion du livre
Les pays émergents et les populations nombreuses doivent pouvoir avoir accès à l’énergie dès maintenant, on ne peut exiger qu’elles attendent que les nouvelles technologies deviennent économiquement viables. Toutes les formes d’énergie sont nécessaires pour répondre à la demande mondiale. A terme, il faut espérer que la consommation énergétique mondiale se stabilisera un peu du fait de la stabilisation démographique et d’une meilleure homogénéisation des niveaux de vie. Quoi qu’il en soit, on restera encore pendant longtemps avec une logique où l’énergie sera issue de l’énergie fossile.
Commentaire de biosphere : on trouve dans ce paragraphe les deux ingrédients principaux de l’écoloscepticisme, tout le monde a droit à l’énergie fossile et l’espoir fait vivre…
6/6) Annexe sur le gaz de schiste
Ah, les miracles promis par le gaz de schiste, " la manne extraordinaire sous nos pieds " vantée par la patronne du Medef, la promesse d'une Amérique indépendante pour cent ans ! Ô, rêves insensés ! Les faits commencent à dissiper les discours mensongers de ceux qui ne veulent rien changer.
Deux compagnies gazières, Talisman Energy et Marathon Oil, se retirent de l'exploration du gaz de schiste en Pologne. Sur 43 puits creusés jusqu'à présent en Pologne, seuls 12 ont produit du gaz. La Pologne, à qui l'on avait promis des réserves immenses de 5 trillions de mètres cubes, ramenées ensuite à 800 milliards, découvre la différence entre le potentiel, le possible et le faisable. Même aux Etats-Unis, la réalité apparaît moins rose. La production de gaz de schiste ne peut se maintenir à des niveaux élevés qu'à condition de creuser sans arrêt de nouveaux puits. En effet, le rendement d'un puits isolé décline très rapidement dans le temps. En fait, un pic du gaz et du pétrole de schiste va se produire aux Etats-Unis, c'est-à-dire que la production va stagner avant de décliner. Date prévue : 2017.
Ce phénomène reflète une loi fréquemment oubliée par le discours dominant, qui est celle des rendements décroissants. En énergie, elle trouve son application dans le concept de " taux de retour énergétique " (TRE ; en anglais, EROI, " energy return on energy invested "). Celui-ci traduit le fait que pour obtenir une certaine quantité d'énergie, il faut dépenser de l'énergie. Le rapport entre ces deux quantités est le taux de retour énergétique. Et la loi dominante de l'époque que nous vivons est que le TRE diminue tendanciellement : il faut dépenser de plus en plus d'énergie pour en obtenir. L'ère de l'énergie peu chère est derrière nous.
Hervé Kempf in LE MONDE du 11-12 mai 2013, gaz de schiste : la fin